Pour réussir, un club de jazz doit-il se construire dans l’adversité, dans ce que les villes préfèrent rejeter ou tenir à l’écart ? Lorsque le Périscope s’est installé à Lyon, dans un lieu hautement banal, à quelques mètres de la Brasserie Georges, entre une autoroute, une gare démodée, deux prisons, trois prostituées, bref « derrière les voûtes », personne ne donnait cher de sa peau. Trop à l’écart, trop oublié, trop passe-partout.
Une des scènes les plus inventives de l’Hexagone !
Tout faux. Aujourd’hui, ce club et le sous-marin musical dont il est l’émanation, sont en train de devenir l’une des scènes les plus inventives de l’Hexagone, multipliant les évènements, les concerts qui comptent, accueillant formations et musiciens qui façonnent la scène musicale européenne, voire plus.
L’autre jour, c’était le contrebassiste britannique Paul Rogers, qui avait franchi le Channel pour un trio inventif (« Whahay »), dans le cadre du Hors les Murs du 28èmeA Vaulx Jazz. Pour l’occasion, Thierry Serrano, directeur du festival, avait mis en lumière une quasi- évidence : ces liens entre un festival défricheur et courageux devenu événement métropolitain et ce club poussé au milieu de nulle part.
Un club ? A le regarder de l’extérieur, à 30 mètres des murs d’enceinte de ces prisons lamentables derrière lesquels on entendait les prisonniers s’époumoner, Le Périscope ne ressemble en effet pas à grand-chose. Une façade banale. Eventrée par deux portes. Coin de la rue pas l’aventure. Et, rassurez-vous, une fois passée les dites portes, ça ne s’arrange pas vraiment. Une salle carrée ou presque, de petite taille.
En rez-de-chaussée. Le bar devant. La scène à droite toute ; et entre les deux, les spectateurs. Le tout sur fond noir. Au-dessus, en mezzanine, les loges d’artistes. Bref, pas de quoi fouetter un chat, un tapis cachemire ni un musicien venu de loin chercher la reconnaissance. : Si, tout de même : le passage à la caisse n’a rien de douloureux : 12 euros plein tarif, 10 euros tarif réduit.
Il suffit de comparer avec certains clubs parisiens où l’entrée, à 20 ou 25 euros, ne vous donne droit qu’à l’écoute d’un seul set de la formation programmée. Pour écouter le deuxième set, il suffit de repayer. Chère la soirée.
Dix-mille spectateurs à l’année
En sept ans d’existence, et autant d’handicaps, le Périscope s’est façonné une sacrée stature. Lieu de musique. Rendez-vous qui vaut la peine. 10 000 spectateurs à l’année, pour le moins. Au point de se demander par quel miracle, l’antre est arrivée à ses fins.
Réponse ? Pêle-mêle, un quartier en totale évolution (qui aurait imaginé il y a 10 ans des prisons vétustes laissant place à la bienheureuse et fac catho ?), une « frontière » urbaine qui non seulement disparaît mais laisse place à de nouveaux eldorados (le Confluence, son musée, son conseil régional), et, plus important, des dizaines de bénévoles qui se passent chaque soir, le témoin pour assumer le club, pour prendre en charge qui le bar, qui l’accueil, qui le ménage, qui le plateau, qui tout le reste.
Enfin l’essentiel : il est bien dans cette programmation qui voit arriver au Périscope d’étonnantes pointures. Souvent sans prévenir. Aucun style n’est banni mais on a un faible, ici, pour le nouveau.
Un budget artistique de 300 000 euros
L’air de rien, me souffle Pierre Dugelay, cheville ouvrière du lieu, le budget artistique du Périscope est, bon an mal an, de 300 000 euros. De quoi se payer l’événement qui vaut la peine. Encore faut-il avoir les oreilles susceptibles de dénicher ces formations. Depuis l’ouverture, le club a ainsi accueilli bon nombre de musiciens séduits par cette étape lyonnaise, dont beaucoup de musiciens venus de loin.
Cela n’empêche pas enfin d’organiser d’autres rendez-vous tout au long de l’année : outre le festival qui se profile cette semaine, le Périscope est à même de proposer du cabaret poétique, des projections, des conférences, avant de retourner à des concerts chocs, tels Blurt (le 7 mai prochain), le Magnetic Ensemble (le 18 avril), Romain Cuoq et Emile Parisien quartet le 11 juin.