Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Novembre 2025

PAT THOMAS . Hikmah

Tao Forms

Pat Thomas : piano

Le pianiste anglais Pat Thomas trace son chemin depuis belle lurette sans jamais se compromettre. Fidèle à ses convictions, il livre dans cet album des improvisations exploratoires très ouvertes sur un univers original qui lui est propre. Avec un toucher très dynamique et un sens du rythme décalé (qui fait penser quelquefois à Monk) il se livre dans chacune des huit improvisations, en sinuosités et en éclats avec une densité quelquefois massive, à un périple introspectif développant des paysages dont chaque part peut être bousculée, malaxée, dans le but ultime de recomposition de l’idée initiale sous un angle toujours nouveau. Les moments où le pianiste se contente de frotter et pincer, avec plus ou moins de vigueur, les cordes de l’instrument engendrent une magie comme on n’en entend guère. Hypnotique et organique tout à la fois, encline à l’abstraction, la musique quelquefois presque bruitiste de l’artiste prospecte dans un monde inaccoutumé, nativement indéfinissable, qui joue avec la résonance et se joue de nos oreilles par des éblouissements toujours bienvenus. Le travail de Pat Thomas est un guet-apens dans lequel on sombre avec délice.

https://en.wikipedia.org/wiki/Pat_Thomas_(pianist)


  KENNY BARRON . Songbook

Artwork Records

Kenny Barron : piano
Kiyoshi Kitawaga : contrebasse
Johnathan Blake : batterie
Cécile McLorin Salvant, Kurt Elling, Catherine Russell, Jean Baylor, Ann Hampton Callaway, Kavita Shah, Ekep Nkwelle, Tyreek McDole : chant

Chanteuses et chanteurs sont convoqués par le patron sur cet album ! Le patron, c’est Kenny Barron bien évidemment. Toujours aussi élégant et accompagné par une rythmique aux petits oignons, il offre un écrin épatant aux huit voix qui interviennent au gré des morceaux. C’est classique, nous allions écrire c’est de la musique classique, mais à ce stade de science musicale, n’est-ce pas un peu le cas ? Malgré, ou grâce à, ses 82 ans, le pianiste assure avec la délicate éloquence qui est sa marque de fabrique une magnifique enveloppe aux voix, nues par essence, qui s’expriment. Les plus audacieux des auditeurs trouveront ce Cd un peu fade, mièvre ou dépassé, les autres saisiront avec bonheur toute la finesse qui traverse cette musique sans âge. La variété des tessitures, féminines et masculines, rehausse encore l’intérêt que suscite cet album qui, au final, est plus qu’agréable à écouter. Un beau cadeau de noël, tiens !

https://kennybarron.com/


  HENRI TEXIER . Healing songs

Label bleu

Henri Texier : contrebasse
Sébastien Texier : clarinettes, saxophone alto
Hermon Mehari : trompette
Emmanuel Borghi : piano, fender rhodes
Gautier Garrigue : batterie (sauf 5)
Manu Katché : batterie (3.5.8)

Infatigable, Henri Texier creuse le sillon qui est le sien, cherche dans la matière les veines, les met à nu, les brasse, les manipule, les mélange, et obtient ce son d’ensemble original qui font depuis longtemps du bien à nos sens, notamment celui de l’audition… Parfaitement accompagné par des musiciens qui vibrent à l’unisson avec lui, il déploie son savoir faire musical, bien appuyé sur des mélodies finement ouvragées à la rythmique et au lyrisme souvent entêtants, presque ethniques. Mais citons donc l’artiste : lorsque l’on entend et que l’on reçoit les vibrations de sa propre musique, on est souvent touché et ému. En réécoutant les musiques qui composent cet album, j’ai éprouvé les mêmes sentiments que lorsque je les avais imaginées des années auparavant. Elles m’ont un peu consolé et il m’a semblé nécessaire de partager ces émotions avec mes camarades musiciens et avec le public. Puissent ces musiques vous apporter de l’apaisement et un peu de « légèreté profonde », à l’instar des « Healing Songs » (chants de guérison). Nous n’en dirons pas plus mais nous vous le recommandons chaudement.

https://www.facebook.com/HenriTexierJazz/


  THEO CROKER / SULLIVAN FORTNER . Play

Act Music

Theo Croker : trompette
Sullivan Fortner : piano

Un duo piano / trompette, c’est assez rare pour être signaler. A notre connaissance, le seul actuel qui nous vient à l’esprit est celui de Marc Perrenoud et David Enhco autour de Chet Baker. Et puisqu’on en parle, le duo du même type indépassable dans notre cédéthèque est celui de paul Bley et Chet. Trêve de digression, le duo Fortner Croker est d’un autre type, mélodique, oui tout de même, mais plus aventureux dans la forme ou seulement plus contemporain peut-être. Le son voilé du trompettiste, presque enroué par moment, donne à ouïr des sonorités inusitées. Le piano vagabond de Sullivan Fortner, promène son esprit chercheur là où bon lui semble sans jamais perdre de vue l’expressionnisme discret de son collègue. Les deux se complètent et projettent un univers musical un peu brumeux qui défie le passage du temps. En cela, ce disque mérite une écoute approfondie. Quant à nous, il nous a laissé un peu sur notre faim. On ne gagne pas à tous les coups.

https://www.sullivanfortnermusic.com/
https://theocroker.com/


AMIR ELSAFFAR’S NEW QUARTET . Live at Pierre Boulez Saal

Maqam Records

Amir El Saffar : trompette
Oli Mathisen : saxophone ténor
Tania Giannouli : piano microtonal
Tomas Fujiwara : batterie

Nourri de la musique modale et mélodique du Maqam iraquien comme de jazz contemporain ouvert, l’album d’Amir Elsaffar fait une synthèse époustouflante des styles précités. Originellement un trio, le groupe intègre la pianiste grecque Tania Giannouli et crée grâce à elle et au piano microtonal des perspectives sonores qui enrichissent le propos natif du groupe. À l’écoute, la fluidité et la profondeur dans la nuance sont d’emblée notables. Quelles que soient les directions prises par le quartet, l’élégance et l’inventivité sont au rendez-vous. Tout semble couler de source, les timbres et les harmonies résonnent et ensorcèlent l’auditeur, le discours musical du quartet s’étale en un continuum où les vagues se succèdent, douces et intenses, empreintes de polyrythmies subtiles et en permanence ancrées dans une profondeur quasi ésotérique. L’entente entre les membres du quartet tient de l’alchimie, d’autant que la finesse et la précision de jeu que chacun exprime apparaît tout à fait naturelle et propice à la création d’une parole instrumentale dialoguée très évocatrice de l’originalité inhérente aux compositions du leader. Il nous paraît difficile de ne pas être subjugué par cet univers musical nourri d’une intelligence créative exceptionnelle. Certes, cette musique pourra sembler à certains un peu abrupte et mystérieuse, mais il suffit de fermer les yeux et d’oublier ses préjugés pour en apprécier la splendeur. Vivement recommandé.

https://www.amirelsaffar.com/


  THOMAS MORGAN . Around you is a forest

Loveland Music

Thomas Morgan : contrebasse
Dan Weiss : tabla
Craig Taborn : claviers, field recordings (?)
Gerald Cleaver : batterie
Henry Threadgill : flutes
Ambrose Akinmusire : trompette
Bill Frisell : guitars
Immanuel Wilkins : saxophone alto
Gary Snyder : voix

Qui aurait pu penser que le discret contrebassiste Thomas Morgan était un geek ?! Voyez ce qui est écrit dans la présentation de l’album : «  L’album s’articule autour de WOODS, un instrument à cordes virtuel conçu par Morgan dans SuperCollider, un environnement logiciel open source pour la synthèse audio en temps réel et la composition algorithmique. WOODS évoque le son des instruments à cordes pincées et frappées – luths-harpes d’Afrique de l’Ouest, cithares asiatiques, cymbalum hongrois, marimbas – tout en fonctionnant selon un code génératif que Morgan a façonné pour en faire un instrument vivant et évolutif. » Il suffit de lire le livret pour s’apercevoir que son père enseignait l’informatique. D’ailleurs de longues explications expliquent ensuite la genèse du disque. Allez, on fait l’impasse et on vous parle de la musique. Pour tout dire, c’est étonnant. Il y a évidemment la contrebasse du leader, chaque note compte (comme d’habitude…), le programme, et les invités qui se glissent dans cet univers musical alternatif avec une facilité qui n’a d’égal que leur talent. C’est musical en toute circonstance quelle soit l’approche du musicien qui duettise avec Thomas Morgan et son programme et cela forme d’une composition l’autre un ensemble homogène et abouti qui devrait en interpeler plus d’un par son originalité.

https://thomasmorgan.music/


  IIRO RANTALA / KAISA MÄENSIVU / MORTEN LUND . Trinity

Act Music

Iiro Rantala : piano
Kaisa Mäensivu : contrebasse
Morten Lund : batterie

Pour la première fois dans sa déjà longue carrière, Iiro Rantala choisit pour son nouveau disque une playlist uniquement composée de standards, si l’on excepte L’hymne à l’amour et Fais dodo Colas mon p’tit frère, deux clins d’œil à la France et au Château Palmer (région bordelaise) où l’enregistrement à eu lieu. Pour l’accompagner dans cet exercice de style, il a choisi un complice de longue date, le batteur Morten Lund, et la jeune contrebassiste installée à New York qui se fait un nom (non sans raison), Kaisa Mäensivu. Le résultat est remarquable. Morten Lund, formé par les jazzmen danois ayant accompagné les stars du swing, résidents ou non au Danemark, est parfait dans son rôle et offre à sa collègue contrebassiste la place qu’elle mérite pour développer un jeu d’une grande intelligence e nadéquation avec la thématique du disque. Fort de cette rythmique homogène, Iiro Rantala n’a qu’à produire le jeu qui le caractérise depuis toujours : rythmique, précis, solaire et inspiré. L’ensemble est si cohérent et équilibré que l’album aurait s’appeler « New Standards » ou quelque chose comme ça. Dans ce genre de reprises, un créneau en soi, il est rare que le résultat véhicule des émotions profondes. C’est le cas avec ce Cd qui mérite toute votre attention.

https://iirorantala.fi/


  NILS LANDGREN . Christmas with my friends IX

Act Music

Nils Landgren : trombone, chant
Jonas Knutsson : saxophone
johan norberg : guitare
Clas Lassbo : contrebasse
Ida Sands : piano, chant
Sharon Dyall, Jessica Pilnäs, Jeanette Köhn : chant
Section trombone du Swedish Symphony Orchestra

Nils Landgren est reparti pour un tour avec ses amis et quelques autres pour célébrer Noël. Neuvième opus de la série, le tromboniste est encore capable de surprendre et c’est tout à son honneur dans un genre où la mièvrerie commerciale prédomine depuis toujours ou presque. Comme à leur habitude, le tromboniste et ses ami(e)s se sont réunis pour sélectionner des chansons de Noël classiques européennes et américaines de tous styles et de toutes époques, ainsi que quelques nouvelles compositions pour faire bonne mesure. Depuis 2006 que la série à débuté, on pourrait penser qu’une forme de lassitude s’installe subrepticement, mais ce n’est pas le cas. D’ailleurs Nils Landgren l’affirme : «  Quelqu’un m’a demandé un jour : les chansons de Noël sont-elles éternelles ? La réponse est simple : oui, elles le sont. Tant que nous fêterons Noël, il y aura des chansons pour célébrer cette fête d’une manière ou d’une autre. » Au moins c’est clair. Quant à nous, nous restons convaincus qu’il est sain d’offrir aux enfants et aux petits enfants une musique de qualité plutôt qu’une bouse à la Mariah Carey, j’en passe, des meilleures et des pires.

http://www.nilslandgren.com/

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