Hermanos Gutiérrez, Robert Finley, Lowland Brothers – Grand Théâtre de Fourvière, 28 juin 2025
Par-delà les collines de Lyon, trois visions de l’Amérique musicale ont éclairé les ruines romaines de Fourvière. Une soirée Folk & Roots habitée, entre torpeur cinématographique, groove mystique et rock moite.
Chaleur sudiste et groove gallo-américain
C’est aux Lowland Brothers qu’a été confiée la tâche d’ouvrir le bal. Un choix judicieux : le quintet nantais, bien ancré dans une esthétique southern soul matinée de classic rock, impose d’entrée une énergie chaleureuse, généreuse, jamais caricaturale.
Portés par la voix rocailleuse d’Éric Digaire, les morceaux déroulent des paysages entre Muscle Shoals et la Bretagne intérieure. Une soul française sans chichi, ni pose rétro, juste une sincérité brute, taillée pour la scène. On pense parfois aux Wood Brothers ou aux débuts de The Teskey Brothers, avec une touche garage. Le public, encore dispersé, se laisse pourtant prendre à la vague. Petit bémol toutefois, une partie Basse trop imposante, à la limite de la saturation, certains ont dû mettre les boule Quiès.
Robert Finley, prêcheur du bayou
C’est un monument qui s’avance ensuite. Robert Finley, 70 ans passés, lunettes fumées et costume lamé, a tout du prêcheur soul surgi d’un film de Jim Jarmusch.
L’homme, révélé sur le tard par Dan Auerbach (The Black Keys), ne triche pas : sa voix est celle d’un survivant, d’un conteur rugueux dont chaque inflexion évoque les routes poussiéreuses, les désillusions amoureuses, les églises de fortune.
Dans une économie de gestes, accompagné par un band discret mais solide, Finley électrise les pierres antiques. Une version habitée de “Sharecropper’s Son” provoque un frisson collectif. Ici, c’est l’Amérique qui saigne, groove et guérit.
Lorsqu’il entre en scène, il n’a pas besoin de se présenter. Son charisme fait le reste. Lunettes noires, sourire éclatant, voix creusée par le temps et l’expérience. Robert Finley chante comme on raconte des histoires : avec l’âme, le corps, et une sorte de joie grave.
Il parle, souvent, entre les morceaux. Raconte sa vie, évoque ses enfants, remercie la musique de l’avoir sauvé. Il pourrait être bavard, mais non. Il est là, tout simplement, comme un ancien qui aurait traversé des ouragans et décidé de chanter encore, malgré tout.
Le blues, chez lui, n’est pas une esthétique. C’est une manière d’être au monde.
Les Gutiérrez, entre Morricone et Ry Cooder
Puis viennent les Hermanos Gutiérrez, silhouettes tranquilles, regards tournés vers les guitares. Dès les premières notes, le silence se fait : le duo n’a pas besoin de mots.
Les frères équatoriens-suisses déroulent une odyssée instrumentale d’une beauté crépusculaire. Leurs guitares se répondent comme deux amants au bord du désert, dans une lente transe à la fois méditative et intense. Leur musique, écho des westerns de Leone et des paysages d’Amérique latine, dessine des lignes claires dans la nuit lyonnaise.
Leur dernier album, Sonido Cósmico, sert de fil rouge à une performance sans faille, à la fois envoûtante et cinématographique. On pense à Calexico, mais en plus introspectif, plus pur. Une musique de l’entre-deux : entre terre et ciel, entre racines et abstraction.
Un triptyque cohérent et habité
La programmation audacieuse de cette soirée Folk & Roots offre un récit musical complet, du chant social à l’introspection instrumentale.
Les trois univers dialoguent à distance, chacun creusant sa propre veine américaine : le feu, avec les Lowland Brothers, l’âme, avec Robert Finley, et le vent, avec Hermanos Gutiérrez.
Sous les étoiles de Fourvière, les ruines millénaires ont résonné d’une Amérique réinventée, plurielle et vibrante.