Jazz In Lyon

Don Salluste ou Pastorius à Séville : le tissage réussi entre le jazz (Jaco) et le flamenco (Paco)

Un moment singulier : percussions de « batons » sur tommettes.

Le pari était osé pour Manu Vallognes, bassiste et directeur musical de Don Salluste : partir du répertoire de Jaco Pastorius et l’ancrer dans le flamenco. Pari tout à fait réussi.

Le choix des instruments n’est pas neutre et rappelle bien évidemment le Sextet de Paco de Lucia crée en 84. Dans ce Don Salluste, nous retrouvons certains instruments additionnels utilisé par Paco : le càjon, la flûte, l’harmonica et bien sûr la basse électrique fretless (aucune barrette ne délimite les notes sur le manche) avec une différence de taille : la guitare n’est pas en première ligne, c’est la basse qui tient l’édifice et cela nous ramène naturellement à Jaco Pastorius (1951-1987).

Comme l’a dit Pat Metheny « Jaco Pastorius est le dernier musicien de jazz du siècle qui influencera les nouvelles générations ». On peut dire que Vallognes a intégré toutes les caractéristiques et le vocabulaire de Pastorius à la fois en termes harmonique, rythmique et mélodique. Il maitrise à la perfection une magnifique basse 6 cordes du luthier Christophe Leduc dans une sensibilité et une musicalité restant pourtant tout à fait personnelles.

Dans le répertoire proposé, nous retrouvons les thèmes emblématiques de Pastorius – Liberty City, Don Juan’s Reckless Daughter mais aussi Invitation de John Coltrane, Palladium de Wayne Shorter, Donna Lee de Charlie Parker. Les arrangements sont justes, presque évidents dans le traitement en style flamenco, malgré la grande complexité des compositions originales.

L’ensemble est surprenant car la base harmonique est répartie entre les différents instrumentistes, seule la guitare faisant office de soutien principal sur certains thèmes.

Le liant est fortement assuré par les palmas (frappe des mains) et les percussions.

Pour ce projet intitulé aussi « Pastorius à Séville », Vallognes s’est entouré des instrumentistes et improvisateurs de haut niveau. Jean-Luc Peilhon, à l’harmonica, clarinettes, shakuhachi, flûtes : inventif, tumultueux et résolument captivant. Vincent Desmazière, à la guitare nylon. Ce dernier est très surprenant car il traverse les compositions sur la crête du jazz et du flamenco : de plus, il joue debout, ce qui n’est pas du tout dans l’orthodoxie du flamenco. Un autre instrumentiste de très grande qualité – Fabien Rodriguez à la batterie, percussions, càjon, d’une belle subtilité, précis souvent ironique et enfin Pierre Drevet au bugle et à la trompette qui nous embarque dans des univers stratosphériques.

Mais l’identité forte de cet ensemble se trouve dans la présence de la danseuse flamenco Maria Garcia, également professeure de ce style. Tout en gardant une technique traditionnelle, elle déborde naturellement de ce cadre et propose une interprétation lumineuse, singulière en osmose permanente avec les thèmes et les improvisations. Généreuse en changements de tenues colorées et classieuses, experte en taconeo (claquettes), aux percussions sur le corps, elle apporte une scénographie vivifiante à un spectacle musicalement riche et onirique.

Un projet réussi et largement salué par un public nombreux en majorité constitué d’étudiants (en partenariat avec le festival « Un Doua de Jazz).

Un seul bémol (si), une sonorisation pas assez forte en décibels à mon goût, pour apprécier à sa juste valeur, la puissance de cet ensemble.

En première partie, une belle prestation du Big Band de l’Insa, dont je reparlerai la semaine prochaine, avec l’interview d’Hervé Salamone, son chef d’orchestre.

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