Des disques allant du solo au big band déjanté, du jazz classique au jazz hybride, de quoi susciter votre intérêt en cette période de disette due au virus. Patientons et n’hésitons pas à acheter les disques des musiciens qui sont encore empêchés de se produire sur scène.
BENJAMIN MOUSSAY . Promontoire
Ecm
Benjamin Moussay : piano
- Pour son premier disque en solo chez Ecm Benjamin Moussay ne change rien. Il se contente d’être lui-même et de produire la musique qu’il aime créer, celle-là même que nous aimons écouter. Entre introspection, minimalisme mélancolique et échappée subite vers des ailleurs lyriques à redéfinir sans trêve, Benjamin Moussay arpente son clavier en inventant le chemin. Peu savent le faire ainsi, avec autant d’élégance et d’imagination. Peu savent quel est le bon dosage entre le trop et le pas assez ; lui sait où se trouve l’équilibre qui permet à un narrateur de raconter ses histoires, de manière claire et concise, sans être pris par les auditeurs pour un bavard impénitent. Sensuel en toute occasion, le pianiste fait preuve dans cet album d’un savoir-faire qui laisse à l’instinct une place de choix. Le temps semble s’étirer entre ses notes tel l’air entre les gouttes. Onirique, spectrale, baignée dans des nuances où classique et jazz s’entremêle pour le meilleur, la musique de Benjamin Moussay est celle d’un créateur en pleine maturité. Il creuse et creuse encore un sillon musical qui n’appartient qu’à lui et qui le place parmi les incontournables de ce début de XXIème siècle ; ils ne sont pas si nombreux sur ce promontoire…
https://www.benjaminmoussay.net
MATTHEW SHIPP . The piano equation
Tao Forms Records
Matthew Shipp : piano
Au fil des années, Matthew Shipp a construit une œuvre qui lui est propre. Son langage musical est parfaitement original et ne cesse de s’enrichir. S’il lui arrive souvent d’évoluer dans des contrées abstraites, il n’en demeure pas moins le tenant d’une éloquence qui prend naissance dans sa capacité narrative à développer les formes. Quel que soit l’exploration en cours, il renouvelle les angles d’approche et surprend l’auditeur plus souvent qu’à son tour. Les genres s’entrechoquent dans son jeu avec bonheur. Avant-gardiste certes, il est tout de même capable de swing racinaire. Pour chaque morceau, Matthew Shipp suit sa logique personnelle et son vocabulaire peut paraître étrange. Les mélodies fragmentaires s’agglutinent sous ses doigts de toutes les manières possibles, formant ainsi des kaléidoscopes à l’expressionnisme hypothétique ( à moins qu’il s’agisse d’un impressionnisme spéculatif). Cela peut sembler fantasque, scientifique ou même politique, mais ce n’est jamais gratuit car le pianiste ne nie pas sa radicalité et c’est tout à son honneur. Au final, c’est tout simplement remarquable et vivement conseillé.
http://www.akamu.net/shipp.htm
HERO TRIO RUDRESH MAHANTHAPPA
Whirlwind Records
Rudresh Mahanthappa : saxophone alto
François Moutin : contrebasse
Rudy Royston : batterie
- Tout l’intérêt du trio saxophone / contrebasse / batterie réside dans la liberté exploratoire qu’il offre aux musiciens. Son défaut, c’est qu’il ne pardonne pas les erreurs. Le Hero trio de Rudresh Mahanthappa s’en tient avec une aisance déconcertante à la première assertion évoquée ci-dessus. Les trois membres du trio ne font qu’un et l’organisme vivant ainsi inventé se pare des couleurs chamarrées qu’impose le melting-pot musical. Le saxophoniste a construit cet album autour d’une playlist en forme d’hommage aux musiciens qui ont compté pour lui. L’on va ainsi de Parker à Madame Cash, de Stevie Wonder à Coltrane et Rollins, etc. L’on a retenu à l’écoute de cet opus bouillonnant, la force brute du trio, sa puissance au service d’une musique laissant le champ libre à l’improvisation. Les musiciens (qui ont un long compagnonnage) se poussent dans leurs retranchements et mettent naturellement en avant leurs qualités personnelles sans jamais nuire au collectif. Tout l’album vibre de phrases en tension, d’éclats mélodiques et de rythmes densément terrestres. Et c’est avec cela que les trois s’envolent et nous embarquent pour des contrées incendiaires où la création prédomine sur tout. Juste parfait !
MELANIE DAHAN . Le chant des possibles
(Backstage Production / l’autre distribution
Mélanie Dahan : voix
Jérémy Hababou : piano
Jérémy Bruyère : contrebasse, basse
Arthur Alard : batterie
Benjamin Petit : saxophone (5)
Philippe Maniez : batterie (2)
- Bon, sur ce coup, j’avoue que nous sommes en retard et que nous chroniquons là un disque sorti en janvier qui mérite pourtant que l’on s’attarde dessus. Mea Culpa. Or donc, Mélanie Dahan, comme beaucoup de chanteuse française estampillée « jazz » mène une carrière discrète dans un univers musical saturé par des productions grand public prétendument magnifiques et indispensables… Et cela ne va pas s’arranger avec ce disque où les compositions du pianiste Jeremy Hababou sont le support à des textes d’auteurs français tels Andrée Chedid, Tahar Ben Jelloun, Bernanos, Henri De Regnier, Bernard Joyet et même Houellebecq. De quoi faire peur à n’importe quel média en quête d’audience. Mais peu importe. Ce qu’il faut retenir c’est que Mélanie Dahan est une interprète de caractère, qui privilégie la langue française, et qui sait donner du sens à son chant. Elle le fait avec une technique implacable et une sensibilité exacerbée. Entre raffinement et douceur, son chant n’en demeure pas moins le vecteur du feu intérieur dense qui l’habite. Et ainsi font sens les textes triés sur le volet qu’elle a choisi d’interpréter dans ce disque où les musiciens accompagnateurs sont un peu plus que cela. L’ensemble est parfaitement équilibré. Le swing et la lenteur de l’apaisement se succèdent tout au long de la playlist de manière harmonieuse et la voix claire et nuancée de la chanteuse tient le tout musical de l’album avec une maturité et un bon goût seyant bien à celles et ceux qui savent ce qu’ils ne veulent pas. Mélanie Dahan, elle, embrasse les champs du possible vocal avec un art consommé de la couleur.
JERRY GRANELLI TRIO . Plays Vincce Guaraldi & Mose Allison
RareNoiseRecords
Jerry Granelli : batterie
Jamie Saft : piano
Bradley Christopher Jones : contrebasse
Vu le label, l’on s’est dit avant d’écouter l’album qu’avec Jamie Saft au piano, le batteur devait être un gars de la nouvelle génération. Mais vu qu’il est né le 30 décembre 1940, on découvre une fois de plus nos lacunes. Ceci dit, on connait Vince Guaraldi. D’accord, c’est cause du Noël de Charlie Brown… Souvenez-vous Linus & Lucy… Et on connait également Mose Allison, pianiste chanteur estampillé par ses fans et la critique comme étant « l’inventeur du blanc ». Nous, on apprécie ses textes sarcastiques (Dylan, à côté, c’est un enfant de chœur), souvent repris par quelques pointures du rock, Costello et Iggy en tête. Alors quoi, le l’octo-batteur et ses collègues puisent dans le catalogue de deux compères de quoi faire de la bonne musique avec l’idée fixe de la réinventer. Et comme ils possèdent dans leurs vécus de quoi le faire, ils ne se gênent pas et livrent un Cd riche en couleurs, mélodique à souhait et non exempt de dérapages contrôlés. Le batteur à la présence discrète des musiciens de bon goût. On le repère cependant suffisamment pour savoir qu’il est le leader. Ses acolytes sont épatants. Mais bon, vous savez déjà que l’on apprécie le versatile Jamie Saft. Au final, on obtient un disque franchement sympathique qui peut s’écouter et se réécouter avec un plaisir non dissimulé. Que demande le peuple ? Hein ? De la bonne musique comme celle-ci. Et puis la pochette est sympa…
GARD NILSSEN SUPERSONIC ORCHESTRA . If you listen carefully the music is yours
Odin Records
Gard Nilssen : batterie
Hanna Paulsberg :saxophone ténor, percussions
Kjetil moster : saxophones, percussions
André Roligheten : saxophones, clarinette basse, percussions
Per johanson : : saxophones, clarinette basse, clarinette, percussions
Maciej Obara : saxophone alto, percussions
Mette Rasmussen : saxophone alto, percussions
Eirik Hegdal : saxophones, clarinette, percussions
Thomas Johanson : trompette, percussions
Goran Kajfes : trompette, percussions
Erik Johannesen : trombone, percussions
Peter Eldh : contrebasse, percussions
Ingebrigt Flaten : contrebasse, percussions
Hans Hulbaekmo : batterie, percussions
Hakon mjaset johansen : batterie, percussions
- N’y allons pas par quatre chemins, dès les premières mesures, la puissance du Supersonic Orchestra fait parler la poudre et tout part joliment en couille, histoire de savoir illico où vous mettez les oreilles. Enregistré en live au Molde Jazz Festival, ce disque vibrant possède l’énergie de la scène. Emmené par le batteur Gard Nilssen, il propose une suite de titres tous plus intéressants les uns que les autres. Propulsé par trois batteries et deux contrebasses, les soufflants construisent, ligne après ligne, une forme de vacarme tumultueux aux textures accrocheuses. L’omniprésence du rythme articule les débats et l’on reconnait au passage la folie aventureuse de Mette Rasmussen dans un solo comme elle seule sait les délivrer. Mais le groupe entier est à lui seul un all stars du jazz norvégien qui sonnent comme une bande de complices prêts à tout pour faire les bons coups musicaux avec une audace et un sens de l’expérimentation qui fait plaisir à ouïr. Entre les sons, on piochera des références à Mingus, à l’Africa Brass de Coltrane ou encore au Sun Ra Arkestra. L’ensemble est une alternance de cousu main et de décousu qui marient les contrastes avec bonheur et, sous une apparence première de joyeux bordel, vous découvrirez une musique parfaitement mise en scène pour capturer le chaland avant même qu’il s’en aperçoive. En résumé, le Supersonic Orchestra est une sorte d’avion gros porteur qui décollerait comme une navette spatiale et qui se paierait le luxe de la voltige aérienne avec une précision qui s’accorde à son statut de grande formation à la créativité permanente. Vivement recommandé.
https://gardnilssensupersonicorchestra.bandcamp.com