Sur scène, il est le plus discret des hommes. A peine quelques tintements provenant du grand piano Bösendorfer signalent sa présence au public qui profite de l’entracte pour aller et venir.
Pourtant l’homme est incontournable : à A Vaulx Jazz, comme à Jazz à Vienne et dans beaucoup d’autres lieux de spectacle, Yves Dugas ne se contente pas de fournir les pianos qui sont utilisés sur les différentes scènes de ces festivals.
« Une sorte de contrat moral »
Il intervient surtout en permanence chaque soir pour réaccorder « ses » pianos et vérifier leur fonctionnement, et demeure présent durant tout le temps de la prestation de l’artiste.
« C’est une sorte de contrat moral avec lui. Il sait que je suis là ». Près de lui, une valise ne le quitte jamais dans laquelle se trouvent tous les outils et les cordes de piano nécessaires, au cas (improbable) où l’une viendrait à casser. L’homme a assurément l’expérience de la chose : « je suis intervenu à Jazz à Vienne dès le début, en 1981 ».
Et a donc été de toutes les soirées qui impliquaient ses pianos. Les souvenirs sont évidemment légion : Randy Weston, Oscar Peterson, Michel Petrucciani l’ont plus particulièrement frappé. « Certains sont devenus des amis. Nous sommes un peu leurs confidents ».
Mais on pourrait y ajouter une très longue liste tant le piano acoustique a toujours été un élément central des éditions successives de Jazz à Vienne. Or, sauf cas très particuliers d’artistes sommés de se produire avec les pianos de leur sponsor (ainsi Chick Corea qui joue sur Yamaha), tous les pianistes qui ont donc hanté la scène de Jazz à Vienne ont donc joué sur un piano qui venait d’être (ré) accordé par Yves Dugas.
Un Bösendorfer compte 197 cordes
Pourtant, sur scène, il n’a que peu de temps pour intervenir. Sachant qu’un Bösendorfer compte 197 cordes ( !), il faut à un homme du métier entre trois quarts d’heure et une heure et quart pour accorder un tel monstre.
Or, durant les entractes – qui précèdent souvent la venue de la vedette la plus importante- Yves Dugas ne dispose que de 20 minutes pour intervenir. « Heureusement, en jazz, les musiciens ont un peu moins d’exigence », sourit-il.
Et de fait, au cours de 35 années de Jazz à Vienne et de 27 ans d’A Vaulx Jazz, il n’a jamais eu de remarques particulières sur ses interventions, si ce n’est des compliments.
A Vaulx Jazz , « le seul festival qui a gardé l’esprit de famille »
Quoi qu’il en soit, pour ce professionnel, qui s’est installé en 1972, A Vaulx Jazz tient une place à part : «c’est à peu près le seul festival qui a gardé l’esprit de famille, explique-t-il. C’est toujours très convivial et c’est le seul festival où l’on retrouve cet esprit-là ».
Pour lui, la date du mardi 10 mars, où démarrent les festivités « in » au cœur de Vaulx-en-Velin (au Centre Charlie Chaplin), comme celle du jeudi 12 mars, avec la venue du pianiste italien Antonio Farao escorté de Dave Liebman est évidemment à marquer d’une pierre blanche.
Sur le sujet, Yves Dugas est d’autant plus intarissable qu’il ne limite pas ses interventions aux seuls deux grands festivals de jazz de la région.
Au fil des ans, sont en effet tombés dans son escarcelle d’autres festivals, parfois éloignés de sa base lyonnaise, et d’autres évènements musicaux incluant la présence de pianos, jazz mais aussi classique ou autre.
Un Steinway éteint dans les aigus
« Ça n’a pas cessé d’augmenter ». Ajouter à cela, les interventions « ordinaires » qu’il réalise ici et là sur des pianos loués à d’autres mais qu’on lui demande d’accorder.
Quelle n’a été sa surprise, il y a quelques jours, d’entendre que le Steinway sur lequel allait jouer un artiste à l’Auditorium de Lyon était complètement éteint dans les aigus. Moyennant quoi, « je sors 5 à 7 soirs par semaine », avoue-t-il, parfois loin de Lyon.
Ainsi intervient-il à Grenoble ou, en juillet, à Meursault, au cœur de la Bourgogne, où le festival organisé là chaque année a préféré changer ses dates plutôt que de devoir faire appel à un autre.
Au fil des ans, tout de même, Yves Dugas s’est « assagi » : s’il n’hésitait pas à rentrer à Lyon chaque nuit, une fois le concert terminé, désormais, il préfère ne reprendre la route qu’au petit jour pour rejoindre, sa base de la rue Sala à Lyon, « LyonMusic ».