« Trois minutes après votre départ. Non, impossible de le garder pour moi. Je vous dis ce que vous savez déjà – je vous aime » *
Sortie en octobre de cette année, « Claire Vénus » est la dernière création que nous propose Romain Dugelay – à la fois directeur artistique, compositeur, saxophoniste baryton, claviériste avec l’ensemble Polymorphie constitué de Léo Dumont à la batterie, Damien Cluzel à la guitare, du tromboniste Simon Girard et de Marine Pelegrini au chant et à la narration.
« Claire Vénus » fait suite au travail entamé en 2010 entre matière littéraire et composition musicale avec “Voix” – premier album du groupe sorti en 2011 construit à partir de textes de Nick Cave et de “Cellule” sorti en 2012, qui traitait le thème de la détention – nourri de témoignages sur la vie carcérale.
« Je pense à toi tout le temps »*
« Claire Vénus » explore l’amour sous la forme du triptyque : rencontre / déchirure/ apaisement. On y retrouve tous les ingrédients de l’objet amoureux tels que le désir, la passion, le détachement, l’attachement, la jalousie, la déception, la reconnaissance de l’autre.
Romain Dugelay a construit cette création autour de dix poèmes respectivement de Louise Labé, Pablo Neruda, M.A. Genest, Léonard Cohen, Marceline Desbordes-Valmore, Pasolini, Anna de Noailles, Eugene Guillevic, Paul Eluard, Jean de Sponde.
Ces poèmes (français, anglais, italien) sont ponctués par des extraits parlés de la « Correspondance passionnée » écrite entre 1932 et 1953 par Anais Nin et Henry Miller – deux écrivains américains exceptionnels unis dans une fidélité tant humaine que littéraire. Ces ponctuations narratives viennent lier et mettre en perspective les textes chantés tout en donnant le continuum et la cohérence à l’ensemble.
« Viens vite et baise moi. Jouis avec moi. Serre tes jambes autour de moi. Réchauffe moi ».*
Chaque texte est l’objet d’un traitement particulier – véritables écrins musicaux – en adéquation avec leurs formes d’écritures (sonnets, libre) et de leurs es-sens. A chacun sa respiration, sa résonnance, sa tonalité.
Exercice contraignant et périlleux mais largement réussi en raison d’une écriture précise, intense, inventive.
La forme de l’enregistrement n’y est pas pour rien : « Claire Vénus » a été enregistré en studio en deux jours en direct live. Ce procédé colle à la nature du projet, de sa thématique et constitue la forme d’enregistrement la plus proche d’un concert : ce qui engage de belles perspectives en concert. L’instant se conjugue au présent, ici et maintenant.
« Tu m’as demandé certaines choses qui sont humainement insupportables. Tu m’as demandé de me nourrir d’un demi amour. »*
L’album débute par Louise qui donne la signature de l’album : de l’énergie, du son, une complémentarité guitare, trombone, sax, le tout s’appuyant sur une rythmique ciselée au service du chant et de la narration. Ca décoiffe sévère. Puis quand arrive la voix de Marine Pellegrini, l’orage se calme et on entre de plein pied dans le propos.
Suit M.A. avec une exposition du thème par le trombone de Simon Girard qui s’amuse à jouer avec le chant à l’unisson et en contrechamp. Le son du trombone est absolument magistral – rondeur d’une orange, vibrato émouvant, une puissante de son d’un cuirassier.
Après « Pablo », arrive « Need the speed » de « Léonard Cohen » qui m’apparaît comme l’écrin le plus abouti de l’album. Autour d’un thème très « folk song » les couleurs vocales sont mis en valeur par un arpègio de guitare très simple mais totalement efficace. En contrechamp trombone et sax. Une perle d’une rare intensité. Léonard aurait aimé.
Marcelline fait la part belle au très créatif guitariste Damien Cluzel – guitare saturée, rock, agressif bien nourri de Bill Frisell
et à un solo de batterie de Léo Dumont – excellent rythmicien mélodiste.
S’ensuivent 4 titres traités avec la même originalité et dans la même cohérence artistique.
« Si tu me quittes maintenant je suis perdu. »*
Mais « Claire Vénus » en complément des musiciens talentueux et d’une écriture musicale ad’hoc, c’est pour beaucoup Marine Pellegrini chanteuse, claviériste et compositrice.
Elle donne à « Claire Vénus » l’âme, la présence, défendant tout aussi équitablement le féminin comme le masculin. Sa voix vient se poser, se proposer à nous, avec énergie, violence, sensualité.
Sa voix se place, se déplace dans de nombreux registres, sollicitant et s’imposant subtilement dans cet univers sonore dense, dans une constance perfection d’interprétation, de phrasé (son anglais est impeccable), de créativité. C’est bluffant, lyrique, envoutant.
Une carrière à suivre…
« Un nouveau cycle commence. Il n’y a pas de raison de nous faire des reproches, je crois… »*
Claire Vénus une très belle création, lumineuse comme on les aime en ces jours plutôt sombres.
C’est une création à aller voir en concert et cela dès que cela sera possible
C’est une création à écouter, à partager, à offrir. (achat internet :site Polymorphie – Claire Vénus)
Et puis pour notre plaisir, lisons ou relisons cette « Correspondance passionnée » qui donne toute la mesure ou la démesure d’une époque passionnante et d’une relation amoureuse hors du commun.
« Si tu avais eu les qualités que tu as maintenant, rien ne se serait brisé. »*
Passons de joyeuses fêtes de fin d’année.
* Extraits de la « Correspondance passionnée » Anais Nin / Henry Miller.