C’est au Hot Club de Lyon que le saxophoniste a commis un concert d’exception en compagnie de ses complices habituels Etienne Déconfin au piano et Victor Nyberg à la contrebasse
Au cœur, au centre, il y a Gaël Horellou, étonnant sax (alto). Etonnant en effet par les contrastes, les multiples facettes de son jeu, éclairées par une inaltérable force de conviction. Une façon de prendre le sax, de jouer jusqu’à plus soif. Urgence dans l’expression. Quand on lui demande ses repères ou ses influences, il cite volontiers, outre évidemment le pianiste Barry Harris, Sonny Rollins, Clifford Jordan ou Sonny Stitt. Du troisième, il a la fluidité. Et, à la différence du premier, il y a chez cet instrumentiste à la carrière longue comme le bras quelque chose d’autre qui frappe dès la première écoute. Une volupté d’expression, un son plein, détaché des accents bop ou autre. Lui-même refuse d’ailleurs toute velléité de classement, d’école ou de style et surtout de frontières. Il est vrai qu’en 26 ans de carrière, le musicien s’est frotté à peu près à tout, de l’acoustique à la fusion, en passant par toutes les musiques, dont le Maloya, musique traditionnelle de La Réunion.
L’inventivité répétée de Ari Hoenig
Et puis surtout à ses côtés, outre un pianiste méticuleux et un contrebassiste, il y a Ari Hoenig, aux drums que Gaël Horellou considère comme l’un des meilleurs batteurs de jazz de la scène américaine actuelle. De fait, il ne faut pas longtemps pour se convaincre que ce musicien basé à New York pourrait largement boucler le set à lui tout seul, tant son inventivité répétée fait merveille et surtout captive l’attention.
Sur la scène du Hot, à l’aide de la vieille Gretsch de service plantée à droite de la scène, on ne s’attend pas forcément à un tel festival. C’est presque redécouvrir l’art de la batterie, son approche, une façon de marquer pour soi et pour les autres d’autres ruptures. Faut suivre et surtout épier les moindres variations de palpitation, via un effleurement de cymbale ou de minuscules coups secs au bord de la caisse claire, comme si le jeune homme s’était juré « jamais deux fois le même temps ». Cela fait merveille lorsqu’il intervient dans les longues improvisations du sax. Interventions minuscules, sans cesse renouvelées, ponctuant à sa façon les phrasés du cuivre, leur donnant une autre couleur, une autre résonnance. Et pressant Gaël d’aller toujours un peu plus loin. Pour ce dernier, il n’y a aucun doute qu’Ari Hoenig «a fabriqué un nouveau langage de la batterie : c’est à la fois un illusionniste et un grand mélodiste ».
Un drummer touche à tout génial
Et une sorte de touche-à-tout génial, réinventant l’instrument à chaque mesure, tapant, touillant, effleurant, caressant, suggérant, toujours et encore. Pour le quartet c’est évidemment une assurance tous risques d’avoir le monsieur à ses côtés. Encore que : quelque soit celui qui intervient –piano, contrebasse ou saxophone- Ari Hoenig ne cesse de les pousser à toujours plus se découvrir, à passer à la vitesse supérieure, bref à aller toujours plus loin. « C’est vrai, c’est une prise de risques de jouer avec lui car il peut avoir un langage très surprenant ; il faut être bien accroché », dit à ce sujet Gaël Horellou, qui n’hésite pas à descendre de scène quelques instants pour mieux voir le jeu du batteur se développer.
La tournée s’est bouclée au Hot Club, un lundi soir
Mais revenons au décor : ce soir-là au Hot, il s’agissait d’un petit événement : c’était la fin de la tournée du quartet. Une tournée européenne en 14 dates qui les a emmenés en France comme à Bruxelles ou en Suède. Pour cet ultime concert, l’heure est à la décontraction certes mais aussi à la plénitude.
Les deux musiciens se connaissent bien. Ils se sont rencontrés en 2006, expliquent-ils, à l’occasion d’une jam et entretiennent depuis une de ces relations en pointillés qui font l’ordinaire et la magie du jazz. L’un est à Paris, l’autre à New York. Ce qui explique ces retrouvailles en Europe ou aux Etats-Unis en cours d’année, et ces albums où ces musiciens aiment se retrouver. Le premier est sorti en 2008. Curieusement, ils ont attendu 2014 pour sortir Brooklyn, un petit chef d’œuvre. Entretemps, les compères ne se perdent jamais de vue. Et les tournées se succèdent en Europe ou aux USA (ainsi en 2018). Des publics comparables ? «on joue la même musique qu’on soit en club ou ailleurs mais les réactions du public sont chaque soir différentes », explique à ce sujet Gaël, « moteur principal » du quartet. « Mais ce qui m’intéresse c’est de donner la main à Ari et qu’il puisse proposer des morceaux ».
De fait, ce soir-là au Hot, on eut droit à des compos à parts égales du saxophoniste et du batteur, agrémentées de quelques autres dont Satellite de Coltrane pour finir.
Abraham Burton, Jeremy Pelt, et le Maloya réunionnais
Ainsi aura donc pris fin cette tournée d’un quartet avec lequel Gaël Lorellou aime se retrouver ponctuellement. Et qui ne saurait faire oublier son quartet régulier (depuis 2012) avec lequel, après un « Legacy » réussi (avec Abraham Burton) il a sorti récemment un « Coup de vent » largement adoubé. Outre lui-même, Etienne Déconfin au piano, Victor Nyberg à la contrebasse et Antoine Paganotti aux drums, le disque accueille le trompettiste américain Jeremy Pelt, d’ailleurs lui aussi passé par le Hot Club il y a une paire d’années. On pourrait en finir là s’il n’y avait le risque d’oublier, enfin, l’attrait de Gaël pour d’autres rythmes, d’autres pulsations, dont le Maloya réunionnais et les phrasés ternaires. Après un premier album « Identité » sorti et primé en 2017, le saxophoniste vient d’en boucler un second (« Tous les peuples »), dont on reparlera.