BILL FRISELL . Valentine
Blue Note
Bill Frisell : guitare
Thomas Morgan : contrebasse
Rudy Royston : batterie
- Bill Frisell revient dans ce disque à un jazz, le sien, qui s’éloigne assez largement du genre Americana que le guitariste a beaucoup fréquenté (en disque) ces dernières années. L’on y retrouve donc l’atmosphère originale qui a fait sa renommée. En trio avec l’indispensable et télépathique Thomas Morgan et le maître de l’espace Rudy Royston, il livre donc des pièces aériennes dans lesquelles le silence latent augmente la densité des notes jouées. Sa musique ainsi magnifiée est plus que sensible et elle s’étale en nappes mélodiques qui promeuvent une forme poétique qui n’appartient qu’à lui. Le trio dans son ensemble est mû par une créativité exacerbée à laquelle chaque membre du trio apporte son écot. Tout tient en équilibre au sein d’une architecture musicale solidement ouverte sur l’improvisation. Il s faut une sacrée dose de confiance entre les musiciens pour tenter l’impossible et toujours retomber sur ses pattes. Dans cet enregistrement, c’est en permanence le cas, même si de prime abord la musique semble couler de source, fluide, sans effort, l’on entend dans les détails ce qu’elle contient de risque et d’exigence exploratoires. Mais au-delà de ce nouveau Cd, Bill Frisell démontre une fois de plus qu’il continue de marquer profondément de son empreinte originale la musique de son temps et qu’il appartient au panthéon des quelques musiciens qui ont marqué l’histoire du jazz.
MARIA SCHNEIDER . Data Lords
Artist Share
Maria Schneider : compositions, direction
Steve Wilson : saxophones alto, soprano, clarinet, flute, alto flute
Dave Pietro : saxophones alto, clarinet, flute, alto flute, piccolo
Rich Perry : saxophone tenor
Donny McCaslin : saxophone tenor, flute
Scott Robinson : Bb, clarinettes basse et contra-basse, saxophone baryton, muson
Tony Kadleck : trompette, fluegelhorn
Greg Gisbert : trompette, fluegelhorn
Nadje Noordhuis : trompette, fluegelhorn
Mike Rodriguez : trompette, fluegelhorn
Keith O’Quinn : trombone
Ryan Keberle : trombone
Marshall Gilkes : trombone
George Flynn : bass trombone
Gary Versace : accordéon
Ben Monder : guitare
Frank Kimbrough : piano
Jay Anderson : contrebasse
Johnathan Blake : batterie, percussions
- Des jazzmen qui composent, il y en a des tonnes. Des jazzmen qui arrangent aussi. Des jazzmen qui dirigent un grand orchestre, il y en a déjà moins. Tous sont le plus souvent de qualité et l’ont ne s’en plaint pas. Et puis il y a une femme. Maria Schneider. Et vous savez quoi, elle les enterre tous. En toute discrétion et avec le sourire. Sortie du système des maisons de disques depuis belle lurette, celle qui collabora avec Bowie et qui incita ce dernier à faire confiance à Donny McCaslin pour son dernier opus, crée une œuvre dont elle est seule dépositaire. Sa musique met en scène les interrogations d’un esprit ouvert sur une variété de problème qui dépasse largement le monde musical. Et selon nous, c’est en partie grâce à ce regard pertinent qu’elle à-même de créer son univers, un univers inimitable qui réconcilie l’auditeur avec la musique et le jazz en particulier. Dans ce double album qui expose l’écart entre les mondes virtuels et réels et leurs interactions souvent sous-évaluées, elle impose une vision musicale transcendantale qui génère un autre flux, le sien. C’est un flux empli d’une humanité qui porte à la sérénité, quels que soient les enjeux sociétaux majeurs dont il est question tout au long de l’album. Cela donne une musique ample dans laquelle le détail n’est pas une option mais bien le support nécessaire à l’architecture globale du projet. L’équilibre entre les masses sonores est un plaisir constant et l’ont sent l’implication totale de chaque musicien, notamment celle des solistes qui proposent toujours les lignes qui portent l’expressivité des compositions à leur optimum. Nous pourrions gloser longuement sur ce disque indispensable mais nous nous contenterons de vous donner un ordre : achetez-le !
https://www.mariaschneider.com
ENRICO PIERANUNZI . The Copenhagen concert
Storyville Records
Enrico Pieranunzi : piano
Marc Johnson : contrebasse
Paul Motian : batterie
Enrico Pieranunzi publie de manière prolifique nombre de disques, ce dont nous ne nous plaignons pas. Mais si l’on commence à sortir les archives alors même qu’il est encore en activité… Bref, ce qui demeure intangible, c’est que son approche sur les plans harmonique, mélodique et rythmique font de lui l’un des maîtres incontestés du piano jazz en Europe et ailleurs (il fait partie des rares pianistes européens à avoir joué au Village Vanguard). Dans ce concert de décembre 1996 au Danemark, il est accompagné du fidèle Marc Johnson et de… Paul Motian lui-même. L’affiche est belle et le contenu du disque l’est tout autant. Que l’esthétique soit très libre sur un morceau du batteur ou un peu plus classique sur le reste du disque, les trois complices font preuve d’une interaction fascinante, interaction qui fricote avec la virtuosité. Avec son lyrisme habituel, il emmène les thèmes choisis vers des horizons inaccoutumés où se croisent les influences classiques et jazz qui sont les siennes et forment le terreau de sa personnalité musicale. Marc Johnson, toujours pertinent et chantant, lui tient la dragée haute. Paul Motian, quant à lui, est Paul Motian. Les trois ensemble défient tous les codes et nous envoient dans un autre monde où règne une inénarrable poésie. Finalement, ce n’est pas si mal les archives…
https://www.enricopieranunzi.it
QUINSIN NACHOFF . Pivotal arc
Whirlwind Recordinds
Quinsin Nachoff : saxophone
Nathalie Bonin : violon
Mark Helias : contrebasse
Satoshi Takeishi : batterie
Michael Davidson : vibraphone
Ensemble à vents et à cordes dirigé par J.C.Sandford
Molinari String Quartet
Plus il avance, plus Quinsin Nachoff semble se rapprocher de la musique contemporaine. Dans ce disque détonnant, certainement le projet le plus ambitieux du saxophoniste à ce jour, l’on trouve d’abord un concerto pour violon en trois mouvement qui met en valeur la violoniste Nathalie Bonin dont le jeu éclatant en tous points impressionne vivement. Vient ensuite un quatuor à cordes qui propose en quatre mouvements une musique où l’on n’a pas vraiment senti la possibilité d’un jazz, même souterrain, contrairement au concerto évoqué ci-dessus. Mais peut-être ne sommes-nous pas assez savants dans notre écoute. La pièce finale qui donne son titre au disque, « Pivotal Arc », a été plus lisible pour nous. Elle entremêle les ambiances et donnent à ouïr une musique extrêmement dense où chaque soliste propose de visions musicales étonnantes qui contribuent à l’ensemble de la pièce. Celle-ci, dans sa composition, offre des paysages sonores qui dénotent de l’originalité de Quinsin Nachoff en tant que compositeur ; bon à savoir, elle est basée sur la réflexion du saxophoniste quant à notre position (critique) face au changement climatique. Vous l’avez compris, quinsin Nachoff crée une musique à la croisée des chemins entre deux mondes musicaux, le jazz et le contemporain. Il y excelle et peut convaincre car son travail d’écriture, aussi complexe soit-il, est d’une homogénéité rare qui force le respect.
PEIRANI PARISIEN . Abrazo
Act
Vincent Peirani : accordéon
Emile Parisien : saxophone soprano
Révélé à nos oreilles lors d’un mémorable concert au Festival A Vaulx Jazz en 2013, le duo Peirani Parisien a depuis fait du chemin. Encensé pour d’excellentes raisons par la critique, il n’a à ce jour jamais failli dans ses choix. C’est encore le cas avec cet album autour du tango qui s’appuie sur une vision personnelle à l’éclectisme éloquent. La symbiose entre les deux musiciens crève les oreilles et le charme qui s’en dégage sera pour beaucoup irrésistible. Toujours proche de compositions qu’ils empruntent, Vincent Peirani et Émile Parisien ne s’en ménagent pas moins des espaces librement dévolus à l’improvisation. Le tango étant en soi une forme d’élégance suprême à la rythmique entêtante, une sorte de blues sud américain, il offre aux deux complices suffisamment de possibilités pour le vivre musicalement avec une ingéniosité patente dans ses excès comme dans ses lenteurs. D’avoir en outre intégré des relectures de Jerry Roll Morton et Kate Bush démontre, s’il le fallait encore, que la puissance créative de ce duo flirte avec les sommets d’un art musical sans conteste hors norme. Et les affinités électives qui les réunissent autour d’une passion musicale intense leur permettent toutes les audaces. Bluffant.
https://vincent-peirani.com/projets/abrazo/