Quelle est la marge de manœuvre d’un festival de jazz en matière de programmation, notamment lors de ces « grandes messes » de l’été que sont Vienne, Marciac, Antibes ou Montreux ?
La similitude de certaines affiches d’un festival à l’autre pourrait laisser penser qu’on achète de tels spectacles « sur étagère » via échange de mails et autres coups de fil quelques mois avant.
« C’est en grande partie faux », souligne Benjamin Tanguy, directeur artistique de Jazz à Vienne et qui, à ce titre, « valide » l’ensemble de la programmation (200 concerts) de l’édition. « En fait, seuls 25% des concerts nous sont proposés, le reste, c’est-à-dire 75%, c’est nous ».
Il suffit d’ailleurs de regarder la programmation du grand « rival » de Jazz à Vienne (Marciac) qui démarre le 30 juillet, pour s’en convaincre. A l’exception de John Scofield et de McLaughlin, de Randy Weston et de quelques autres, les deux festivals suivent, cette année tout particulièrement, des chemins différents.
En la matière, Benjamin Tanguy qui s’est longtemps occupé du « off » de Vienne avant de se voir confier l’ensemble des scènes au départ de Stéphane Kochoyan, n’est surtout pas seul.
Convaincu qu’ « il faut plusieurs écoutes », il travaille avec à ses côtés, un « historique » du festival, Jean-Pierre Vignola, pour la programmation du théâtre antique. Jean-Paul Boutellier, qui aura assumé pendant de nombreuses années la programmation du festival avant de se mettre en retrait, demeure conseiller artistique.
Enfin, Reza Ackbaraly demeure le programmateur attitré du Jazz Mix, désormais intégré à la scène de Cybèle (jeudi et vendredi). Mais on s’en doute, les frontières entre les quatre intervenants sont forcément moins précises qu’il n’y paraît.
Comment savoir en septembre quelle perle brésilienne remplira le théâtre antique en juillet ?
Sachant que le théâtre antique est la seule scène payante du festival, faisant vivre toutes les autres, qu’elle présente une jauge élevée (jusqu’à 8 000 spectateurs) et que les subventions sont chiches, tout l’art des programmateurs est évidemment de réussir à concocter plusieurs mois à l’avance une affiche qui tienne la route.
Mais comment savoir en septembre la formation britannique, brésilienne ou américaine, qui fera un tabac neuf mois après ?
C’est tout le travail qui démarre avant même la fin du festival : entre les mails reçus (80 à 100 reçus au quotidien de septembre à janvier), les écoutes (quinze formations par jour durant la même période), les déplacements sur les autres festivals, sur les scènes londoniennes ou américaines et enfin et surtout, sur les lieux où se rencontrent les professionnels (New York, Londres, le Womex, ce World Music Expo qui se tient cette année du 26 au 30 octobre à Saint-Jacques de Compostelle), les sources d’inspiration sont nombreuses. : « New York est surtout une grosse source où l’on peut directement discuter avec les managers ».
Dans le même temps, les quatre complices ne cessent de se réunir ou d’échanger, bâtissant ainsi les quinze soirées, sachant que l’expérience accumulée par les quatre au fil des ans est fondamentale.
Diviser le public en cibles marketing ? Passé de mode
En matière de programmation, la tentation serait grande de diviser le public de Jazz à Vienne (90 000 spectateurs payants) en 15 cibles marketing différentes donnant lieu à 15 affiches artistiques typées (blues, salsa, musique du monde, Afrique, Cuba, Brésil, flamenco, vocal, soul etc…).
Mais il suffit de scruter l’édition qui vient de s’achever pour se convaincre que la programmation fait intervenir d’autres ressorts. « En fait, la musique évolue et les festivals sont obligés d’évoluer, explique Benjamin Tanguy, et si les petits festivals peuvent continuer à rester comme ils sont, un festival comme Jazz à Vienne ne peut pas s’en contenter ».
Mettons de côté les artistes récurrents, tels George Benson ou Wynton Marsalis. Encore que ….la relative petite jauge réalisée lors d’une des soirées les plus jazz de l’édition par John Scofield et John McLauglin, inviterait plutôt à la réflexion : « Relativisons tout de même, tempère Benjamin Tanguy, outre l’Euro de Football, « c’est un musicien qui a beaucoup joué ici, et qui se renouvelle assez peu. De plus il refuse les points presse, les interviewes ou les émissions de radio et il n’a pas sorti d’album depuis longtemps ».
A l’inverse, la soirée « gipsy » autour de Django Reinhardt avec Angelo Debarre et l’Amazing Keystone Big Band aura attiré plus de 5 000 spectateurs. « Là, on est typiquement dans le cas où le public nous fait confiance ». De même, « il y a des soirées un peu coup de cœur. Typiquement la soirée de vendredi avec Beth Hart et Imelda May. Le public s’est laissé convaincre. Je crois beaucoup à ça ».
Rajoutez à cela que Beth Hart n’avait que deux dates en France, tout comme le spectacle « Autour de Chet » ou Randy Weston, proposé par Jean-Paul Boutellier.
Quant à Chick Corea, il s’agissait même d’une date unique comprenant ce spectacle (autre chose est prévu à La Villette).
N’omettons pas de rajouter divers paramètres, comme la météo ou les bouchons sur l’A7
Sans doute, faut-il rajouter à cette science particulièrement inexacte divers autres paramètres qui peuvent tuer ou assurer le succès d’une soirée : dans le désordre, la météo (on l’a vu lors de la All Night Jazz), les dates de vacances, la concurrence d’une autre affiche artistique passant le même soir à Lyon ou enfin le prix des places.
En attendant, Benjamin Tanguy et ses trois complices se sont déjà réunis avant que le festival ne se termine pour commencer à défricher la prochaine édition. « On a déjà confirmé des groupes », nous promet-il.
Au pif, James Carter ?