Il faut bien l’avouer, Crest est une ville un peu perdue au milieu de la Drôme. Cependant, si tout le festival Crest Jazz Vocal est à l’image de cette soirée de mercredi, il vaut vraiment le détour sur la route de vos vacances!
Une fois n’est pas coutume, cette chronique n’est pas chronologique et met l’accent sur la première partie, celle du set de Pierre Durand et de son Roots Quartet. Ce choix n’est pas basé sur un quelconque critère de qualité, puisque les trois formations sont excellentes, mais relève plutôt du coup de coeur.
L’après Roots Quartet
Seule voix de la soirée, la chanteuse Agathe Iracema était pour cette date à Crest accompagnée de Léonardo Montana au piano, Pierre-Alain Tocanier à la batterie et Christophe Wallemme à la contrebasse. Sa formation a donné un set efficace et charmé son public d’une musique fraîche et généreuse où la connivence de musiciens qui se connaissent bien était manifeste.
Quant à l’Amazing Keystone Big Band, dont les membres sont trop nombreux pour être cités ici (détails disponibles sur le site du festival), il invitait pour l’occasion Romane et Mathias Levy (lui-même élève de feu Didier Lockwood qui était l’invité initial). La formation a fait revivre les années 30 et le répertoire de Django le temps d’un set millimétré, mené tambour battant. Issus de l’album Django Extended, ces morceaux interprétés avec une précision folle ont été l’occasion de véritables démonstrations de dextérité sur des tempii très élevés. Quelques improvisations plus posées cependant sont venues « humaniser » un peu la mécanique bien huilée du big band, à l’image de celle du trompettiste David Enhco et de son solo évoquant l’album « Sketches of Spain » de Miles Davis.
La suite, non l’avant !
Pour finir, ou pour commencer c’est selon, Pierre Durand (guitare) était porté par ses trois « racines » avec Hugues Mayot au saxophone ténor, Guido Zorn à la contrebasse et Joe Quitzke à la batterie.
Les quarante-cinq minutes d’un set sans rappel sont passées comme un rêve dont on se réveille surpris mais heureux. La musique, entre le Jazz, le Rock et des musiques du monde aux accents africains, amérindiens, mexicains…, a transporté le public le temps d’un voyage initiatique. Inventive, originale et dense, elle s’est déployée en quelques titres aux ambiances délicieusement changeantes (extraits de « Chapter Two: ¡Libertad! »).
Chacun de ces morceaux, ou pourrait-on dire chacun de ces rituels, a été l’occasion d’entendre et de voir le sorcier / guitariste malaxer la matière sonore à grand renfort d’accords enrichis (on devine une formation classique derrière ces positions sur le manche), de bends infernaux, d’effets électroniques, de slide et d’objets entre les cordes. Tout ceci et un jeu au doigt donne à Pierre Durand un son incisif bien à lui et une formidable expressivité. On entend rarement un guitariste se rapprocher autant de la voix humaine, au point où ces improvisations croisées avec le saxophoniste, lui aussi très inspiré, donne l’impression d’entendre un véritable dialogue.
Ce sont peut-être ces voix, celles de la guitare et celle du saxophone, qui apportent cette humanité et ce côté organique à la musique du quartet. Une musique où l’on sent la sincérité, la souffrance, la colère… A voir les thèmes des compositions de Pierre Durand, il est un artiste engagé et manifestement engagé tout entier, tant il joue avec les tripes et avec tout son corps.
Avec un peu de chance, nous aurons une prochaine fois le plaisir d’écouter ce Roots Quartet dans un format plus long, ce qui permettra à cette superbe rythmique contrebasse/batterie d’avoir plus d’espace d’improvisation. En attendant, vous pouvez découvrir leur album en écoute libre sur le site du guitariste.