Mark Turner : saxophone tenor Gary Foster : saxophone alto Putter Smith : contrebasse Joe LaBarbera : batterie
Un hommage à Wayne Marsh, Lee Konitz et Lennie Tristano, c’est l’objet de ce disque indispensable où Mark Turner rencontre le légendaire Gary Foster de trente ans son aîné et collaborateur de Marsh par le passé. Avec ce quartet sans instrument harmonique, la liberté de jeu des saxophonistes prend le dessus. Rien ne les empêche de croiser le fer sans restriction. Propulsé par une rythmique au groove aussi efficace que classique, les deux saxophonistes entrelacent les mélodies complexes avec toute la force de leurs inventivités respectives. Leur technique, toute en agilité et en ingéniosité les place dans un espace musical qui relève du phénoménal. Tout dans ce double CD démontre leur respect des figures tutélaires auxquelles Turner et Foster vouent un culte. Cela ne le bride pas pour autant et ils savent faire entendre le talent original qui nourrit leurs travaux depuis longtemps maintenant. Plus étonnant encore, à l’écoute, l’on n’imagine nullement la différence de génération qu’il y a entre les deux saxophonistes. Mais il faut dire que c’est un disque de musiciens experts, alors… Et l’on ne parle pas là de technique uniquement. Les quatre apportent lors de ce concert une créativité et un sens du collectif qui multiplie le plaisir d’écoute. Assister à ce concert ne nous aurait pas déplu, pour sûr tant l’excellence tutoie les sommets. Jouissif !
ERLEND APNESETH TRIO with FRODE HALTLI . Salika, molika
Hubro Records
Erlend Apneseth : violon Hardanger Stephan Meidell : guitare acoustique baryton, zither, live sampling et électronique. Øyvind Hegg-Lunde : batterie, percussions Frode Haltli : accordéon
Dans la tradition de son label, le violoniste norvégien réunit les opposés en mêlant l’archaïsme et le modernisme, le folklore traditionnel de son pays, l’improvisation expérimentale et l’électronique. On retrouve dans cet album cette étrange sensation de ralentissement de la temporalité et l’expression d’une spatialité autre qui caractérisent, nous semble-t-il le cœur musical de ce pays. La sonorité particulière du violon Hardanger n’y est pas pour rien et son mariage avec l’accordéon de Frode Haltli et la guitare baryton de Stephan Meidell aussi. Hélas, les « spoken words » nous sont totalement inaccessibles, barrière du langage n’aidant pas. Fort heureusement, les voix entendues portent en elles une charge émotionnelle qui peut faire oublier le signifiant au profit de l’imaginaire. La variabilité du mouvement rythmique et les textures tout au long de l’album définissent l’esthétique propre à chaque composition. Le sentiment d’évoluer oralement dans un moyen-âge futuriste est assez étonnant pour être notée. Parfaitement rendue, comme toujours chez Hubro, cette musique surprendra certains mais devrait cependant rencontrer l’aval de tous car sa richesse intrinsèque est évidente et, pour tout dire, passionnante. Un voyage conseillé donc. Mais est-ce encore du jazz ? Euh… On s’en fout.
Zhenya Strigalev aime être libre par dessus tout et sa musique traduit bien cette urgence fondamentale qui l’habite. Avec ce disque à la couleur rock, mais pas que, enregistré à Saint Petersbourg, il expose en compagnie du guitariste argentin Federico Danemann ses états d’âme avec une vigueur peu commune. Virtuose et inspiré, il l’est. Alors, et sans occulter aucun de ses dons, il est à même de porter loin l’exigence sur la forme comme sur le fond. Il en découle une musique à l’esprit combatif et festif, toujours prête à tutoyer l’ailleurs et à laquelle l’on trouve quelques affinités avec son altesse Jimi H., notamment dans sa capacité d’improbabilité exploratoire. Poussés par une rythmique taillée dans un granit éclairé de veines limpides, Luques Curtis et Obed Calvaire, lui et son comparse guitariste (aux accents de temps à autre Old Sco) tricotent un jazz d’aujourd’hui excessif, plein d’esprit, dont les mélodies gonflées à la vitamine post punk déraillent à merveille, éructent et éclatent de rire, ou de rage, quand ça leur chante. A la fin du long avant dernier morceau, sur un rythme reggae surgi de nulle part, il présente avec conviction ses musiciens comme s’il était sur scène… Sympathique et déjanté, ardent et fécond, joliment déraisonnable, ce CD au caractère bien trempé est fait pour toutes les ouïes avides de musique nutritive, engagée dans une création d’obédience libertaire.
Fabian Almazan : piano, électronique, percussions Linda May Han Oh : contrebasse, basse Henry Cole : batterie Megan Gould : violon Monica Davis : violon Karen Waltuck : alto Eleanor Norton : violoncello
Natif de Cuba, élevé à Miami et résident aujourd’hui à Harlem, Fabian Almazan appartient à cette jeune génération de musiciens qui réinventent la tradition musicale de leur lieu de naissance. Pour se faire, il la mêle aux explorations les plus contemporaines du jazz d’aujourd’hui. Fabian Almazan le fait très bien, c’est le moins que l’on puisse dire. Accompagné par une paire rythmique que l’on peine à décrire tant elle est diabolique de précision, d’énergie maîtrisée et d’imagination, Fabian Almazan possède la chaleur bouillonnante, la vivacité et l’expansivité de ses origines. Ses qualités intrinsèques sont doublées d’une technique hors pair jamais envahissante alliée à un sens de la dramaturgie musicale époustouflant que l’on décèle immédiatement dans son écriture nourrie d’influences multiples, aussi bien classique que jazz et contemporaine. Animé par un feu intérieur communicatif, le trio excelle dans le débordement contrôlé et la tension ultime tout comme il sait être évanescent et souple dans les moments les plus intimistes. Les touches discrètes d’électronique participent à l’épaisseur du propos mélodique, le renfort d’un quatuor à cordes aussi. Ce disque très attachant ne rentre pas dans la case strictement cubaine mais plutôt dans un univers musical fédérateur, multiculturel, panaméricain qui transcende les genres et trouve son aboutissement dans une originalité réelle qu’il sera intéressant de suivre de près dans les années à venir.
Giovanni Mirabassi : piano Sarah Lancman : voix Olivier Bogé : saxophone
Un répertoire de vieilles chansons italiennes, neuf pour être précis, permettent à Giovanni Mirabassi et Sarah Lancman de continuer leur fructueuse collaboration musicale dans le cadre intimiste du duo piano/voix, enrichi sur quatre titres par le saxophone d’Olivier Bogé qui ne nuit pas à l’ambiance générale du disque, bien au contraire. Dans cet éloge de la mélodie transalpine, le timbre au charme capiteux de la chanteuse et le toucher clair au lyrisme naturel du pianiste s’accordent à la perfection pour traduire les intentions et les émotions qui parcourent ces chansons. A aucun moment, les deux musiciens ne forcent le trait outre mesure. Tout est fluide sans jamais être plat car Sarah Lancman sait se laisser emporter (pas déborder) par l’émotion et Giovanni Mirabassi, en accord avec cette voix, sait comment graviter autour d’elle avec ce phrasé caractéristique qui offre à la circonvolution mélodique des miroitements propices à la rêverie mélancolique. Vous allez donc écouter un disque sensible, doucement bouillonnant, un disque qui risque simplement de troubler votre épiderme par quelques frissonnements complices. N’est-ce pas ce que l’on demande à la musique en particulier et à l’art en général ?
PHILIP CATHERINE / PAULO MORELLO / SVEN FALLER . Manoir de mes Rêves
Enja Yellow Bird
Philip Catherine : guitare Paulo Morello : guitares électrique et acoustique Sven Faller : contrebasse
Le guitariste anglo-belge que l’on préfère est de retour dans les bacs avec ce nouveau trio. Accompagné par le guitariste Paulo Morello et le contrebassiste Sven Faller, tous deux allemands, il s’attache à un répertoire de classiques et de chansons qu’il aime depuis toujours. Cela va de Brassens à Paul Misraki ou Michel Berger (en hommage à Maurane) Ajoutez un titre de Django Reinhardt, un autre d’Henri Salvador, un Eddy Louiss de derrière les fagots, et vous obtenez un savant mélange à la saveur un tant soi peu nostalgique. Rien n’est surfait dans ce disque. Les trois artistes se complètent à merveille et l’on avance paisiblement dans ces mélodies qui nous accompagnent (nous les vieux…) depuis quelques décennies et dont il faut bien avouer qu’on les écoute aussi rarement qu’on ne s’en lasse pas, si vous voyez ce que l’on veut dire. L’atmosphère générale du disque est au calme et au plaisir serein du jeu entre amis musiciens qui savent partager leur talent avec l’auditeur. C’est simplement bien fait (nous n’avons pas dit que c’était facile) et nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher un individu quelconque aimant la musique de ne pas écouter cet enregistrement à la quiétude salutaire.
Francesco Bearzatti : saxophone ténor Benjamin Moussay : fender rhodes Roberto Gatto : batterie
Il n’y a pas un saxophoniste de jazz vivant sur terre aujourd’hui qui ne soit pas, peu ou prou, un disciple de John Coltrane (vous savez, ce type mort en 1967 auquel on cherche désespérément un successeur…). Où il joue du Kazoo. Bref, la musique écrite par le saxophoniste de Porderone pour ce disque, avec Benjamin Moussay et Roberto Gatto, est à son image : pleinement respectueuse et totalement parcourue par les courants musicaux multiples qu’il affectionne de fréquenter au gré de ses désirs. Francesco Bearzatti est un homme ivre de musique et il est inimaginable qu’il ne donne pas plus qu’il ne peut quand il est sur une scène. Ce disque hommage, qui contient aussi une composition de Coltrane et un traditionnel, est gorgé de vie et d’espace, d’élévation et de fureur intime. C’est d’ailleurs par ce biais qu’il se rapproche du maître car, de bout en bout, c’est bien Francesco Bearzatti que l’on écoute, libre de toute attache et toujours prêt à partager avec nous son envol. Ses acolytes l’épaulent (bien plus qu’ils ne le suivent) avec un engagement total et donnent à ce trio un volume musical imposant et une vraie charge émotionnelle qu’ils transmettent sans peine au public. Un disque ardent, pleinement humain. Comme on les aime.
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