Fidèle à sa ligne, le temps de cinq soirées, le festival clermontois qui fêtait sa 36ème édition, a aligné quelques-uns des trésors de la scène jazz actuelle. De Brad Mehldau à Immanuel Wilkins. Le tout dans une ambiance bon enfant….Un festival, quoi !
C’était la 36ème édition. Elle n’a pas dérogé à sa ligne : restituer le jazz qui se fait dans ce qu’il a de plus vivant, quel que soient le rythme le mode, la formation ou l’artiste invité.
A Clermont-Ferrand, l’exercice est tout compte fait assez contraint : 5 soirées au milieu du mois d’octobre, du mardi au samedi, précédées d’un « Hors les murs » ouvert aux découvertes. Un seul lieu : la maison de la Culture, 1 200 places. Un public fidèle. Et un directeur artistique « historique » qui accompagne le festival depuis ses débuts, Xavier Felgeyrolles, sorte de vigie qui n’oublie rien des éditions précédentes et de ces musiciens qui, un jour, ont éclairé le festival.
Ce faisant, Jazz en Tête vous a des airs de descente « tout schuss ». A peine le temps de découvrir le premier invité (Brad Mehldau en solo), que se profile déjà l’ultime soirée emmenée par Jany McPherson et Willie Jones (le troisième) Quintet.
Des pointures confirmées aux jeunes pousses
Mais entre les deux, quel itinéraire musical, passant des pointures confirmées aux jeunes pousses déjà largement adoubées, le plus souvent débarquées d’outre-Atlantique (si possible de la côte Est). Rapide, dense, énergique avec quelque chose de plus, qui se lit dans la façon qu’ont tous ces artistes d’«épouser » cette vaste scène, d’y revenir pour un rappel de plus ou, après, dans leur façon de pousser les portes de l’hôtel en face pour partir sur une « jam », coincés au fond du bar avec un public plus que complice. Bref, c’est frais et spontané ; comme un retour aux sources. Aux antipodes de ces grosses machines obligées d’avoir l’oeil sur la montre, la jauge et les recettes du bar.
Un panoramique fidèle de la scène actuelle
S’il n’y a pas de recette pour « bâtir » un festival, ce 36ème Jazz en Tête a pourtant tapé dans le mille en réalisant en cinq soirées un panoramique fidèle de la scène actuelle. Brad Mehldau toujours et encore ? Sauf que, cette fois, l’allègre quinquagénaire s’est installé au piano pour plus de deux heures. Seul. Comme une anthologie qui ne dit pas son nom, sachant que, pour une fois, le temps ne presse pas. Autre concert de piano solo moins couru peut-être mais qui signait pourtant un retour à Jazz en Tête, celui de Shedrich Mitchell, pianiste au CV long comme le bras sur lequel on peut lire ses apparitions ici même (4 fois au côté d’un Kenny Garrett ou d’un Ali Jackson).
L’évènement plutôt attendu du côté des cuivres
Mais l’évènement qu’on attendait devait plutôt venir des cuivres : le premier avec le trompettiste Jeremy Pelt en quintet, le second avec le saxophoniste Immanuel Wilkins en quartet. Curieusement, l’un comme l’autre ne furent pas là où on les attendait. Pourtant, Jeremy Pelt a une façon bien à lui de « poser » son quintet. Une façon d’attaquer le set, planté dès la première mesure, comme s’il s’agissait de reprendre le morceau là où on l’avait laissé. Pourtant, il s’agit bien d’un « new quintet » composé de quatre jeunes musiciens repérés ces derniers mois par le trompettiste qui n’aime rien tant que de renouveler ses sidemen, quitte à embarquer dans le voyage l’un de ses élèves. Le maître et sa petite classe ? Un peu, quitte à gagner le fond de scène pour mieux laisser les compères s’emparer du thème. Ici, il y a cette curieuse alliance entre la trompette et le vibraphone (Jalen Baker) ou celle avec la guitare d’Alex Wintz. Au centre, imperturbable, costaud qui n’en a pas l’air, Leighton McKinley-Harrell à la contrebasse. Avant de revenir à Jeremy Pelt, économe d’effet et de tirades mais superbe de tranchant et d’à propos.
Jacques Scharz-Bart de retour à Harlem
Ce soir-là aussi, ce fut des retrouvailles avec Jacques Schwarz-Bart qui vient de signer « Harlem Suite », en hommage à ce quartier de New York dans lequel il rêvait de s’installer avant de s’y installer pour plus de 20 ans. Du sax un peu vieillot mais ô combien chaleureux. Autour de lui aussi des jeunes pousses, souvent made in Antilles, qu’il a voulu à ses côtés pour cette aventure. Comme à Clermont on a le temps, le saxophoniste n’est pas avare de confidences entre les morceaux, bâtissant entre lui et la salle une intimité sincère. Une autre façon aussi d’expliquer sa musique, sa création, et son rendu. Et un moyen d’inviter ses trois comparses à ne pas lésiner : Grégory Privat, pianiste dont on aime suivre les méandres, Reggie Washington à la contrebasse, puissant, et Arnaud Dolmen (tiens, tiens…) pour illuminer le tout.
Immanuel Wilkins – Micah Thomas : drôle d’histoire
D’un sax à l’autre : Immanuel Wilkins est pressé, concentré et dit le tout en peu de notes. Il est superbement entouré laissant presque les commandes à Micah Thomas au piano, aux interventions fulgurantes, imposant son imaginaire au fil de la ligne mélodique, et amenant une étrange répartie à ce qui naît sous nos yeux. On attendait évidemment les thèmes abordés dans Omega, étonnant album où se révélait cet art de la concision qu’Immanuel Wilkinsa fait sien et ceux de The 7th Hand, le dernier sorti. Là encore, le quartet bien épaulé par Rick Rosato à la contrebasse et le tout jeune mais prolixe Kweku Sumbry à la batterie, dévala son set comme si seuls comptaient l’arrivée et son drôle de rappel.
Wilkins : la preuve par les drums
On n’était pas au bout de nos surprises puisque on retrouvait peu après au bar de l’hôtel proche le pianiste et le contrebassiste faisant des heures sup’ façon jam devant un public ravi de l’aubaine et du thème de Monk parfaitement repris. A la batterie ? Immanuel Wilkins, à l’aisance sûre et millimétrée, presque plus impliquée que sur scène, histoire de nous rappeler qu’il a fait sien depuis longtemps l’univers du grand pianiste et qu’accessoirement, les drums…. Il connaît.
Dans tout ça on aura loupé Robin McKelle qui a consacré son set à Ella (l’album Impression of Ella). Et le dernier soir Willie Jones III qui avait embarqué dans son quintet quelques petites merveilles dont un certain Giveton Gelin, à la trompette, aux côtés de Darryl Hall, Shedrick Mitchell et Justin Robinson + Renée Neufville, une ex du RH Factor. Décidément, Jazz en Tête n’oublie pas Roy Hargrove et son héritage.