Le festival Parfum de Jazz (Drôme provençale) ne se contente pas de changer d’affiche chaque soir : il aime se baguenauder dans les Baronnies, allant à la rencontre de publics avides de retrouver le « live » après tant de mois de déshérence.
Première soirée. Et déjà une incursion hors de Buis-les-Baronnies, fief et siège de Parfum de Jazz. Mollans-sur-Ouvèze : un petit théâtre de verdure planté au pied d’un rempart, cadre idéal pour signer le mode d’emploi de ce festival de jazz qui vous fait visiter la Drôme provençale que découvrir des musiciens qui ont encore peu tourné.
Ce n’est pas le cas des deux qui nous occupent ce premier soir : Champian Fulton en trio (piano, basse, batterie) et Scott Hamilton.
Douceur, attention, pas un mot plus haut que l’autre côté pianiste. Idem pour le ténor dans cette « discussion » que les deux musiciens mènent de bout en bout sans guère s’interrompre. Des standards susurrés par cette chanteuse autant que pianiste, au point que l’on se demande lequel l’emporte sur les deux.
Jazz d’un autre temps ? Oui et non. Aucune emphase ici, dans ce théâtre de plein air où les instruments ne sonnent pas au mieux. Le set siérait mieux à un club, on s’en doute. Dommage pour la contrebasse de Gilles Naturel aux phrases ciselées mais aux trop rares solos, aux côtés de Mourad Benhammou aux drums : un art de la relance et de la diversification incessante, un autre d’ouvrir la voie à ses acolytes ou d’accentuer leurs improvisations.
Reste qu’un concert dans un tel cadre et sous une pluie d’étoiles n’est pas si banal, surtout lorsqu’il s’agit de l’ouverture de ce 22ème festival, tant attendu.
De fait, tous les concerts de ce Parfum de Jazz se sont déroulés en plein air, gâtés par une météo au beau fixe et des lieux propices.
Contrebasse sous le beffroi de Montbrun-les-bains : séduisant
Ainsi le lendemain à Montbrun-les-Bains, un poil plus loin pour écouter le Gazy Jazz Project. Sur le papier, un trio piano-basse-batterie. Dans les faits, une formation originale tournée vers Gabrielle Randrian Koehlhoeffer, contrebassiste franco-malgache, nourrie de « gazy », musique de Madagascar.
A ses côtés, deux musiciens convaincants, oscillant également entre ces intonations et le jazz : Daniel Moreau au piano, aux phrasés délicats et Fabrice Thompson aux percussions, usant souvent de sa main gauche pour escorter la contrebasse.
Le ton est léger sous le haut beffroi qui domine la scène et le set manié de main de maître. Ici, tout est fait pour que rien ne dépasse ?
De la façon dont Daniel Moreau atténue ses notes de piano en pinçant d’une main les cordes, à Fabrice Thompson armé d’un seul balai en main droite, la main gauche frappant directement le drum. De quoi donner à la contrebasse ce qu’il lui faut pour s’exprimer au mieux. Oublie-t-on que la contrebassiste a déjà été distinguée il y a dix ans déjà à Marciac par un prix Marion Bourgine ? Le set produit à Montbrun l’aura opportunément rappelé.
Joëlle Léandre pour la première fois à Parfum de Jazz
Exceptionnellement, la soirée de mercredi avait au programme Carine Bonnefoy en trio d’une part et Joëlle Léandre en seconde partie, laquelle, paradoxalement, n’était encore jamais venue à Parfum de Jazz. Nous sommes cette fois jusqu’à la fin de la semaine à Buis-les-Baronnies, berceau du festival, dans un théâtre de Verdure où se tiennent désormais les concerts.
Dire que la soirée fut contrastée ? Joëlle Léandre, enfin. A à ses côtés Lauren Newton à la voix et Myra Melford au piano.
L’objet ? Repousser toujours plus loin l’improvisation, la création. De la musique mais pas seulement. Une approche du son ambitieuse, propre à provoquer ou à lasser, dans l’idée d’aller toujours plus loin, pour mettre la main sur une atmosphère inédite, réellement inédite.
Au préalable, Carine Bonnefoy s’était donc chargée d’ouvrir la soirée, avec à ses côtés Felipe Cabrera à la contrebasse et Julie Saury aux drums, laquelle n’est surtout pas une inconnue à Parfum de Jazz.
Cette fois, la pianiste, chef d’orchestre et compositrice laisse là le big band qu’elle aime animer à l’occasion pour ce trio : une basse qui résonne au loin, une percussionniste qui dispose d’espaces beaucoup plus libres que d’ordinaire et donc elle-même. C’est bien mené. L’osmose entre les trois est palpable. Voilà déjà plusieurs années que la pianiste, polynésienne, a constitué ce trio contrasté où chacun aime prendre l’ascendant sur les deux autres, quitte à répéter les phrases longuement. Pour se jouer du temps ? Felipe Cabrera et Carine Bonnefoy ont l’art de se renvoyer la balle ou l’inspiration. Tour à tour, pendant que Julie Saury garde la ligne. Le reste : ce sont plusieurs albums que le trio a déjà commis et qui en disent long sur leur envie de jouer ensemble. Des compos de Julie apparaissent ici et là dans lesquelles la jeune femme dévoile un jeu émancipé, n’hésitant pas à passer aux avant-postes. Et Felipe Cabrera n’est pas en reste en la matière. Est-ce qui explique leur entente qu’on sent profonde, pérenne ?
Climène Zarkan, âme du groupe Sarab
L’art de Parfum de Jazz ? Sans doute d’alterner les styles, les influences et donc les groupes. D’un soir à l’autre. Sans parler des groupes programmés en journée. On retiendra de Sarab qui arrive le lendemain cette rencontre entre jazz plutôt pêchu et Climène Zarkan, chanteuse franco-syrienne, marquée par les tragédies qui secouent la Syrie depuis tant d’années.
Concert aux allures de récital, nourri de traditionnels syriens repris en jazz, mariage de styles assez éloignés avec au centre, aux côtés de la jeune femme, Robinson Khoury au trombone, qui se retrouve le trait d’union entre des harmonies qui ne s’emboîtent pas forcément. Ici, chaque musicien apporte au chant de départ ses propres inspirations, notamment Baptiste Ferrandis, dont la guitare vient animer le quintet qui l’entoure.
L’alliance entre la voix de Climène Zarkan et Robinson Khoury fait merveille, comme pour mieux imprimer des mots qu’on ne comprend évidemment pas. « Et je ne me soumets pas » chante-t-elle, s’inspirant ici d’une actualité sordide même si, dit-elle, l’espoir d’éloigner ces nuages qui nous font mal ». Des morceaux se suivent : ici un thème fort, là une balade. Des textes qu’on devine profonds, vécus surtout, comme autant d’histoires vraies ; « ces migrants qui m’aident à respirer mieux », dit-elle encore.
Leïla Olivesi : la Suite Andamane au centre du propos
Leïla Olivesi, qui arrivait le lendemain, était encore mieux armée : une rythmique béton composée de Donald Kontomanou à la batterie, de Manu Codja à la guitare et de Yoni Zelnik à la basse. Ecoute-clins d’œil-relances-art d’apparaître ou de disparaître. A leurs côtés cinq cuivres de qualité, le tout emmené par la jeune pianiste qui consacrera une bonne partie de la soirée à cette Suite Andamane enregistrée il y a deux ans et composée de quatre thèmes comme autant de saisons. Chloé Cailleton prend la peine de nous les présenter tour à tour. Il faudra attendre d’autres morceaux pour que la jeune chanteuse envoûte : voix étonnante aux accents riches qu’on n’attend pas forcément mais qui vous touche malgré la puissance de feu musicale qu’elle doit dominer. Leïla Olivesi, bien secondée par un trombone baryton prolixe et coloré (Jean-Charles Richard), n’en reste pas là : ici un thème d’Ellington, là, le jeu de guitare de Manu Codja…
Le Band est armé pour aller loin dans la nuit et revisiter des thèmes de bon aloi. Ici, chaque cuivre a son mot à dire et le dit, même celui appelé à remplacer un des sax et qui aura dû se familiariser avec la partition en quelques heures. Dommage, la rigueur des compositions aura quelque peu terni la spontanéité du nonet, très attentif à la partition. Peut-être trop ?
Mais on en arrive déjà à la fin de la semaine et de ces concerts du soir organisés au théâtre de Verdure de Buis-les-Baronnies où un cirque est venu entretemps installer ses quartiers. C’est donc avec un hippopotame voisin, de 3 tonnes sur la balance (le plus lourd d’Europe nous assure-t-on), que tout se finit.
Il y eut en effet du lourd ce soir-là…..
Pour finir : Mélanie Dahan et un récital où chansons et textes viennent flirter avec le jazz.
Revenons à la scène : Mélanie Dahan est plus proche d’un récital que d’un set : des thèmes piochés au gré de son inspiration : Chedid ici, Houellebecq là, Aznavour un peu plus loin. Belle voix, beaux textes, belles musiques. Dont Le Chant des Possibles. Ou Brassens et Michel Legrand.
La jeune femme est bien escortée : deux claviers, une contrebasse inspirée, un saxophone et une batterie.
Peut-être le concert gagnerait à plus d’identité : plus musical ? Plus vocal ? On retiendra surtout ces musiques où le jazz vient flirter avec des textes poétiques qui n’étaient pas destinés à être fredonnés. Le public en tout cas a apprécié.