Durant plus de deux heures, à l’Auditorium de Lyon, le pianiste a distillé, samedi 29 février, standards et compos personnelles en compagnie de deux « vieux » compagnons, Christian McBride et Brian Blade. Décontracté, convainquant, étonnant, le trio n’a cessé de faire mouche face à un public attentif et chantant. Le tout servi par une acoustique de rêve.
Ils se sont donnés le mot ? Il y a quelques semaines Herbie Hancock. Auditorium de Lyon. Tenue grise, sobre au possible. Sauf qu’aux pieds, et ça n’avait pas échappé au public averti qui se pressait ce soir-là, notre cher Herbie étrennait des baskets tonitruantes, qui tranchaient évidemment avec le noir laqué du piano et la retenue recherchée de l’endroit. .
Samedi, presque à la même place (sauf qu’il s’agit d’un Yamaha/contrat de rigueur) c’est Chick Corea qui s’y colle. Beaucoup plus décontract’. Genre blouson jeans qu’on fourre par terre. Mais, là encore, le musicien débarque chaussé de baskets chatoyantes. Serait-ce le long parcours qui mène des coulisses aux claviers qui poussent les deux artistes à se munir de baskets au long cours ? Ou la volonté de ces deux incontournables de Jazz à Vienne de lancer comme une mode, façon septuagénaire up to date ?
L’œil traîne, prend le pouls, jauge et tente de comprendre.
Que voulez-vous ? Lorsqu’un concert est sur le point de démarrer, l’œil traîne, prend le pouls, jauge, anticipe, tente de comprendre. D’une rampe de lumière qui restera allumée durant les deux sets au type de piano, en passant par la posture de Brian Blade, le tapis sur lequel sont posés ses drums, la contrebasse que relève avec aisance Christian McBride, ou donc ces baskets qui, d’un seul coup d’un seul, se glissent sous le piano de concert pour lancer les festivités.
Plus de deux heures de concert. Entracte compris. Le temps d’une balade musicale qui a largement balayé les deux albums Trilogy qui l’inspire. En mieux. Beaucoup mieux. Cette fois, l’acoustique de l’Auditorium a largement fait oublier les défauts inhérents de cette scène taillée pour abriter un orchestre symphonique et qui se tortille comme elle peut lorsqu’elle accueille un trio de jazz.
Chick Corea : une façon de survoler son clavier
A quoi reconnaît-on un concert réussi ? Bien sûr la musique, l’emboîtement des trois musiciens, étonnants de réparties comme d’écoute : bien sûr Chick Corea est à la manœuvre. Une façon de survoler son clavier, l’air de ne pas y toucher pour arriver à une note étincelante, à peine marquée, qui sonne comme jamais. Mais, concert aidant, c’ est à se demander si le centre de gravité ne se déplace pas légèrement sur la droite , vers cette contrebasse incroyable qui sonne étonnamment dans un auditorium dont les niches de fond de scène sont autant de loges d’opéra qui s’ignorent. Une contrebasse dont chaque note prend un peu plus d’épaisseur : tout au long du concert les interventions de McBride deviendront en effet toujours plus pertinentes, médusant le public, si l’on en juge la qualité du silence qui accueillait ces improvisations.
Chemin faisant, le pianiste donne quelques pistes, ses curiosités, ses valeurs-refuge, standards familiers ou non, tel In a sentimental mood ou ce thème de Monk (Crepuscule with ou for Nelly –même lui fait la faute) qui n’atteint toutefois pas le dépouillement sublime de l’aîné. Et puis, et c’est là où ces musiciens aguerris nous bluffent, Corea décide de s’en aller vers une sonate de Scarlatti. Si l’on comprend bien, il s’agit d’une première, d’une avant-première même (le trio comptait la jouer lundi soir 2 mars à Paris dans une salle qui affiche complet depuis belle lurette).
Le pianiste déploie sous les yeux d’un public amusé une partition longue comme le bras et échafaude donc comme une passerelle de papier entre l’œuvre du compositeur italien né il y a 335 ans, et la relecture de ce soir. De quoi nous convaincre de l’étonnante complémentarité qui existe entre musique classique ou d’un autre âge et les velléités d’improviser dessus.
Le trio : jouer et relancer comme un seul homme
Mais frappe avant tout cette façon qu’a donc le trio de jouer et de relancer comme un seul homme, de devancer le jeu de l’autre, de le pousser, de le souligner, de lui donner un relief insoupçonné. Seul regret peut-être, la densité des drums qui semblait parfois dépassée par les deux autres instruments.
Bref, au bout de deux heures et quelque, le concert a pris fin sur une note souriante, chantante. Avec un public invité à reprendre les accords que lui dessinait Chick Corea. ….Et qui s’en est fort bien sorti au vu du scat complexe et malicieux qui lui était proposé.
Vous avez dit provoc’ ?