Arrivé à Lyon en 1982 après avoir quitté la Bulgarie, le pianiste n’a cessé durant quatre décennies de bâtir un monde musical original, multipliant les expériences, les formations, les concerts et en s’impliquant dans l’enseignement et la transmission du jazz, de Lyon à Salon-de-Provence
Mario Stantchev nous a quittés un jour d’été. Au terme de 50 années d’un jazz prolifique, sans cesse en éveil et d’une vie consacrée à la musique.
Une vie pressée. C’est en 1980 que le jeune Bulgare, demeurant à Sofia, et déjà pianiste en vue de la scène jazz locale, avait décidé de fuir son pays pour rejoindre la France. Après diverses étapes et péripéties, il s’installait à Lyon en 1982 et dans cette Croix-Rousse qui deviendra sa terre.
Pianiste, compositeur, il n’a cessé d’explorer la musique, de partir à la découverte de rythmes, d’harmonies, de sons nouveaux ou inconnus. Un toucher envoûtant, des phrasés aux mille nuances.
Et parallèlement, il ne cessa de solliciter tous les publics à sa portée pour leur transmettre ses admirations, ses découvertes. Que ce soit à Lyon (ainsi dans la grande salle de l’Opéra de Lyon, qui le reçut en janvier dernier), au Hot-Club de Lyon dont il était resté l’un des fidèles), ou ailleurs sur toutes ces scènes qui l’ont accueilli, de Paris à Salon, de Fareins à Vienne et tant d’autres en France, en Europe et au-delà et bien sûr en Bulgarie.
A Salon-de-Provence : une nouvelle aventure
Au-delà de ces talents et de mille répertoires, Mario Stantchev aura aussi marqué plus d’un musicien, surtout pianiste, pour d’autres raisons : son rôle dans l’enseignement et la diffusion du jazz.
D’abord en créant le département du CNR de Lyon (jusqu’en 2013), mais aussi par ses multiples initiatives pour pousser de jeunes musiciens à passer à l’acte. Ainsi aussi lorsqu’il arrive à l’école de Villeurbanne ou plus tard, après Metz, dans le milieu des années 90, lorsqu’il est appelé par l’IMFP de Salon-de-Provence, lieu étonnant et authentique, aux côtés du trompettiste Michel Barrot.
En 40 ans, le pianiste semble ne s’être jamais rassasié, courant d’une idée à l’autre, d’un projet à celui qui suit. Facile. A Crest pour illustrer une conférence de Jean-Paul Boutellier, lequel l’avait très vite invité à Jazz à Vienne. Ou, là, dans l’antre d’Yves Dugas où il aimait produire quelques étincelles sonores sur un des pianos assoupis de cet écrin de la rue Sala.
Même après avoir quitté la Bulgarie, Mario Stanchev ne s’arrêtera jamais de tenter des trucs, s’intéressant à toutes les musiques, à leurs liens et leurs influences entre elles. Classique, tzigane, pop, traditionnels et autres.
Il s’était souvent confié à ce sujet : comment la découverte du jazz et de ce qui allait avec avait tout fait basculer. Sa biographie fourmille d’anecdotes à ce sujet, confirmant combien une carrière est faite autant d’aspirations, de rencontres et de hasards. Ainsi sa découverte d’un album particulier de Thelonius Monk (Off Minor) qui représenta pour lui comme une renaissance.
Ce qui ressemble à une infinie bonne volonté
Bien d’autres artistes témoignent de l’influence du pianiste américain (ainsi Laurent de Wilde) mais pour Mario Stanchev, le choc fut tel qu’il ne cessera d’évoquer cette rencontre, organisant même à Sofia en janvier 2020 l’enregistrement de Monk and More.
Sur internet on retrouve beaucoup de concerts, de captations de toutes sortes qui en disent long sur son inlassable curiosité et ce qui ressemble à une infinie bonne volonté. Ici avec Michel Perez, là avec Michel Zenino ou Olivier Truchot. Plus loin avec ce sextet monté à partir de Salon-de-Provence (M. Barrot, F. Castellani, R. Nikitoff, D. Del Aguila, JL Di Fraya) avec lequel, disent ses biographes, il donna 200 concerts, entre 1994 et 2007. Mais surtout avec Lionel Martin, autre orfèvre, à l’énergie et à la capacité d’emballement similaires, que Mario va embarquer en 2018 dans l’enregistrement de la musique de Louis-Moreau Gottschalk (1829-1869), né à La Nouvelle Orléans. Les compositions et les recherches qui les provoquent ont captivé le pianiste : là aussi une captation permet de retrouver ce « set » inouï (cf Radio France, Yvan Amar, le 19 avril 2016, au Sunside).
C’est ce qui frappe : durant ces dernières années, le pianiste n’a cessé d’aller et venir. L’Opéra de Lyon, le Hot-Club, où il a essaimé, Paris mais aussi Sofia, ou ce concert de rentrée à l’IMFP de Salon-de-Provence sur fond de confinement.
Ce soir-là, Mario, radieux, retrouvant ses amis provençaux, dispo pour parler musique avec le premier venu, expériences passées, à venir.
Curieux à tous crins. A l’enthousiasme communicatif. A la passion intacte.