Dans un article récent publié sur Jazz’inLyon (lire ci-dessous), Jean-Claude Pennec avait regretté le tournant pris particulièrement cette année dans la programmation du Festival vers les musiques actuelles, au détriment de la place du jazz qui se rétrécit de plus en plus. Un sentiment assez partagé par une partie de la Jazzosphère régionale. Ci-dessous, les explications et les réponses de Benjamin Tanguy, directeur artistique de Jazz à Vienne concernant cette évolution. Le débat est en tout cas lancé. Entretien.
Cette édition 2022 sera-t-elle comme beaucoup l’espèrent la fin des difficultés générées par la pandémie ?
Benjamin Tanguy-Si l’on dresse le bilan des dernières années : 2020, l’année où nous n’avons pas organisé de festival a été dure. En 2021, ce fut une sacrée prouesse d’organiser un tel évènement dans ce contexte. Il ne reste qu’à souhaiter désormais qu’après cette période pandémique qui a profondément bouleversé les habitudes du public, que celui-ci sera bien de retour cet été.
La programmation musicale de l’édition 2022 évolue. Beaucoup de vocal, de toutes tendances dont rap, hip-hop, plus aucun big band…la notion de jazz semble devenir quelque chose de beaucoup plus floue, plus large, de très élastique, non ?
Non. C’est le jazz qui évolue. Il suffit de regarder les grandes affiches du festival des décennies précédentes. De Miles Davis à Stan Getz en passant par Roy Hargrove, qui a tant fait pour les musiciens, Sonny Rollins, Dizzy Gillespie, Ella Fitzgerald et récemment Chick Corea, un familier de Jazz à Vienne…..ils ne sont plus là. Keith Jarrett a arrêté la scène. Et combien d’autres ! C’est là la grande différence avec les années 80. Il se passe sous nos yeux une véritable transition. Ça ne date pas d’hier mais peut-être ne s’en est-on pas rendu compte dans la mesure où des figures historiques du jazz continuaient à jouer et à animer les scènes et les festivals à plus de 80 ans.
Là, une nouvelle génération de musiciens arrive avec un nouveau bagage musical. Et ce qui est joué à Londres aujourd’hui c’est ce son-là : Nubia Garcia, Blue lab beats, Nubiya Twist, Portico 4tet, Emma Jean-Thackray…
Preuve qu’on ne renie rien de l’histoire de Jazz à Vienne, on va sortir une compilation Past & Future qui provient des archives de Jazz à Vienne : à 40 ans d’existence on fait le bilan. La compilation est sortie ces jours-ci (le 20 mai). C’est quelque chose dont on est très fier : de McCoy Tyner à Hank Jones, de Roy Hargrove à Gilberto Gill.
Selon vous Jazz à Vienne 2022 est donc dans la continuité des grandes éditions précédentes ?
On est un festival de musique de jazz et toutes ces musiques sont issues du jazz.…..Le Rap a toute sa place à Jazz à Vienne. Comme la Soul. Comme beaucoup d’autres tendances. Jean-Paul Boutellier le fondateur du festival a toujours parlé de musiques; de l’influence de l’Afrique. Cette ligne continue : on défend le jazz qui se fait actuellement. Je rappelle que le festival aujourd’hui c’est 15 jours, 190 concerts, 1 000 musiciens. Le festival dure deux semaines avec des concerts de midi jusqu’à tard dans la nuit. Même plus avec ces concerts au lever du soleil, que nous renouvelons cette année. C’est un programme à la carte et ce n’est pas un seul jazz qui est présenté.
Je ne suis pas dans l’opposition. Dans la dualité. Il y a les musiciens historiques, les maîtres, et une nouvelle génération qui arrive avec un nouveau bagage musical. Je fais une programmation qui est le panorama des musiques qu’on fait depuis 40 ans.
Si vous regardez les grands festivals, ils ont tous ouvert leur programmation. Souvent plus tard que chez nous. Marciac y est venu. Il faut trouver un équilibre et rester un festival de jazz. Ne croyez pas que je ne suis pas un défenseur du jazz. Bien au contraire mais comme tous les autres festivals, je suis confronté à l’évolution de la musique de jazz. L’évolution de la musique comme du public on est obligé de la suivre. Et Le renouvellement des musiciens jazz est primordial.
Mais 2022 pour nous est une édition pour laquelle on veut faire beaucoup plus avec toujours l’idée de proposer de nouvelles expériences.
Est-il plus difficile de programmer du jazz improvisé aujourd’hui ?
Avant, les grands artistes faisaient une tournée par an et puis on ne les revoyait plus de l’année. Là le problème est qu’ils font des tournées l’été mais aussi l’hiver et au printemps. Notre difficulté c’est d’avoir des raretés c’est d’arriver à avoir une programmation singulière, un programme qui ne ressemble à aucun autre. De la même façon le public évolue : je suis persuadé que le public de jazz actuel écoute des types de musique différentes. Comme les musiciens de jazz aiment jouer eux-mêmes des musiques différentes. Les jeunes écoutent aujourd’hui 40 types de musiques différentes. C’est pareil pour le public.
Certains artistes qui ne sont pas venus à Jazz à Vienne depuis longtemps. Ainsi Niles Rodgers qui est venu la dernière fois à Vienne en 2013. Mais, depuis, son spectacle est resté le même, n’a pas changé. D’autre part, on ne peut pas programmer Diana Krall ou Marcus Miller tous les deux ans, même s’ils tournent ; et ce, pour ne pas créer de lassitude car il faut susciter l’envie et le manque chez le public comme nous l’avons fait avec George Benson, par exemple.
En effet, George Benson qui sera là le 11 juillet est certes venu souvent à Vienne, mais il n’a jamais présenté le même projet. Jamie Cullum cela fait trois ans qu’on voulait le faire. Et pour des raisons différentes, sa venue a été chaque fois différée. Là enfin, on peut le programmer cette année, en 2022.
Etes-vous seul décideur de la programmation ou êtes-vous amené à tenir compte des desiderata de tutelles ou de partenaires ?
Non et c’est une chose importante : à Vienne le directeur de la programmation a toujours été maître de sa programmation et jamais la tutelle ou autre n’intervient. Jamais.
Face à la raréfaction des artistes jazz capables de remplir le théâtre antique, serait-il envisageable de réduire le nombre de soirées ?
Non, ce n’est pas une solution. L’équilibre du festival est basé sur 15 soirées et sur cette quinzaine musicale dans lesquelles elles s’inscrivent. C’est ce qui pour nous fait la richesse de ce Festival.
Recueilli par Jean-Claude Pennec et Dominique Largeron