[Jazz’in Lyon] Qu’est-ce qui t’inspire pour composer ?
Je pars du son, du timbre de l’instrument. Si je travaille à la clarinette basse, à la Si bémol ou au saxophone ténor, des choses différentes vont sortir. Et ça, c’est dû au timbre. La couleur de l’instrument donne l’émotion du morceau, donne la densité, l’énergie. Ensuite il faut construire bien sûr, le rythme, les harmonies, la mélodie. Je suis très sensible au timbre des instruments et à tous les timbres que l’on peut générer avec un même instrument.
J’ai toujours un enregistreur avec moi. J’enregistre une improvisation ou une idée et c’est comme une graine que je plante. Soit elle germe tout de suite et je compose un morceau, soit je me laisse du temps. Quelques jours voir plus. Il y a toujours le cas de figure de la graine qui ne pousse jamais. Mais il y a aussi celui de la graine qui met du temps à pousser et qui, au bout du compte, donne quelque chose d’intéressant.
[Jazz’in Lyon] Est-ce que c’est comme un tableau dont tu ferais une ébauche pour y revenir ensuite?
Complètement, tu ne le sens pas donc tu le laisses mais c’est là, dans l’enregistreur ou sur l’ordinateur. Tu y reviens et parfois ça s’éclaire d’un coup et tu te dis « tiens je n’avais pas pensé à ça ». Parfois les choses partent d’un jet, d’autres fois elles mettent plus de temps.
[Jazz’in Lyon] Est-ce que l’arrangement fonctionne différemment de la composition?
Avec l’arrangement c’est différent, oui. Avec « Une petite histoire de l’Opéra », je prends des opéras connus et je les malaxe à ma sauce. Je prend cette pâte et je la modèle mais l’avantage c’est que, si je modèle du Mozart, sauf si je me rate, ça va être beau. Grâce à lui.
[Jazz’in Lyon] Des compositions inspirées par la littérature ou par la peinture, c’est une image romantique ou cela arrive vraiment?
Oui cela arrive. A une époque où je tournais un peu en rond, je suis allé voir une exposition à Beaubourg. Ce que j’y ai vu, la pâte artistique des peintures m’a nourri. Après cette exposition, le soir au club où j’étais, je n’ai pas joué pareil. Il faut faire attention à ce qui nous entoure et à ne pas rester dans son petit pré carré. En sortir peut être un peu déstabilisant, un peu dérangeant, surtout à notre époque où l’on tourne un peu dans des contrées noires et sombres. Mais on est jamais mieux nourri que par la différence.
[Jazz’in Lyon] Es-tu constamment à l’affut de sons ou de matière à utiliser pour tes compositions?
Non je n’irai pas jusque là. Mais quand on est musicien on marche avec les oreilles c’est sûr. Si par exemple je vais quelque part et qu’il y a de la musique, je suis dans deux endroits à la fois. J’écoute la musique et j’écoute ce qu’il se dit autour de moi. Ce qui peut énerver les gens qui vivent avec moi…
[Jazz’in Lyon] Est-ce que tu as une routine de création? Quelque chose où tu sais qu’en malaxant suffisamment ça aboutira?
J’ai mes petits trucs oui. J’ai une technique, une technicité qui fait que, bon ce n’est pas forcément toujours génial, mais en général je m’en sors. Parfois il faut s’y mettre vite, pour une commande par exemple. C’est bien aussi un peu d’urgence. Devoir y aller comme ça, crée un petit speed qui amène d’autres choses.
[Jazz’in Lyon] Ca te fait sortir de ta zone de confort?
Oui mais attention, c’est bien d’avoir une zone de confort, surtout pour travailler. Quand on compose il faut du temps. Il faut au moins quelques jours sans rien faire d’autre. Les musiciens de nos jours sont aussi administrateurs, transporteurs, agents… Ce n’est pas évident d’arriver à se garder du temps, une zone de confort pour faire son métier.
[Jazz’in Lyon] Au quotidien, combien de temps arrives-tu à dégager pour composer ou pratiquer ton instrument?
En ce moment, je fais surtout de l’ordi et du téléphone. Je travaille pour la sortie du disque de mon trio, le 1er Février (2019), et pour un spectacle qui s’appelle « Une petite histoire de l’opéra, opus 2 ». Bon, j’ai travaillé quand j’étais petit donc j’ai des restes mais c’est pas comme le vélo… Faut s’y coller quand même. J’en fais un peu le matin quand les gamins dorment. Mais j’ose espérer que bientôt j’aurai plus de temps à passer à faire de la musique.
[Jazz’in Lyon] Tu parlais de l’influence de l’instrument sur ce que tu composes. Est-ce que l’instrument change aussi la façon dont tu impliques ton corps dans ta musique?
Oui ma manière de jouer change, bien sûr. Quand je joue de la clarinette contre-basse, je suis à la cave. J’ai les pieds sur terre et je suis un bassiste. Il y a des instruments qui te collent les pieds au sol et d’autres qui te font t’envoler. Mais bon, des fois quand je joue des mélodies à la clarinette contre-basse dans l’aigu, ce qui nous met dans un médium grave, je m’envole aussi. Il y a vraiment un investissement physique, il faut faire corps avec son instrument mais passer à travers. Il ne faut pas qu’on entende du saxophone, il faut qu’on entende, si c’est moi, du Laurent Dehors. Enfin j’essaye…
Après, chaque musicien a un rapport différent à son instrument. Il y a des gens qui aiment frotter, des gens qui aiment gratter, d’autres aiment souffler, taper. Moi, j’aime bien ajouter du souffle à mes notes.
[Jazz’in Lyon] Nous sommes arrivés au terme de cet interview merci Laurent Dehors et bonne continuation!