Trond Kallevåg : guitare, pedal steel Daniela Reyes : :accordéon, guitare Selma French : violon, violon Hardanger, guitare, voix Håkon Aason : violon, guitare, harmonium, Jo Berger Myhre : basse Ola Øverby : batterie, scie musicale
Un disque qui sort chez Hubro, c’est très rarement une mauvaise surprise. Le petit dernier de Trond Kallevåg, qui explore l’aspect mythique de la culture américaine en se référant aux liens qui la lie à son pays, appartient sans conteste au dessus du panier. On y retrouve ce qui fait le charme de bien des groupes norvégiens actuels : un assemblage des timbres sortant de l’ordinaire, un goût sûr pour une création hybride qui ne s’occupe guère des étiquettes et une indubitable vision musicale qui donne toute son originalité au projet. Avec en sus des musiciens aguerris (quel que soit leur âge) qui œuvrent dans la nuance, les compositions du leader se déploient superbement. Bien évidemment, si l’on cherche une référence à accoler à ce travail, c’est vers Bill Frisell que l’on se tourne. Il n’y a pas de honte à cela ; dès lors que l’on évoque le genre americana, c’est à lui que l’on pense car il en est incontestablement le pionner dans le monde du jazz. Ceci dit, le travail réalisé par Trond Kallevåg et ses collègues est une somme musicale originale qui, au-delà de l’aspect mélodique qui prédomine tout au long de l’album, sait aller dans les recoins chercher des sonorités alternatives qui enrichissent le propos et le complexifie sans le rendre abscons ou ennuyeux. Propice à l’apaisement, les paysages explorés font une large part à la vastitude ; l’auditeur a donc tout loisir, pour son plus grand bonheur, de s’y perdre. Que demander de plus ?
Leila Martial est une chanteuse augmentée. Nous entendons par là qu’elle porte dans sa voix tout un monde, à moins que cela soit un univers de mondes, et qu’elle n’a pas besoin de tour de force pour nous jouer des tours, nous embringuer avec elle dans ses pérégrinations vocales, pérégrinations librement multiples. En sus elle écrit des beaux textes, vibrants, que sa voix magnifie sans efforts (apparents). Entre silence et cri, les espaces s’ouvrent à elle, et non l’inverse. Nous dirons qu’elle est une voix aimant, aimante, amante. Elle attire à elle les grâces exaltantes que la nature lui a confiées. Inclassable, elle fait bien d’accoler à son chant le violoncelle de Valentin Ceccaldi. Violoncelle et voix humaine ne faisant presque qu’un, on obtient dans cet album une sorte du duo au carré qui évolue en symbiose autour des titres choisis. Le travail du violoncelliste, accompagnateur et soliste inspiré, est en soi une réponse au travail vocal de Leila Martial. Et si la conversation fusionnelle fonctionne, c’est parce qu’ils s’accordent dans l’originalité de l’approche, dans l’aisance déroutante avec laquelle ils font vivre la musique, dans la générosité qu’il distille de la première à la dernière note. On comprend dès la fin du disque que le duo a accouché d’un ovni musical dont la singularité est un éclat de (sou)rire non-conformiste jeté à la tronche de l’uniformisation. Indispensable.
Rattle Records Darren Pickering : piano, modular, iPad Mitch Dwyer : guitare Pete Fleming : basse Mitch Thomas : batterie
La musique du pianiste néo-zélandais Darren Pickering se situe à l’intersection entre l’esthétique cinématographique et les textures électroniques. C’est lui qui l’affirme et nous n’avons aucune raison de le contredire. Inspiré notamment par Ryuichi Sakamoto, il compose des thèmes aux mélodies souples et flottantes qui par certains aspects intriguent. C’est essentiellement dû au recours à l’électronique dont il use avec justesse et qui conséquemment laisse toute leur place aux instrumentistes avec lesquels il joue. Souvent atmosphérique, sa musique sait aussi retrouver, ici et là, les codes d’un jazz mainstream fort bien mené, et ce, sans délaisser pour autant l’usage discret de l’électronique. Son quartet étant régulier, les musiciens qui l’accompagnent et lui offrent à l’écoute un ensemble musical, inspiré et solide, assez inédit par chez nous. Ne privez donc pas votre curiosité naturelle d’un disque original du bout du monde et pour ainsi dire quasi exotique.
« J’avais lu un livre sur l’astrologie, et bien que je n’y connaisse pas grand-chose, j’ai décidé d’écrire une suite inspirée par les musiciens que je connaissais qui étaient nés sous ces signes. Je n’avais pas le temps d’écrire, ni d’aller dans un studio pour enregistrer, donc après les trois premiers signes, je m’installais au piano et je jouais, la musique s’inventant au moment où je jouais. On pourrait appeler ça la composition jazz. » De fait, la suite fut enregistrée pour trio en 1945. Une version pour big band, truffée de bugs fut interprétée au Town Hall de New-York avec un succès mitigé. Seuls trois mouvements furent joués au Carnegie Hall avec un grand orchestre de 70 musiciens. Pierre Antoine Badaroux a mené en amont un travail de fourmi dans les archives disponibles que la pianiste a laissé à sa fondation pour qu’enfin cette suite fût entièrement orchestrée. Le résultat est tout simplement bluffant. Permettre aujourd’hui à cette œuvre, qui fut en son temps un des premiers rapprochements entre musique classique et jazz, de (re)naître était une sacrée bonne idée. La cohésion au sein de l’Umlaut Chamber Orchestra, le talent des musiciens, celui de l’arrangeur font de ce disque, au-delà de l’hommage à la pionnière très en avance sur son temps que fut Mary Lou Williams, une excellente occasion de redécouvrir le travail d’une pianiste, femme noire au mitan du XXème siècle, que les musiciens hommes pensait meilleure qu’eux.
NILS LANDGREN . Nils Landgren . Christmas With My Friends VIII
Act Music
Nils Landgren : trombone & chant Sharon Dyall : chant Jeanette Köhn : chant Jessica Pilnäs : chant Ida Sand : chant & piano Jonas Knutsson : saxophones Johan Norberg : guitares Clas Lassbo : contrebasse
Ce n’est pas la première fois que l’on chronique un disque de Noël de Nils Landgren, c’est son huitième n’est-ce pas, et l’alternative qu’il propose à Mariah Carey, Tino Rossi et autres petits loup du jazz est toujours aussi savoureuse, d’autant plus qu’elle permet un éveil musical d’excellente facture pour les rejetons en bas-âge qui croient encore au Père Noël (en attendant qu’ils se mettent à écouter du rap) Ceci dit, le choix du répertoire est lui aussi un gage de qualité et surtout d’originalité car Nils Landgren sait puiser à travers le vaste monde des pépites de toutes sortes. C’est d’ailleurs l’une des forces de l’enregistrement, l’autre étant la qualité des musiciens amis qui accompagnent le leader. On y chante beaucoup et bien, souvent en chœur, n’oublions pas que c’est Noël, et la musique qui soutient les thèmes est faite avec brio. Ce n’est jamais fade et moins encore sirupeux, pas plus que c’est niaisement joyeux d’ailleurs, et cela mérite l’attention des parents, de leurs parents et grands parents. Allez, faites un geste pour l’intégrité intellectuelle à venir de vos bambins. Ils vous remercieront plus tard.
JONATHAN ORLAND / JEAN-MICHEL PILC . Sait-on jamais
Klarthe Records
Jonathan Orland : saxophone Jean-Michel Pilc : piano
Gainsbourg est à l’honneur dans ce disque en duo. Mais reprendre les chansons du « beau » Serge sans les paroles, n’était-ce pas une gageure ? Au vu du résultat, il est clair que non car Jonathan Orland a su choisir celles dont les mélodies étaient suffisamment fortes pour être identifiables sans les mots. Enregistré en une demi journée, le disque, au-delà de sa thématique, fait la part belle à la mélodie initiale comme à l’improvisation et l’on sent d’emblée que le lien alchimique nécessaire au duo se crée dès les premières notes afin que la magie opère. Le plus surprenant, c’est que l’on se surprend à chantonner les textes en écoutant les deux musiciens jouer. Tout semble naturel dans cet exercice de style qui aurait pu être carrément casse-gueule. Le respect dû au créateur est bien présent, mais il n’empêche pas Jonathan Orland et Jean-Michel Pilc d’affirmer leur personnalité et la singularité avec laquelle ils ont abordé son œuvre. Une belle réussite pour un disque inattendu qu’on ne se lasse pas de réécouter. Cadeau de noël ?
Un autre duo saxophone / piano à l’honneur dans ces colonnes. Miguel Zenon et Dan Tepfer, deux musiciens qui mériteraient une plus grande attention dans les médias du jazz tant leur valeur est grande, se retrouve pour jouer leurs compositions et travailler deux pièces de Tristano et Ligeti. Les deux artistes ont en commun Lee Konitz. C’est pour Miguel Zenon une référence incontournable et pour Dan Tepfer un compagnon de route (qu’il accompagna jusqu’à la fin) avec lequel il a enregistré deux albums en duo. Entre le franco-américain et le portoricain, ce sont eux approches rythmiques originellement différentes qui se rencontrent et, avec bonheur, se complètent. L’écriture est toujours limpide et les thèmes se succèdent sans que jamais notre attention ne faiblisse. La pièce de Ligeti interprétée par le duo trouve naturellement sa place dans la playlist quand on sait que le compositeur hongrois a étudié la musique afro-cubaine. Au final, le dialogue entre les deux musiciens est une merveille de finesse et d’inventivité, empreinte d’un lyrisme exploratoire passionnant. La seule chose bizarre dans ce duo, c’est qu’il a été enregistré il y a plus de cinq ans et on se demande bien pourquoi il a aussi longtemps trainé sur une étagère… Cadeau de noël. Il n’est jamais trop tôt pour bien faire.
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