Et voici, avant les fêtes, quelques idées de disques à écouter, tous parus entre septembre et novembre 2018 (sauf Kira Skov sorti en juin 2018). Notre choix est bien évidemment partial et lié à notre goût prononcé pour l’éclectisme musical. Les amoureux du jazz et des musiques voisines devrait trouver là de quoi les surprendre et les séduire.
BIG HEART MACHINE
Outside In Music
Miho Hazama : direction Charlotte Greve : soprano & alto saxophones, clarinet, flute, sopranino recorder Brian Krock : alto saxophone, clarinet, piccolo, flute, alto flute, soprano recorder Timo Vollbrecht : tenor & soprano saxophones, clarinet, soprano recorder Paul Jones : tenor saxophone, clarinet, flute, alto recorder Jay Ratmann : baritone saxophone, bass clarinet, clarinet, flute, tenor recorder John Lake / Nolan Tsang / Kenny Warren : trumpet & flugelhorn Nick Grinder / Chris Misch-Bloxdorf / Isaac Kaplan : trombone Jennifer Wharton : bass trombone Yuhan Su : vibraphone ArcoIris Sandoval : piano & synthesizer Olli Hirvonen : electric guitar Marty Kenney : electric and upright bass Josh Bailey : drums and percussion
Il y a longtemps qu’un Big Band ne nous avait pas fait vibrer. Celui de Brian Krock est une machine novatrice de 19 musiciens au service des compositions foisonnantes, compositions qui évoluent entre groove et musique contemporaine avec des séquences harmoniques qui semblent ne jamais se répéter et qui force l’auditeur à une écoute active. Marqué en outre par des influences qui vont du heavy métal au rock progressif, cet enregistrement expose une palette sonore d’une grande richesse dans une atmosphère presque baroque ou construction et déconstruction se mêlent. Rythmiquement original à bien des égards, ce Big Heart Machine dévoile également un genre de modernité cubiste qui propulse sa créativité improvisatoire dans des espaces musicaux aussi incongrus que séduisants, esapces où la cohésion ne fait jamais défaut. Produit par Darcy James Argue (Secret Society Big Band), ce disque fait incontestablement partie de ceux capables de recréer un genre (avec ceux de Maria Schneider bien sûr) et de lui donner une vie nouvelle inscrite dans son siècle grâce à une exigence et une excellence musicales impressionnantes.
Accompagné du fidèle batteur Jarle Vespestad, mais avec un nouveau contrebassiste, Sigurd Hole, le pianiste norvégien reprend dans ce huitième CD chez ECM l’exploration méditative des mélodies telle qu’on l’a connue dans ses précédents enregistrements en trio. S’y ajoute seulement, par moment, un peu d’électronique utilisée avec parcimonie mais qui densifie légèrement à l’occasion le propos musical de l’artiste sans le dénaturer. Tord Gustavsen (et ses acolytes) semble depuis toujours faire profession de défricheur de la face intérieure du jazz. Glissant sur la temporalité comme d’autres la découpent, il provoque une sorte de continuum introspectif qui ne laisse saillir que l’essence du discours ou, plus précisément, les petits épiphénomènes qui l’identifie dans sa nature première. Comme dirait le photographe, ce n ‘est pas une musique à l’aspect mat, pas plus que brillant, mais plutôt satiné ; comme si la mélodie apparemment simple cachait de chaque morceau filtrait l’écoute de l’auditeur. De fait, il faut évidemment écouter le pianiste norvégien avec une attention soutenue si l’on veut pleinement profiter de la subtilité intrinsèque de son jeu.
Cela n’a rien à voir avec la sortie de ce disque (et cela a tout à voir avec sa musique) mais Tord Gutsvan est l’auteur d’un essai écrit en amont d’une conférence donnée à l’université de Padoue en 2008 intitulé « The Dialectical Eroticism of Improvisation ». Il est disponible en ligne dans la langue de Shakespeare et téléchargeable au format Pdf ici : http://www.tordg.no/index_2.html. Intéressant.
Palle Danielsson : contrebasse, violoncelle Paolo Fresu : trompette, bugle
Quand deux amoureux de la mélodie se rencontrent, ils enchainent les titres avec gourmandise, d’autant que leurs expériences mutuelles sont riches. Paolo Fresu utilise quelques effets à bon escient, Palle Danielsson, avec sa contrebasse ou son violoncelle, use de son archet comme de ses doigts, avec la souplesse et la précision qu’on lui connait. Rien n’est froid ou clinique dans cet enregistrement. Le re-recording, correctement géré, fonctionne et apporte une touche colorée supplémentaire qui ne nuit aucunement à l’ensemble. Les compositions sont abordées avec un sens de l’économie réel qui sied parfaitement à l’atmosphère du disque. Sans pression, le sarde et le suédois sont lyriques sans emphase, mélodiques à souhait, paisibles en diable, et offrent aux auditeurs quiets qui ne refusent pas la douceur un sommet inspiré de la coolitude musicale dans un espace ouvert aux influences. Serein sans être pantouflard et parfaitement adapté au monde de brutes qui nous épuisent jour après jour.
Bernie Dresel : batterie Johnny Hatton : contrebasse Andrew Synowiec : guitare Jeff Babko : claviers Jamie Hovorka, Anthony Bonsera, Carl Saunders, Jeff Bunnell : trompetta Alan Kaplan, Ryan Dragon, James McMillen : trombone Juliane Gralle : trombone basse Brian Scanton : saxophone alto & soprano Kirsten Edkins ; saxophone alto Rob lockhart, Tom luer ; saxophone ténor Brian Wilson : saxophone baryton, flute piccolo The Los Angeles clarinet choir : titres 1 à 4
Gene Krupa de retour avec un big band ? Euh… En plus jeune et plus versatile ? C’est Mel Lewis (et son pote Thad) ? C’est Kenny Clarke (et son pote Francy Boland) ? Nan… C’est Bernie Dresel. Vous ne connaissez pas ? Moi non plus. Pourtant, vous et moi, nous avons dû l’entendre assez régulièrement puisque il a joué derrière James Brown, Frank Sinatra, Chaka Khan, Brian Wilson, James Taylor, Brian Setzer, Patti LaBelle, Dolly Parton et quelques dizaines d’autres du même tonneau ou du même cuvage. Depuis 2016, il a créé son big band rien qu’à lui parce qu’après tout, c’était le meilleur moyen de faire la musique qu’il aime. Son premier album avec cette formation, le pennsylvanien d’origine l’a enregistré live. C’est donc son premier album studio qui sort ce mois-ci. Capté au studio Capitol d’Hollywood avec des techniques toutes plus modernes les unes que les autres (c’est ce qu’on nous dit), il propose une musique a priori déjà connue, les plus blasés diront rebattue. Pourtant, s’il emprunte effectivement une veine et une verve se référant aux anciens cités ci-dessus, il assume un éclectisme très contemporain avec des traitements sonores quelquefois innovants et surprenants (en bien). Avec un combo de musiciens capables du meilleur comme du meilleur, en groupe ou en solo, Bernie Dresel est à la tête d’une grosse machine à groove, festive, jubilatoire et imparable qui tourne plus au kérosène qu’au jus de pissenlit. D’accord le bilan carbone est pourri, mais la musique est bonne.
Marco Mezquida : piano Jesper Bodilsen : contrebasse Martin Andersen : batterie
Avec ce trio, le bassiste Jesper Bodilsen s’entoure d’un grand nom de la batterie danoise, Martin Andersen mais aussi du jeune pianiste catalan dont la renommée ne cesse de grandir ( à raison), Marco Mezquida. Tour à tour, délicat, sophistiqué, intense, ce nouveau trio creuse avec élégance un nouveau sillon qui doit beaucoup à la qualité intrinsèque de chacun des musiciens qui le compose. Le toucher particulier du pianiste, entre expressionnisme virulent et retenue suspensive, impose un univers mélodique original dans lequel se fondent aisément, avec une finesse d’une remarquable densité, le contrebassiste et le batteur. Eloigné des ribambelles de trios douloureusement accouchés de feu E.S.T, ces trois-là dessinent un chemin de traverse passionnant au creux duquel, par contraste, l’on peut goûter un lyrisme mélodique intense tout autant qu’une retenue poétique (quasi mallarméenne par moment) tutoyant la simplicité et l’économie de moyen. En équilibre sur une inspiration musicale commune, ce trio offre une musique épanouie, de celle que l’on n’entend pas si souvent de nos jours.
Inger Marie Gundersen : voix Per Willy Aaserud : trompette Bendik Hofseth : saxophone Hallgrim Bratberg : guitar Rasmus Solem : piano, claviers et voix SungSu Kim : contrebasse Jarie Vespestad : batterie Kriistiansand Strykekvartett : cordes
Au cas vous ne le sauriez pas, Inger Marie Gundersen fait de la musique depuis toujours mais elle n’a enregistré son premier disque qu’en 2004. Économe de ses efforts, elle publie ce mois-ci son cinquième opus. Si les quatre premiers étaient plutôt jazz, bien que la dame de Norvège ait toujours pratiqué le détournement de chanson pop, ce dernier s’éloigne un peu du premier genre cité tout en en conservant l’esprit. Feutrée et délicate, parfaitement accompagnée par des musiciens capable d’entourer sa voix d’un halo musical bienvenu, la native d’Arendal délivre avec aplomb (l’air de rien) une version inattendue du célébrissime « Sitting on the dock of the bay » sans omettre de réinventer les Creedence Clearwater Revival ou même Abba. Fichtre ! Sur le papier, cela ferait presque peur. Mais dans les oreilles, le timbre grave et légèrement voilé d’Inger Marie vous envoûte en faisant vivre les mélodies qu’elle interprète avec un savoir faire franchement classieux. Les amateurs de douceur toujours recommencée seront aux anges. Les autres peuvent faire une pause afin de découvrir cet univers chaleureux en suspension sur le tempo alangui des brumes nordiques. Nous, nous n’avons pas résisté longtemps avant d’être séduits.
John Scofield : guitare Bill Stewart : batterie Gerald Clayton : piano, orgue Vicente Archer : contrebasse
Le temps passe et John Scofield demeure. Une bonne trentaine de Cd plus tard, le guitariste continue de suivre son chemin. Ecléctique, toujours mélodique, virtuose mais pas trop, avec ce son forgé au cours des années qui n’appartient qu’à lui, il signe là un album jazz ‘à sa façon) qui n’exclue pas le mélange des genres. Gerald Clayton et Vincente Archer sont les petits nouveaux du groupe, Bill Stewart est le fidèle compagnon et les quatre réunis pour ce Combo 66 (l’âge de Sco) excellent à varier le propos musical du guitariste. Bien sûr, l’interaction fonctionne à plein. Le plus calme de tous, c’est peut-être bien Scofield qui, avec la sagesse des anciens, laisse à sa rythmique une place de choix. Au final, la sélection de mélodies contenues dans ce disque ainsi que leur variété stylistique peut être considérée comme une sorte d’introduction au langage de base du guitariste. Une sorte de best of dans lequel, serein, Il s’épanouit dans chaque note et en soupesant chaque phrase. De la belle ouvrage par des musiciens accomplis et complices. Easy.
Ce disque de Kira Skov (que je ne connaissais pas jusque là), bien qu’éloigné du jazz, je l’ai reçu et écouté, d’abord par curiosité puis encore parce que je l’ai apprécié. Un peu plus d’un an après la disparition soudaine de son mari, musicien et collaborateur, la chanteuse, autrice et compositrice, danoise livre là un album dans lequel elle crée une musique qui donne forme à sa douleur (une douleur universelle). Sensiblement orchestrée, chaque composition en appelle à un folk introspectif où l’électrique et l’acoustique se mêle sans violence aucune. Et si l’écho de quelques grands noms du genre y résonne sans nuire à l’originalité du contenu, c’est essentiellement dû à une approche très contemporaine de cette histoire musicale liée à des musiciens tel Nick Cave ou encore (à notre avis) Over the Rhine, The Jesus and Mary Chain, Cowboys Junkies et Lera lynn. La liste n’est pas exhaustive. Dans cette atmosphère en clair obscur de deuil assumé, le timbre voilé de Kira Skov prend une ampleur particulière et participe à la réussite de cet album qui doit aussi beaucoup à la sincérité et à la pudeur de la démarche. Il est indiqué en outre que Kira Skov a trouvé réconfort et inspiration dans le Livre Tibétain des Morts ainsi que dans la lecture de poètes tels Rainer Maria Rilke, Walt Whitman et d’autres encore. Cela nous a semblé parfaitement cohérent. Beau et triste ? Pas seulement. A noter que ce CD est proposé dans un format livre (18,5 x 13,5) très sobre avec un livret pour les paroles.
Geir Sundstøl : Pedal steel, guitare, basse 6 cordes, etc Nils Peter Molvaer : trompette Jo Berger Myrhe : fender VI & moog minotaur Mats Eilersten : basse & voix Sanskriti Sheresta : tablas & voix David Wallumrod : minimoog, prophet 5, arp pro solist & juno Erland Dahlen : Batterie et percussions
Le label Hubro propose pour l’essentiel de la musique expérimentale voire très expérimentale. En toute franchise, on n’adhère pas toujours. Mais il est bon que de tels labels existent et promeuvent tout un pan de cette musique actuelle qui a le mérite de réfléchir avant de produire et propose donc des projets musicaux exigeants. Vu par ce prisme, le disque de Geir Sundstoel est limpide comme de l’eau de roche. C’est une musique pour accompagner les pionniers dans la conquête de l’ouest norvégien, des pionniers temporellement décalés dans le temps par les sonorités actuelles qui brouillent et enrichissent la première impression auditive. Leur univers est symptomatique des interrogations qui les accompagnent dans leur quête. Sont-ils country, électro-pop ou encore folkeux suicidaires ? Un peu tout cela à la fois, ce qui ne pas les aider à bien vivre mais nous offre une musique étonnamment agréable à l’oreille. Elle résonne d’influences multiples pas nécessairement complémentaires. La langueur qui sous-tend l’ensemble évoque peut-être la seconde nature de ces aventuriers d’un monde à recréer qui peinent à aimer leur destin. Les images défilent dans la tête de l’auditeur avec un réalisme assez similaire à celui du western de Kelly Reichardt, « Meek’s Cutoff » (La dernière piste, 2010). La grande vertu de ce disque, sa force, est de nous obliger à attendre cet incontournable instant où tout changera. On n’est jamais sûr de rien et on y croit jusqu’au bout. C’est con comme la vie et c’est pour ça que c’est bon. Mais ça va mal finir pour les pionniers. Enfin on croit. A moins que………………………………C’est donc un disque incontournable et vous n’êtes pas obligés d’attendre pour l’acheter.
Nous ne présenterons pas Enrico Pieranunzi car tout le monde le connait et, en sus, ce serait long comme un jour sans pain. Quant au danois Thomas Fonnesbaek, on l’a déjà écouté avec bonheur au côté de Sinne Eeg, Christian Sand, Ole Kock Hansen, Aaron Parks et j’en passe. Avec un jeu aussi technique que lyrique et véloce, Il est le digne héritier des Niels-Henning Ørsted Pedersen, Mads Vinding et Jesper Lundgaard, pour ne citer qu’eux. Dès lors que vous savez cela, vous savez également que cet enregistrement en public propose du jazz « jazz », si vous voyez ce que je veux dire. Ce n’est d’ailleurs pas honteux car les deux musiciens appartiennent à la crème de la crème et leur entente est rayonnante. Pieranunzi, toujours lui-même, narre les histoires avec une aisance et une créativité déconcertantes et Thomas Fonnesbaek lui apporte plus qu’un un soutien tant sa musicalité rayonne d’une présence affirmée. Les deux réunis dégage une énergie très communicative et leur dialogue constant (au jeu du chat et de la souris, ils sont très forts) est une aubaine pour les oreilles en mal d’intelligence musicale et de mélodies impressionnistes. C’est le genre de disque que vous pouvez offrir aux pavillons auditifs néophytes pour les fêtes à venir en étant sûrs de ne pas les dégouter du jazz.
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