TIM GARLAND / JASON REBELLO. Life to life
whirlwind recordings
Tim Garland : saxophones sopranino, soprano, ténor, clarinette basse
Jason Rebello : piano
Deux pointures anglaises aux collaborations multiples et variées (Jeff Beck, Corea, Sting, Ralph Towner, Shorter, etc) se connaissent depuis trente ans et prennent le temps de faire en duo un album dont ils ont envie. Cela donne une musique où chorus et improvisations se succèdent comme à la parade. Lente ou syncopée, la musique donne à entendre la complicité des deux musiciens. Leur dialogue est fécond, c’est à la fois cérébral et organique, et il fait de leur musique un ersatz entre complexité et élémentarité intuitive. Les mélodies s’enchaînent les unes aux autres comme autant d’évidences et l’on écoute le disque en perdant la perception de la temporalité. C’est aussi simple que cela. Le dernier morceau, un traditionnel écossais transcrit bien ce qui fait le sel de cet enregistrement : une musicalité faite de rugosité douce dont la permanence est indéniable. Rien à ajouter sinon qu’il faut écouter ce très beau disque.
https://www.timgarland.com/
http://jasonrebello.co.uk/site/
JO LAWRY TRIO . Acrobats
Whirlwind recordings
Jo Lawry : chant
Linda May Oh : contrebasse
Allison Miller : batterie
Jo Lawry, vous connaissez ? Votre serviteur était passé à côté. En cherchant un peu, on voit qu’elle a passé une bonne dizaine d’années à accompagner des pointures internationales, encore Sting, Paul Simon, Peter Gabriel, et l’on s’interrogerait presque sur son jazz s’il n’y avait pas dans le line up Linda May Oh, Allison Miller et la maison de disques bien connue. De fait, il s’agit bien de jazz et, plus précisément, d’un jazz où la chanteuse prend des risques. Avec une rythmique et rien d’autre, il fallait oser se lancer. Jo Lawry le fait avec une science du chant impressionnante. Son scat est une petite merveille de précision, à l’image de son chant, lequel est riche et délié, d’une lumineuse clarté. Superbement soutenue par une batterie et une contrebasse jamais envahissantes, Jo Lawry nous a fait, par certains côtés, penser à Helen Merrill, c’est vous dire. L’ensemble est un pur régal et l’on serait bienheureux de pouvoir l’applaudir sur scène par chez nous. Mais que font les tourneurs ?
MIKKEL PLOUG . Nocturnes
Stunt Records
Mikkel Ploug : guitare
Mark Turner : saxophone ténor
Jeppe Skovbakke : contrebasse
Sean Carpio : Batterie
Mikkel Ploug et Mark Turner jouent ensemble depuis une douzaine d’années. Comme le guitariste connaît également bien le contrebassiste et le batteur, l’on s’aperçoit dès les premières notes que l’on a affaire à un de ces disques que l’on écoutera régulièrement. De plus, en faisant le pari de réarranger des pièces classiques, notamment du compositeur Bent Sørensen (1958), mais également de Carl Nielsen (1865-1931) et Valentin Sylvestrov (1937), le guitariste aborde des musiques nouvelles auxquelles il ajoute des pièces écrites par ses soins. L’ensemble va de la respiration méditative au souffle ample et vif. Dans ce jazz contemporain, Mark Turner s’épanouit et fait parler sa sensibilité créative, sa fluidité complémentaire à celle de Mikkel Ploug. Cérébral sans excès, cet enregistrement aux vastes paysages (qu’il nous a plu de ressentir aqueux) emporte l’auditeur dans un univers dont la finesse d’invention se révèle évidente, presque simple. La rythmique étant au diapason des deux leaders, l’unité du quartet est patente et elle permet une exploration très aboutie des thèmes joués. Recommandé.
SIMONA PREMAZZI . Wave in gravity
Autoproduction
Simona Premazzi : piano
Voici un très bel album de piano solo. Simona Premazzi est italienne et installée à New York. Hormis quelques compositions originales, l’on trouve dans ce Cd des titres de Cole Porter, de Bach, d’Andrew Hill, de Monk ou encore de Rogers & Hart et Frank Loesser. Une palette variée donc à laquelle la pianiste, avec un jeu clair et délié, dynamique et fioritures excessives, donne une autre vie. D’une sensibilité évidente, ses interprétations sont remarquables d’inventivité. Les arabesques qu’elle dessine fort la part belle à un lyrisme point trop emphatique. L’on entend avec grand plaisir une pianiste qui joue avec son âme et sa raison, oscillant sans cesse entre les deux pôles. Ses pièces improvisées démontrent quant à elles une science de l’harmonie et de la couleur redoutables. Ajoutez à cela une phraséologie du discours entièrement maîtrisée et vous obtenez « un très bel album de piano solo ». Vivement recommandé.
LEAP DAY TRIO . Live at the café Bohemia
GiantSteps Arts
Matt Wilson : batterie
Mimi Jones : contrebasse
Jeff Lederer : saxophone tenor
Un nouvel album chez GiantSteps Arts, organisation à but non lucratif axée sur le soutien aux musiciens, c’est toujours un plaisir car on est sûr de la qualité de la musique enregistrée. Avec ce trio sax / contrebasse / batterie capté live par le légendaire Jimmy Katz, c’est une évidence. Dans le mythique Café Bohemia ouvert en 1955 et fermé en 1960 avant de rouvrir en 2019, Matt Wilson, Mimi Jones et Jeff Lederer forment un trio très ouvert qui ne se refuse rien. L’auditeur est le premier à en profiter. Le titre du premier morceau étant « Dewey spirit », vous savez d’entrée où vous mettez les pieds. L’interplay et l’improvisation se taillent la part du lion. C’est une terre d’aventure qui permet à chaque musicien d’exister sous le regard de ses condisciples. Chacun amène son lot de compositions et les trois, ensemble, les malaxent, les réinventent. Le dialogue est fécond, il est mélodique aussi. Le son ample de la contrebassiste est un régal, tout comme la souplesse dynamique du batteur et leader. Jeff Lederer est, avec son discours inventif et tourmenté, à l’unisson de ses collègues. Du grand art.
https://www.mattwilsonjazz.com/
https://www.giantsteparts.org/
ZACK LOBER . No fill3r
ZenneZ Records
Zack Lober : contrebasse
Suzan Veneman : trompette
Sun-Mi Hong : batterie
Ce trio serait presque hollandais si le leader n’était pas canadien et la batteuse coréenne. Ceci dit, les trois vivent au Pays Bas et ils ont bien fait de se rencontrer. Quelque part entre le swing et Ornette, leur musique improvisée se développe en mouvements amples faisant à l’âpreté comme au relâchement. Enregistrée en live dans le studio, elle se nourrit d’elle-même ; au-delà de l’instantanéité, elle profite de la culture musicale des musiciens pour voir plus loin que le bout de son nez. Le contrebassiste comme la trompettiste ne manquent pas d’âme et de désir exploratoire. Avec eux, la batteuse fait montre de jeu d’une extrême finesse (ce que nous avions noté sur scène en décembre dernier) qui laisse de l’espace aux sonorités qu’elle déploie. Sur cette terre d’aventure harmonieuse, le trio se laisse aller pour le meilleur. C’est aéré et aérien, avec à l’évidence une belle complicité qui simplifie les choses et densifie leur musique. Un très beau disque qu’il ne faut pas rater.