A part Nile Rodgers, qui pourrait se permettre de débarquer sur la scène de Jazz à Vienne en cours de montage, passer 15 à 20 minutes à recaler laborieusement retours et instruments, au grand dam de Richard Hilton (clavier de gauche), sans que les 5 500 personnes présentes en vertical dans le théâtre antique, ne commencent à donner de la voix. ?
Pour continuer, qui, à part cet éternel jeune sexagénaire, pourrait revenir à Vienne après trois ans d’absence et livrer une sorte de copier-coller du concert du 8 juillet 2013, sans que personne n’y trouve à redire, bien au contraire ?
Car ce fut bel et bien le cas. A l’exception des tenues (somptueuses) de Kimberly Davis, plus blonde que jamais, et de Folami, d’un nouveau trompette et d’un nouveau membre de Chic au deuxième clavier (exit Selan Lerner), on eut droit au même concert, au même déroulé (à part un Get Lucky inséré dans le récital) qu’il y a trois ans, avec pratiquement les mêmes pas de danse, les mêmes clins d’œil, voire les mêmes rappels historiques. Juste peut-être un détail : le léger décalage introduit dans les micros des deux chanteuses selon le morceau joué pour mieux mettre en valeur celle chargée de le chanter.
Un théâtre antique aux allures de mur humain
Et pourtant, c’est peu dire que Chic est une fois de plus arrivé à ses fins : un théâtre aux allures de mur humain débout, levant les bras et sautant sur place comme l’y invite Ralph Rolle qui vient de lancer « Let’s dance ». Une fois de plus, Niles Rodgers et Chic ont fini en apothéose, concluant comme d’habitude par le tube de Bowie, par The Freak et par ce Good Times où le public –du moins une sélection- est invité à le rejoindre sur scène.
Auparavant, et comme il aime le faire à chaque apparition, le compositeur-producteur-chanteur-guitariste aura égrené sa carrière : son idée de composer, puis de produire, puis, un jour, de se mettre à jouer les tubes faits pour les autres.
D’où ce « quick medley » que chantonne Folami. Tour à tour Diana Ross (I’m coming out, Upside down), Sister Sledge, INxs, Duran Duran, Madonna (Like a Virgin), I want your love, Dance, dance dance, et bien sûr ce Spacer, composé pour Sheila-la –petite-française.
Cette fois, il prend le temps d’expliquer comment l’affaire se noua à l’époque et comment, au bout du compte, plus qu’une chanson, il sut donner à la jeune artiste des velléités de voler de ses propres ailes.
Le bassiste funkissimo Jerry Barnes étincelle
Bref, et comme d’habitude, le concert pourrait ainsi finir sympathiquement, agréable rappel du passé, joué par une formation où étincelle une fois de plus le contrebassiste funkissimo Jerry Barnes. Mais ce serait oublier Ralph Rolle. Certes, l’exercice est bien rôdé mais, de fait, c’est pratiquement un deuxième concert qui démarre, alors que le drummer apparaît enfin, derrière son imposante batterie, appelant le théâtre antique à passer à une autre dimension.
Nile Rodgers sait donner à cette formation une âme inédite.
Bref, 90 minutes d’un funk-disco revisité par le maître de l’art. Mais pas seulement. Même devant 5 000 spectateurs, Nile Rodgers semble presque autant curieux de son public d’un soir que désireux de donner le meilleur concert possible.
Empathie sans doute renforcée par le fait qu’il s’agissait du dernier concert européen de la tournée et que, surtout, quelques jours avant, Chic jouait à Istanbul lorsque s’est produit l’attentat de l’aéroport.
Si la machine Chic est bien rôdée, si Kimberly et Folami savent distiller un show calculé au geste, au haut talon et au centimètre près, Nile Rodgers parvient à donner à cette auguste formation une âme inédite. Plaisir d’être là. Plaisir de jouer. Plaisir de rappeler qu’il y a 5 ans, un cancer agressif l’a amené à voir la vie et la musique autrement. Plaisir même de traîner à l’avant-scène alors qu’on procède déjà au démontage du plateau.
Il y a longtemps que son factotum est venu le débarrasser de sa guitare et de sa veste immaculée.