Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Juin 2024

DAS KAPITAL . One must have chaos inside to give birth to a dancing star

Label bleu

Daniel Erdmann : saxophone
Hasse Poulsen : guitare
Edward Perraud : batterie

Das Kapital, le retour. L’ovni musical germano-dano-français aux tendances trublionnesques que l’on écoute depuis un sacré bout de temps maintenant publie un nouvel album qui tranche avec les précédentes productions. Beaucoup plus sombre, pour tout dire, à l’image de notre temps ? Quoi qu’il en soit, l’intime connexion musicale entre les membres du trio est plus que jamais là pour magnifier leur musique dans cette esthétique (un peu sépulcrale) qui fleure bon l’incertitude et l’enténèbrement. Souterraine et organique à bien des égards, elle distend la temporalité en imposant des rythmiques souvent obsessionnelles qui sont probablement proches du chaos et de la gestation de l’étoile dansante évoqués dans le titre de l’album. Pour avoir la réponse, Relisez « Ainsi parlait Zarathoustra » ou laissez-vous immerger dans cette somme musicale, très poétique, riche d’un lyrisme qui ne cache pas ses failles. Cela vous fera le plus grand bien.

http://www.das-kapital.com/


HUGO DIAZ . Confluences

L’horizon violet

Hugo Diaz : saxophone soprano
Alexandre Cahen : piano
Vladimir Torres : contrebasse
Louis Cahen : batterie

Pour son premier disque, le franc-comtois Hugo Diaz démontre qu’il possède déjà un univers bien à lui. A la croisée des genres, ses compositions relèvent de la broderie la plus fine, avec des variations de timbres bien senties et quelquefois intrigantes au bon sens du terme. Toujours mélodiques, les dites compositions sont en outre construites dans une fluidité proche de l’écoulement liquide qui donne à l’écoute du disque une forme de continuité aussi séduisante qu’apaisante. Offrant en toute circonstance de l’espace, elles permettent aux membres du quartet d’exister pleinement. C’est donc un effort musical commun qui parcourt l’ensemble de l’album et il est évident qu’il donne tout son sel à l’interprétation de l’ensemble des titres. Le jeu du leader est suffisamment habité et profond pour embarquer avec lui ses collègues au profit de la musique, sans virtuosité excessive mais avec un à-propos certain. Nul doute qu’Hugo Diaz possède un bel avenir. Nous sommes curieux de voir où le mèneront ses nombreuses et déjà patentes qualités.

https://www.hugodiazmusic.com/


  KENNY BARRON . Beyond this place

Artwork Records

Kenny Barron : piano
Immanuel Wilkins : saxophone alto
Steve Nelson : vibraphone
Kiyoshi Kitagawa : contrebasse
Johnathan Blake : batterie

Non content d’être une légende vivante, Kenny Barron est un octogénaire en pleine forme et ce nouvel opus le confirme très largement. Toujours raffiné, et même élégant, doté d’une attaque encore énergique et capable d’originalité dans ses choix, il embarque avec lui la sensation actuelle du saxophone Immanuel Wilkins, le vieux routard Steve Nelson et une rythmique solide et solidaire, histoire d’écrire une autre page du jazz. Quels que soient les détours empruntés, Kenny Barron n’oublie pas son swing et qu’il est l’un des derniers représentant d’une tradition pianistique au passé glorieux (le regretté Hank Jones et Tommy Flanagan étant selon nous ses ancêtres les plus proches). Le quintet de cet enregistrement est un parfait exemple des talents multiples du pianiste, notamment en matière de contraste. La dynamique d’ensemble est à l’image du maître, riche d’une culture jazzistique qui traverse de nombreuses décennies. C’est la force de ce disque de n’être jamais passéiste car souvent surprenant pour le meilleur. Ne vous privez pas de l’écouter.

https://kennybarron.com/


JOHN ESCREET . The epicenter of your dreams

Blue Room Music

John Escreet : piano
Mark Turner : saxophone
Eric Revis : contrebasse
Damion Reid : batterie

On trouve dans ce nouveau disque de John Escreet le trio de « Seismic shift » (2022) qui convie pour l’occasion l’un des plus grands improvisateurs de sa génération, nous avons nommé : Mark Turner. D’entrée de jeu, c’est l’énergie déployée qui nous a frappés, tout comme nous a séduit la superbe cohésion entre les membres du quartet. Du jazz contemporain comme celui-ci, on en redemande. Mark Turner est impérial et chacune de ses interventions relève de la grâce faite saxophone. La rythmique (épatant Eric Revis) tient la baraque et semble vouloir pousser le leader et son invité dans leurs retranchements. Ils n’ont pas besoin de cela pour être eux-mêmes et déployer une musicalité hors pair. Les moments d’accalmie ne changent rien à la donne, la densité et l’inventivité sont au rendez-vous. Sur toutes les compositions, qu’elles soient de John Escreet, du quartet ou d’Andrew Hill ou encore de Stanley Cowell, l’unité générée par ce groupe au service de la musique est plus qu’impressionnante. C’est ce que l’on appelle « une tuerie » et vous ne manquerez pas de vous jeter dessus.

https://www.johnescreet.com/


HELVETICUS . Our way

Blazser Music

Samuel Blaser : trombone
Heiri Känzig : contrebasse
Daniel Humair : batterie

L’album 1291, le premier du trio, publié il y a quatre ans, avait été remarqué en bien. Ce nouvel album le sera aussi et, à notre humble avis, plus encore que le précédent. La raison ? Le trio a beaucoup tourné. Rien de tel qu’un combo régulièrement réuni pour asseoir une cohésion propice à l’expression musicale la plus belle. Entre compositions originales, standards et traditionnels helvètes, les trois suisses, avec une grande inventivité, alternent les propositions sans jamais se départir de leur intrinsèque cohérence. Chacun met à contribution sa personnalité au profit du trio. C’est redoutablement intelligent en toute circonstance et diablement créatif. Chaque titre porte sa part d’originalité et le traitement réservé est toujours adéquat. On ne manque pas au passage de noter que leur sens de l’humour est aiguisé, sinon acéré, et cela ajoute une dimension ludique qui n’est pas en contradiction avec le très (très, très) haut niveau musical de l’ensemble et les émotions qu’il dégage. Tirée au cordeau, avec une aisance époustouflante et un sens de la narration aigu, la musique de l’Helveticus est un cadeau que vous avez l’obligation de vous faire, sous peine de passer à côté d’un grand moment de jazz à l’âme bluesy, d’une tranche d’enfance de l’art exécutée avec une maestria et une élégance enthousiasmantes.

https://www.samuelblaser.com/


  ENRICO PIERANUNZI . Fauréver

Bonsaï Music

Enrico Pieranunzi  : piano
Diego Imbert : contrebasse, basse
André Ceccarelli : batterie
Simona Severini : chant (3.6.9)
Gabriele Mirabassi : clarinette (4.8.11)

Le lien tissé depuis longtemps entre classique et jazz par le maestro Enrico Pieranunzi s’exprime une fois de plus avec ce nouveau disque où l’on retrouve les fidèles Diego Imbert et André Ceccarelli. Sont invités la chanteuse Simona Severini et l’éminent clarinettiste Gabriele Mirabassi (qui lui aussi aime tout particulièrement embrasser les deux mondes). Cette fois, c’est Gabriel Fauré qui est à l’honneur et le traitement qui est réservé à sa musique démontre, mais le faut-il encore, à quel point Enrico Pieranunzi est un grand maître du piano, comme de l’arrangement d’ailleurs. Ses partis-pris esthétiques, sa fluidité, sa capacité à habiter les quatre-vingt-huit touches, sa science du traitement mélodique, éclairent à tout instant cet enregistrement. Simona Severini et Gabriele Mirabassi cumule leurs lyrismes respectifs à celui du romain et les trois sont portés par une rythmique aussi aérienne qu’inventive, ce qui n’étonnera personne ! Dans ce Cd où la musique et ses subtiles harmonies semblent couler de source, c’est un jazz éloquent, aux digressions habiles et généreuses qui s’exprime. L’on ne peut que s’incliner devant une telle « élégance de l’art ».

https://www.enricopieranunzi.it/


  LENNIE’S

Soprane Records

Ludovic Ernaut : saxophone alto
Pierre Bernier : saxophone ténor
Jean-Christophe Kotsiras : piano, compositions
Blaise Chevallier : contrebasse
Ariel Tessier : batterie

Le nom du groupe affiche clairement ce dont il s’agit : partir sur les traces de Lennie Tristano, après avoir fréquenté sa théorie et son esthétique, lui rendre hommage en quelque sorte, sans tomber dans le piège de la redite vide de sens. Qu’il interprète les compositions de Jean-Christophe Kotsiras ou celles de Tristano, de Konitz et Billy Bauer, le quintet fait preuve d’une réelle personnalité. Tout est travaillé avec finesse et bien que la complexité de l’affaire parcoure l’ensemble du Cd, cela passe dans les oreilles avec une fluidité fort sympathique. Si la musique du pianiste chicagoan a marqué son époque (et quelques élèves célèbres dont le plus connu demeure Lee Konitz), elle a par voie de conséquence laissé une empreinte durable sur le jazz d’aujourd’hui ; la preuve en est que ce quintet de la jeune garde hexagonale s’en empare sans peur et on ne leur reproche pas de le faire, bien au contraire. D’ailleurs, il donne à cette école tristanienne intellectuelle et plutôt froide, une chair et une chaleur nouvelles qui font de cet enregistrement une belle réussite.

https://www.jckotsiras.com/

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