Marta Sanchez : piano Chris Tordini : contrebasse Savannah Harris : batterie
Après quatre disques remarqués en quintet, Marta Sanchez aborde le trio. Dans ce nouveau disque, on retrouve ses qualités créatives habituelles, notamment sa capacité à créer des formes complexes et son goût marqué pour le contrepoint. Toujours mélodique sur le fond, elle a l’opportunité en trio de développer son jeu et d’interagir plus encore avec sa rythmique. Cela donne à écouter une musique habitée, riche en rebondissements, percussive souvent et d’une expressivité chaleureuse. Ce pourrait être, si l’on considère l’abondante intrication féconde qui la caractérise, abstrus ; mais la madrilène évite cet écueil en conservant une clarté rayonnante dans les lignes fiévreuses qu’elle trace en osmose avec un contrebassiste et une batteuse infaillibles qui la portent plus qu’ils ne l’accompagnent. Quand la cadence ralentit, avec les solos Prelude to a heartbreak et Prelude to Grief, puis à la suite The absence of the people you long for et The end of that period, l’émotion prédominante enrichit le discours et les paysages musicaux se font plus aérés, oniriques aussi et empreints d’une perceptible mélancolie. Vous l’avez compris, Marta Sanchez possède une voix qui n’appartient qu’à elle et l’on ne doute pas qu’elle occupera toujours plus les sommets d’un jazz vibrant en tout point éblouissant.
Ce jeune guitariste islandais (1995-) aime à dire qu’il affectionne tout particulièrement Bob Dylan et Joni Mitchell. Il qualifie en outre sa musique de mélange entre jazz, pop et impressionnisme. Au cœur de son travail de composition, on trouve un goût pour la mélodie qui ne se dément pas tout au long de l’album. Son jeu délié, épris de contraste et de sinuosité, est on ne peut plus jazz. Mikael Máni écrit donc des chansons extrêmement lisibles, quasiment des pop songs, et les traite avec une originalité patente. Il apprécie d’alterner les éclats quasi bruitistes et la douceur fluide, de tourner autour de son thème sans jamais le perdre de vue mais en incluant des cheminements dont on se demande où ils vont aboutir. C’est une partie de son art que de susciter par le jeu une écoute active. L’autre partie de son art qui touchera l’auditeur, c’est sa capacité à narrer des histoires très expressives, faites de paysages musicaux où le sensible est toujours prédominant. On en oublie presque qu’il dispose d’une technique et d’une maîtrise impressionnantes. Pour votre information, deux des morceaux sont enregistrés en multipiste, le reste est constitué de soli purs et durs. A découvrir sans faute, bien évidemment.
Monty Alexander : piano Luke Sellick : contrebasse Jason Brown : batterie
Nommer un album D Day quand on est né un 06 juin 1944, c’est plutôt sympathique. Mais là n’est pas l’essentiel. A bientôt 80 ans, Monty Alexander a conservé la patte inimitable qui est la sienne depuis six décennies. Avec un peu moins de vélocité que par le passé et une volonté claire de laisser respirer la musique, il n’en demeure pas moins un maître de la digression harmonique. Dans cet album inspiré par la seconde guerre mondiale, le jamaïcain propose quelques compositions originales et des morceaux écrits durant la période du conflit, notamment le Smile De Chaplin et le tube de Sinatra I’ll never smile again. Accompagné par une rythmique solide qui le suit avec aisance bien qu’ayant quelques décades de moins que lui, il enclenche cette machine à swing teintée de rythme caribéen capable de faire danser un cimetière entier ou les plus neurasthénique des vivants. Les grincheux diront que c’est encore et toujours du Monty Alexander, les autres diront que c’est encore et toujours du Monty Alexander ! Nous, on aime bien retrouver de temps à autre cette vision musicale optimiste ; et par les temps qui courent, un peu de feeling joyeux, ce n’est pas plus mal.
Kathrine Windfeld : piano Tomasz Dabrowski : trompette Hannes Bennich : saxophones alto et soprano Marek Konarski : saxophone ténor Johannes Vaht : contrebasse Henrik Holst Hansen : batterie
On apprécie grandement, depuis ses débuts, le travail de la pianiste danoise avec son big band. La retrouver pour la première fois en sextet eut été une curiosité si cette formation ne tournait pas régulièrement depuis quelques années. Alors même si c’est le premier enregistrement du groupe, il a déjà acquis une solide expérience et ce d’autant plus que la rythmique est celle du big band depuis dix ans. Sur cette base homogène, Kathrine Windfeld peut laisser libre cours à son écriture et mettre en valeur les solistes. Toujours aussi moderne dans sa vision musicale, elle met en œuvre une complexité qui nécessite une écoute attentive, mais comme elle ne sacrifie jamais la mélodie, on la suit avec un plaisir renouvelé car elle nous réserve toujours d’un morceau l’autre quelques surprises qui font de sa musique une construction implexe que l’on compare, non son raison, au travail des plus grandes, Mary Lou Williams, Carla Bley et Maria Schneider en tête. Les solistes ayant plus d’espace pour s’exprimer que dans le big band, ils étoffent les compositions avec d’autres couleurs et des lignes personnelles qui se fondent dans le collectif avec brio. Dans ce disque, Kathrine Windfeld démontre une fois de plus qu’elle est une des créatrices les plus intéressantes et les plus originales dans le jazz d’aujourd’hui.
Mal Waldron : piano Steve Lacy : saxophone soprano Reggie Workman : contrebasse Andrew Cyrille : batterie
Enregistrée en public le 30 septembre 1995 à Anvers, la musique contenue dans ce disque était jusqu’alors inédite. Et bien que l’on soit souvent prudent avec les inédits qui sont trop souvent des fonds de tiroir très utiles pour faire bouillir la marmite, les seuls noms des protagonistes nous ont convaincus d’écouter ce disque. Bien nous en a pris. En premier lieu, la prise de son est de qualité et, ensuite, la musique est au niveau de ces musiciens aujourd’hui iconiques non sans raison. Entre la légèreté sonore de Steve Lacy et la profondeur mélancolique de Mal Waldron, l’alchimie est ancienne (ils ont joué ensemble dès 1958). Leur goût commun pour Monk comme pour l’avant-garde les a toujours entraînés sur des territoires musicaux qu’ils ont créés de toute pièce. Libres (free) et amoureux de la mélodie, ils ont toujours su marier ces deux thématiques que tout ou presque opposait à l’époque, inventant une convergence des contraires qui fut leur marque et le demeure aujourd’hui. Étant en sus accompagnés par une rythmique de rêve avec lesquels ils ont souvent joué, Waldron et Lacy sont là à un niveau d’excellence absolument remarquable. Une belle surprise à ne pas manquer.
Echoes of time, tout un programme en soi ! L’un des batteurs les plus fins qu’il soit donné d’entendre, associé avec des complices de longue date, ouvre sa musique à l’électronique et propose un voyage passionnant ; portée vers des couleurs nouvelles, cette dernière prend plaisir à brasser les sonorités et les rythmes. Que le groupe se livre pleinement à des ambiances planantes ou agitées, il le fait avec une conviction chaleureuse ; pas un moment où n’éclate pas aux oreilles l’osmose qui lie les membres du quartet. Les signatures Codja et Huby, de celles que l’on repère rapidement en toute circonstance, se mêlent avec bonheur, poussées par une rythmique luxueuse qui n’est pas qu’une rythmique. Ajoutez à cela, que l’esprit aventureux des compositions de Christophe Marguet nous a fait quelquefois penser au travail du Groupe Oregon (ce qui est selon nous un compliment), il y a longtemps, et vous avez une idée de ce qui vous attend à l’écoute de ce disque généreux, gorgé d’une sève créatrice qui se démarque clairement de biens des productions actuelles qui, avouons-le, nous lassent souvent. Que ce disque soit débridé ici ou en apesanteur là ne change rien à l’affaire : il est beau et furieusement vivant.
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