52 ème et dernière semaine de l’année ? Les concerts font relâche ? Heureusement, Radio France genre gardien du temple en profite pour exhumer quelques joyaux radiophoniques disponibles en podcast. Et pas des moindres.
D’un côté, un hommage fleuve rendu à Helen Merrill par France Musique. La chanteuse qui n’est plus venue en Europe depuis quelques années mais dont la voix n’a rien perdu de son charme a reçu et s’est confiée en septembre dernier à New York à Alex Dutilh (Open Jazz) le temps d’une longue interview.
Entre fêtes, auditeurs disponibles et intérêt de l’artiste, c’était l’occasion de revenir sur la carrière de cette chanteuse, l’une des grandes voix du jazz aux côtés d’Ella et de Sarah Vaughan. 50 ans de jazz vocal. Et ce n’est pas fini. Au total, ce sont dix émissions d’une heure chacune qui sont proposées par ce confrère à la voix chantante et manifestement sous le charme de cette dame de 82 ans, durant plus d’une semaine sur les ondes jusqu’au 30 décembre (ou en podcast).
Au total aussi, un très joli travail qui revient à la fois sur la carrière de cette chanteuse, sur ceux qu’elle a croisés (à peu près tout le monde, dont Stan Getz, Miles, Bill Evans, Monk, Teddy Wilson ou Clifford Brown avec lequel elle enregistre dans ses jeunes années), sur cette émulation de la scène new yorkaise et bien sûr, sur son approche de la musique, du chant, du jazz. Au fil des émissions, il y a des joyaux, répétons-le, des collaborations moins réussies mais toujours, une voix suave, aux mille nuances.
L’autre figure à laquelle Radio France s’est intéressé cette semaine : Barney Wilen
Parmi toutes les radios qu’on peut capter, France Culture a une particularité : celle de croire que durant la nuit, le temps s’étire différemment et que l’on peut alors tenter des trucs inenvisageables ailleurs, du style émissions de deux heures consacrées à une personne, en prenant le temps de parler, d’écouter, de prêter attention à ces sons de rien -cafés, la rue, le jardin, l’arrêt de bus. Il suffit de mélanger le tout savamment et voilà tout à coup un monde qui se met à vivre dans les oreilles. Cette fois c’est Barney Wilen, suprême saxophoniste, parti il y a 26 ans à l’âge de 59 ans, mais dont l’itinéraire musical reste encore aujourd’hui aussi captivant que difficile à vraiment cerner.
Deux heures durant, on approche un peu plus ce musicien exigeant, prodige avant l’heure même si lui contestait l’analyse : qui pourrait oublier qu’il est immédiatement repéré par Miles Davis qui a besoin de constituer un quartet pour jouer la musique d’un film devenu culte ? Les musiciens, dont Urtreger, Kenny Clarke, ont, dit la légende ou l’histoire, réalisé quasiment le disque en une seule prise ou une seule nuit en jouant et en improvisant sur les images qui leur étaient projetées.
Mais Barney Wilen ce fut aussi beaucoup d’autres incursions, notamment vers l’Afrique où il part pour un voyage presque sans retour, comme un retour à des sources originelles. Il en reste un disque, Moshi (1972), dont la magie ne cesse d’opérer et une quête musicale sur laquelle l’émission prend le temps de revenir, de tenter de comprendre. Jacques Denis a écrit ce sujet : « Avec le temps, Moshi va devenir un objet de culte, un totémique Graal pas que chez les diggers qui font leurs petites affaires avec la cire noire, surtout pour les musiciens qui choisissent de prendre la tangente. Dans le jazz nombreux suivront le fertile sillon africain, pour y débusquer au détour d’une piste ensablée la possibilité de sortir des ornières d’une musique en voie de classicisme à force de tout bien contrôler ». Belle clairvoyance.
Barney Wilen pourrait faire penser à ce sujet au peintre Jean Hélion, parti du figuratif vers l’abstraction la plus ambitieuse pour revenir, après guerre à un figuratif dépouillé, étrange, sorte de confrontation à un quotidien contemporain de plus en plus déshumanisé. Il y a peu, une maison d’édition a eu la bonne idée de ressortir les enregistrements réalisés au Japon lors de la tournée du saxophoniste en bonne compagnie. Il y a près de lui tour à tour Gilles Naturel, Laurent de Wilde (déjà), Olivier Hutman (piano) et Peter Gritz (dr). Le concert «live in Tokyo » a lieu au Keystone Corner le 11 février 1991. Le double CD ne sortira que le 6 septembre 2019 (et France Musique ou France Culture y consacrera une émission de 54 mn dispo sur la toile le 4 septembre 2019).
Un monument d’anthologie irait-on dire, tout comme, juste avant ou juste après, lorsque le musicien est invité à jouer à l’ambassade de France qui lui demande gentiment de privilégier des standards français. Barney s’exécute, non sans malice, et démarre par un Trenet (que reste-t-il de nos amours ?). C’est vif, heureux, emboîté : démonstration parfaite que le standard ne demande qu’à être joué pour devenir réalité.
D’Helen Merrill, facétieuse, riche de tant de souvenirs, à Barney Wilen, en tout cas, la mémoire radiophonique accumulée depuis des décennies par les équipes de Radio France fait mouche, nous faisant prendre conscience de la richesse du patrimoine artistique conservé.
* Open Jazz en direct jusqu’à vendredi : la carrière et l’interview d’Helen Merrill (10 épisodes en direct à 18 h jusqu’à vendredi ou en podcast). Et Barney Wilen : Atelier de Création Radiophonique : Le Feu au Lac pour Barney Wilen (1ère diffusion : 10/09/1995). Rediffusé le 26 décembre et dispo en podcast.
Cliquez ICI pour écouter le Podcast « Le Feu au Lac »