Les 2 concerts des « fils de » de ce mercredi 30 novembre ont séduit le public viennois par leurs contrastes. Kyle Eatswood nous a présenté l’intégralité de son dernier projet cinématic, un alliage de jazz et de bande originale du 7ème art. Thomas Dutronc a procédé autrement, il est venu présenter également son dernier opus « frenchy », une remise au goût du jour des plus grands succès planétaires de la chanson française, mais il s’est aussi autorisé à quelques détours manouches et à des reprises de ses compositions.
Kyle Eatswood avec son projet cinématic a, par sa virtuosité et son élégance , su redonner vie à quels airs connus du 7ème art. Normal « le cinéma c’est ma seconde passion » reconnaît-il facilement. Il a composé plusieurs musiques pour son père (Mystic River, Million Dollar Baby ou Letters From Iwo Jima). Bref, il ne s’est jamais trop éloigné d’Hollywood. Ce disque est l’occasion de s’en approcher un peu plus avec la réinterprétation de 11 thèmes de films. De Bullitt à Taxi Driver (les 2 premiers titres de l’album), en passant par Gran Torino ou Pink Panther, Kyle Eastwood s’attaque à des standards qu’il revisite avec une vraie liberté sans jamais dénaturer l’esprit du film. Entouré de son groupe, il a également invité deux voix : la française Camille Bertault sur Les Moulins de mon Cœur et Hugh Coltman sur Gran Torino. Au final, on se prend au jeu et on garde intact le plaisir de ces grands classiques qui reprennent ici une seconde jeunesse.
Kyle Eastwood est donc le fils de son père, c’est surtout un super bon musicien qui est bassiste et contrebassiste de jazz. Il tient la passion du jazz de son père et a aussi le talent inné pour la partager et la faire savourer au public. Il sait réinventer ce genre tout en respectant ses prédécesseurs et en reculant les frontières de son univers personnel.
Il est de cette nouvelle génération qui réinvente le genre en respectant ses maîtres, repoussant toujours plus loin les frontières de son univers dans la quête d’une tradition à la fois revendiquée et renouvelée. Prodigue inventif d’un jeu élégant et raffiné au son chaud et profond, allant droit à l’essentiel, il explore inlassablement les possibilités de la basse, magique instrument à la fois mélodique et rythmique.
Le public viennois ne s’ est pas trompé, il a eu droit à une standing ovation !
Thomas Dutronc est venu ensuite nous apporter sa fougue communicative teintée de culture manouche et d’un vrai sens du swing. Un brin goguenard et caustique sur la situation sanitaire actuelle, les chinois en ont pris pour leur grade, l’humour au 3ème degré est omniprésent tout au long du concert. On danse, on chante et on rigole, bref on passe un bon moment! certains spectateurs ont même été invités à danser sur la scène et pour les remercier à déguster un cote rotie dernier cru. On se laisse pas aller avec Thomas Dutronc!
Avec ses musiciens, dont Eric Legnini, brillant mélodiste au piano, ils ont proposé de revisiter quelques grands airs de la chanson française, l’objet de leur dernier album Frenchy paru en 2020. Frenchy, son quatrième album rassemble quatorze chansons absolument françaises puisque toutes nées en France, certaines au creux du siècle dernier ou presque, d’autres avant-hier ou hier. Thomas leur a insufflé des couleurs nouvelles, lounge, cool, rétro-cool et parfois même destroy et funky. La Vie en rose, C’est si bon, La Belle vie, Les Feuilles mortes, La mer… Ces chansons d’en France sont descendues dans les rues de Paname, elles ont d’abord envahi les cours d’immeubles, les bals musettes, les clubs de jazz. Puis elles ont traversé l’atlantique et sont revenues en version anglaise chantées par Frank Sinatra, Louis Armstrong, Tony Bennett, Nat King Cole, Dean Martin, Nina Simone… Les revoici auréolées du même swing enthousiaste mais réinventées et modernisées par Thomas Dutronc.
Mais Thomas Dutronc ne s’est pas cantonné à nous présenter seulement son dernier album, il a fait quelques détours inspirés du côté de Django Reinhardt évidemment, Serge Gainsbourg ( ces petits riens), et quelques compositions personnelles dont le joyeux morceau Mademoiselle écrit et chanté à l’origine par et pour Henri Salvador. le concert s’est fini avec le beau morceau Aragon écrit par un ami de faculté et mis en musique par lui; un texte magnifique délicieusement mise en swing par Thomas Dutronc. Je ne m’empêcher de vous en proposer la lecture, inspiré de Louis Aragon évidemment:
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c’est encor
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
Le pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Sur le canapé du bordel
Je venais de m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Je m’endormais comme le bruit
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c’est encor
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Encore une belle soirée viennoise , jazz et swing ! excusez du peu…