DARIUS JONES . Legend of e’Boi (The Hypervigilant Eye)
Aum Fidelity
Darius Jones : saxophone alto Chris Lightcap : contrebasse Gerald Cleaver : batterie
« Peux-tu faire une chanson pour toi ? » C’est ce qu’a demandé son thérapeute au saxophoniste et leader de ce trio qu’il faut écouter. On ne connait pas les problèmes du musicien mais on peut affirmer que son disque est une réussite. L’ombre d’Anthony Braxton plane sur ce Cd, certes, mais ce n’est qu’une réminiscence tant le jeu de Darius Jones est original. Soutenu par un contrebassiste métronomique, Chris Lightcap, et l’excellentissime Gerald Cleaver à la batterie, il met en avant une approche vivante, d’expression brute, d’une musicalité qui ne s’interdit aucune option. Itératif, tendance obsessionnelle, dans un morceau, flottant sur un fil dans un autre, furieusement souffleur un peu plus loin, mélancolique aussi, Darius Jones expose une palette aux contrastes saisissants qui en font un musicien de gros calibre, comme on dit. Sa musique est puissante, elle creuse, elle hache, elle bouscule avec une évidente sincérité. C’est un voyage en soi qui emporte l’auditeur (on a pensé à David S. Ware) vers des contrées habitées par un feu musical humain époustouflant. Indispensable.
Paul Lay : piano Matyas Szandaï : contrebasse Donald Kotomanou : batterie
Paul Lay refait le voyage d’Ulysse à sa manière, en trio (pour mieux résister aux sirènes ?). Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a aucune peine à nous embarquer avec lui. Ce qui nous captive dans ce disque est ce qui nous interpelle chez le pianiste, à savoir son inventivité harmonique, sa science du jazz et un désir patent d’être au monde par ce biais. Il y a bien des musiciens qui font de la musique, Paul Lay, lui, la vit. C’est du moins ce que nous ressentons, qu’on l’écoute sur disque ou en concert. C’est ainsi et cet album ne fait pas exception à la règle. Les paysages antiques déployés ici sont, entre autre, le fruit d’une écoute intelligente entre les trois membres du trio. Donald Kotomanou, dont la solide légèreté n’est plus à démontrer, Matyas Szandaï, dont la justesse inspirée à toujours été l’une de ses marques de fabrique, sont des complices idéaux pour le pianiste. Les trois portent le chant d’Homère dans un lyrisme musical qui est tour à tour apaisé, vibrionnant ou survolté. Ce disque absolument magnifique est hélas le dernier enregistrement de Matyas Szandaï avant qu’il décide, beaucoup trop tôt, de continuer son odyssée personnelle dans un ailleurs lointain. On se console en sachant avec Bill que we will meet again. Aussi, quitte à lire L’Odyssée, on se permet de vous conseiller vivement la traduction de Philippe Jaccottet (La Découverte, 2004).
Randy Ingram : piano Drew Gress : contrebasse Billy Hart : batterie
Les compositions du pianiste Randy Ingram appartiennent à une tradition jazz qui leur donne l’apparence de la simplicité, juste l’apparence. Elles offrent aux accompagnateurs (luxueux) qu’il a choisis de l’espace pour s’exprimer pleinement et nourrir le fil musical du discours. Son jeu possède une finesse rythmique fort intéressante et une propension à l’harmonisation contemporaine qui n’empêche aucunement ses compositions de sonner parfaitement jazz. Il en va de même avec ses interprétations de standards ou celle d’une pièce de Wayne Shorter, Penelope. Drew Gress est fidèle à son niveau d’exigence habituel et l’on ne s’étonne pas qu’il trouve avec Randy Ingram un collègue musicien qui le stimule. Il en va de même de Billy Hart qui ne cesse de se bonifier avec l’âge en éclaircissant et en aérant son jeu de manière extrêmement inspirée. A propos d’inspiration, le contrebassiste et le batteur ne font que les soli nécessaires (mais on ne saurait s’en passer). Randy Ingram, en maître d’œuvre élégant, est à l’écoute et le disque est au final une très grande réussite. Absolument indispensable. https://www.randyingram.com/
JOACHIM KÜHN FRENCH TRIO . The way
Act Music
Joachim Kühn : piano Thibault Cellier : contrebasse Sylvain Darrifourcq : batterie
A quatre-vingts ans, Joachim Kühn semble inépuisable et moins encore rassasié. Avec une rythmique française, il fait une fois de plus table rase, remet la balle au centre et part pour une nouvelle aventure musicale haute en couleur. Dans cet album, le trio construit, déconstruit, arpente les voies secrètes de la création, les oreilles grandes ouvertes, et réinvente encore et encore une musique libre de toute attache. L’art syncrétique du pianiste de Leipzig est à son plus haut niveau et ses jeunes acolytes (pas du tout intimidés), ne s’en laissent pas compter, participant pleinement à la cuisine alchimique du leader avec autorité. Le lyrisme inné de Joachim Kühn, qu’il éclate et brille ou qu’il se fonde dans l’obscur, apporte à l’ensemble cette touche unique qui fait de lui aujourd’hui une légende du jazz européen et un phare pour bon nombre de musiciens depuis deux ou trois générations. Ne vous privez pas.
Tomas Fujiwara : batterie, vibraphone Michael Formanek : contrebasse Mary Halvorson : guitare
Thumbscrew est certainement l’une des formations actuelles les plus enthousiasmantes qui soient. Leur huitième album ne fait pas exception à la règle que ces trois musiciens se sont fixés : l’excellence dans la créativité. Ces trois improvisateurs plutôt hors normes ont une entente alchimique qui se traduit à l’écoute par une impressionnante homogénéité ouverte sur l’inconnu musical qu’ils élaborent. Le fait qu’ils aient profité avant d’enregistrer d’une résidence de trois semaines à la « City of asylum » de Pittsburg est un luxe rare qui leur permet sur le temps long de construire leur projet. Le résultat est éblouissant de musicalité et d’inventivité. Un univers captivant dont chaque détail compte s’ouvre à l’auditeur dès la première écoute. Difficile de résister à ces trois personnalités fortes qui unissent leurs efforts, leur science et leur créativité, pour accoucher à chaque enregistrement d’une merveille musicale souvent inégalable.
Kris Davis : piano, piano préparé Robert Hurst : contrebasse Jonathan blake : batterie
Dans ce disque épatant, la pianiste canadienne rend hommage à Geri Allen, Carla Bley, Marilyn Crispell, Angelica Sanchez, Sylvie Courvoisier et Renee Rosnes. Ces artistes aux carrières xxl le méritaient bien, non ? Toujours est-il que la musique du Cd est originale, de la plume de la pianiste, à l’exception d’un morceau écrit par le batteur. C’est un disque foisonnant qui ne dédaigne pas de fréquenter les coins et recoins les plus audacieux sans pour autant ignorer les structures qui régissent le discours. Les comparses de la pianiste porte une rythmique carrée (poly au gré des titres) qui sait être impétueuse quand il le faut. Une chose est sûre, les trois fonctionnent parfaitement ensemble et produisent une musique que nous qualifierons d’enthousiasmante, que ce soit par sa variété, sa générosité ou encore son mouvement créatif global. Ce trio à l’humeur versatile est un modèle du genre car il n’est jamais ennuyeux. Indubitablement, Kris Davis devait être mieux connu par chez nous. Hélas sa virée européenne d’automne ne passe que par la Pologne, l’Allemagne, l’Espagne et la Serbie. Oh les programmateurs ! Où êtes-vous ?
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