Et voici quelques sorties récentes reflétant la diversité du jazz, comme d’habitude. Mais c’est une bonne habitude que l’on n’a pas envie de perdre !
PETER ELDRIDGE – KENNY WERNER . Somewhere
Rosebud Music
Peter Eldridge : voix Kenny Werner : piano Matt Aronoff : contrebasse Yoron Israel : batterie George Garzone : saxophone ténor Orchestre à cordes dirigé par Eugene Friesen
Le jazz comme on l’écoutait il y a longtemps avec des cordes omniprésentes, cela existe encore. La preuve avec ce disque du chanteur crooner Peter Eldrigde et du pianiste Kenny Werner enregistré avec l’orchestre adéquat dont le but avoué est de faire revivre une esthétique jazz des années cinquante soixante. Avec une playlist qui contient des titres emblématiques du genre (You don’t know me, Somewhere, A time for love) et des originaux d’Eldridge et Werner, le disque, au-delà de l’hommage rendu, trouve son originalité dans les arrangements sophistiqués du pianiste. On pense néanmoins aux arrangements de Nelson Riddle ou à la voix de Johnny Hartman surfant en douceur sur les cordes. C’est luxuriant sans être étouffant et toujours classieux. Les interventions du saxophoniste George Garzone, comme celles de Kenny Werner, aussi millimétrées soient-elles, traduisent parfaitement l’ambiance générale de ce disque romantique à souhait. Cela se passe aux chandelles avec un raffinement dont l’apparente désuétude ne manque pas de charme et de chair ; et le timbre de baryton de Peter Eldridge, utilisé avec une élégante délicatesse, renforce grandement cette impression. Nous avons presque regretté qu’il n’y ait pas un duo avec une voix féminine cristalline (Jane Monheit, par exemple). Ce n’est pas dans l’air du temps bien sûr et, pour tout dire, l’on pensait s’ennuyer un peu. Erreur de notre part ; nous nous sommes faits avoir en beauté et cette musique habile et distinguée nous a subrepticement emportés dans des rêveries que seuls ce type d’album peut générer. En ces temps où l’inhumaine misère se répand, le romantisme possède des atouts non négligeables car, par son intemporalité même, il apaise. Mais quelle est donc cette vieille expression française que l’on utilisait il n’y a pas si longtemps ? Ah oui : « mettre du baume au cœur ».
WILLIAM PARKER – IN ORDER TO SURVIVE . Live / Shapeshifter
Aum Fidelity
William Parker : contrebasse Cooper-Moore : piano Rob Brown : saxophone alto Hamid Drake : batterie
Amis des grands espaces où l’impossible est une notion inconnue, soyez les bienvenus dans le monde de William Parker. Agitateur d’idées sonores et de pensées sans freins, il expose une fois de plus avec ce double album ses visions radicales d’une musique que beaucoup considéreraient aujourd’hui comme sulfureuse en ces temps de lissage et de politiquement correct. Comme si l’on était revenus à la grande époque de Hugues Panassié ; le quaternaire quoi. Ceci dit, le contrebassiste new-yorkais ne s’épuise pas et sa musique prône toujours la révolution, qu’elle soit sociale, politique ou spirituelle, avec un aplomb et une inventivité tout à fait réjouissants. Les tueurs qui l’accompagnent n’y sont d’ailleurs pas pour rien. Que ce soit Hamid Drake, Cooper Moore ou Rob Brown, ces trois-là connaissent parfaitement le leader. D’où cette magistrale impression de télépathie qui parcourt les deux enregistrements réunis ici. Tout paraît simple. Même la fureur des improvisations semblent évidentes, justifiées. On ne se lasse pas, à aucun moment, de ce maelstrom musical qui chope par les oreilles et vous secoue comme un prunier. Mais cette apparente brutalité est doublée d’une finesse d’exécution qui fait tout l’intérêt de l’affaire. Car ces gens-là ne font pas n’importe quoi et leur science n’a d’égale que leur propension à l’aventure et au défrichage de territoires oubliés dans lesquels se terrent nos profondeurs humaines, leurs contradictions et leurs beautés. A ne pas manquer bien sûr et à diffuser en boucle devant la Maison Blanche. Jouissif !
Enregistré à New York, ce duo piano/batterie possède les atours d’une rencontre musicale d’exception entre deux artistes n’ayant joué ensemble auparavant qu’une fois au sein d’un trio. C’est à l’improviste qu’ils sont entrés en studio sans préparation aucune. Et le résultat est saisissant. L’adéquation parfaite entre eux produit une musique inspirée. Qu’ils évoluent dans l’espace intime ou qu’ils se livrent à de furieuses sarabandes free, ils offrent en partage une musique de l’instant qui se grave malgré elle dans le marbre. Toujours en mouvement, avec plus ou moins de lenteur, plus ou moins de volume, la pianiste japonais et le batteur espagnol se meuvent dans des espaces où l’inconnu créatif et l’insondable improvisé se côtoient sans heurt. Tout au long de l’album, l’attention portée à la structure et aux détails grandit, atteignant un raffinement qui flirte avec la poétique de la rêverie. Aux accords fugitifs et mouvants de Sakoto Fujii, Ramon Lopez répond par des sonorités et des gestes qui la confortent dans la voie choisie. De fait, leurs deux vocabulaires s’épousent à la perfection du début à la fin du disque dans un continuum inventif rendu possible par l’osmose entre les deux musiciens. Ils ne l’avaient pas vu venir mais ils ont su l’utiliser à la perfection.
Robben Ford : guitare Bill Evans : saxophone James Genus : basse Keith Carlock : batterie
Bill Evans, le saxophoniste au bandana vintage le dit : « Rarement, mais de temps en temps, des musiciens partageant les mêmes idées se réunissent pour créer quelque chose qui transcende les frontières musicales tout en pouvant atteindre un public plus large. Pour moi, la musique que nous avons créée sur « The Sun Room » est intemporelle. J’adore le blues, le jazz, la soul, le funk et ce CD possède tout cela, interprété au plus haut niveau. Je ne pourrais pas être plus heureux avec cet enregistrement. L’ambiance était si bonne pendant ce processus d’enregistrement que c’était juste une joie d’en faire partie. » Et à l’écoute, on l’entend bien qu’ils ne se sont pas ennuyés. Maintenant, c’est toute une époque qui vous reviendra aux oreilles. C’est pulpeux, ensoleillé, groovy à souhait et tout et tout. James Genus (vu avec Chick Corea) et Keith Carlock (vu avec Steely Dan) font ce qu’il faut pour que les solistes s’expriment. Cela demeure tout de même un peu trop studio bien léché pour nos ouïes dévergondées. Robben Ford pousse la chansonnette mais il ne la pousse pas très fort. Nous, on aurait aimé qu’ils y aillent à fond (à donf’, pour les plus jeunes) et qu’ils s’éclatent et nous éclatent au passage. La prochaine fois peut-être.
Toft Olsen : voix Heine Hansen : piano Thomas Vang : contrebasse Morten Lund : batterie
Et dans cette vitrine estivale, un disque sorti le… 08 juin dernier. Eh quoi ? On a le droit d’être à la bourre, non ? Bref. Vous connaissez Toft Olsen ? Nous oui, depuis peu. Et on a bien aimé la tessiture et le grain de ce chanteur danois, l’économie de moyen dont il fait preuve et sa capacité à habiter les chansons qu’il interprète accompagné par un trio classique piano / contrebasse / batterie qui sait se fondre dans l’esprit musical du crooner. On a écrit crooner, oui, oui, car dans l’ensemble c’est un disque qui fricote avec le romantisme. Jazz de chez jazz, l’enregistrement ne manque cependant pas de rythme, même si en aucun cas Toft Olsen et ses compagnons de studio ne cherchent la performance flamboyante. Ces derniers sont d’ailleurs parfaits dans leur genre, avec une mention spéciale à Morten Lund qui soutient l’ensemble avec un sens de l’espace et une légèreté impeccables. All of you, When I fall in love, I fall in love too easily, Smile et j’en passe plus quatre compositions originales composent la playlist de cet album attachant dont nous sommes contents de vous parler ici. Cet été, devant un coucher de soleil océanique ou méditerranéen, seul avec soi ou bien accompagné(e), les pieds dans le sable, ça devrait le faire carrément. Un album « Take it easy » mais pas easy listening. Faudrait voir à pas déconner non plus.
Jamie Saft : piano Dave Liebman : saxophones, flute Bradley Christopher : contrebasse Hamid Drake : batterie
Si l’on en croit la note introductive de la maison de disque, la musique de ce CD est un voyage spirituel, une quête tendant à se rapprocher de maîtres tels Coltrane (Alice et John), Pharoah Sanders ou Albert Ayler et du mysticisme juif. Si l’on pas très calé en Judaïsme, nous reconnaissons néanmoins que c’est assez bien vu car l’on sent dès l’introduction une tension qui n’appartient qu’à ce type de musique. A la vue du line-up, hormis Bradley Christopher que l’on méconnaissait, il était clair qu’avec un maître du rythme comme Hamid Drake et une légende du saxophone comme Dave Liebman (connaisseur émérite de l’œuvre coltranienne) l’affaire s’annonçait sous de parfaits augures. Dans les faits, nous avons été séduits par la qualité du propos musical et en particulier par la capacité de Liebman à embarquer l’auditeur vers des paysages sonores empreint de mysticisme. Alors, bien que l’ensemble soit extrêment cohérent et riche, nous avons trouvé que l’ensemble manquait un peu de souffle et de vitalité. Cela n’en demeure pas moins un excellent enregistrement qui peut avantageusement trôner sur vos étagères.
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