
CLOVER
MAGELLAN
SUR LES MOTS DE STEFAN ZWEIG
SORTIE LE 30 MAI 2025
Label : YOLK RECORDS
Distribution : L’Autre Distribution /
Believe.
LILA TAMAZIT : RÉCIT
MYRIAM RIGNOL : VIOLES DE GAMBE
SÉBASTIEN BOISSEAU : CONTREBASSE
ALBAN DARCHE : SAXOPHONE
JEAN-LOUIS POMMIER : TROMBONE
Un voyage sonore entre histoire, musique et politique
À partir de quelques fragments du récit de Stefan Zweig, le collectif CLOVER tisse une œuvre musicale inclassable, poétique et engagée. Une traversée fragmentée sur les traces de Magellan, mais aussi sur celles d’un monde en quête de puissance et de sens.
“Au commencement étaient les épices…” Cette phrase, tirée du Magellan de Stefan Zweig, ouvre le disque comme on hisse les voiles : doucement, avec gravité. Elle résume à elle seule l’élan premier de cette création musicale audacieuse portée par CLOVER. Dans ce nouveau projet, le collectif franco-belge quitte les sentiers du trio qui l’a fait connaître pour s’aventurer vers de nouveaux rivages artistiques : une forme hybride entre récit, performance vocale et musique instrumentale, dans une temporalité éclatée où passé et présent se répondent avec acuité.
Le souffle de Zweig, la liberté de CLOVER
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Magellan n’est pas ici un livre mis en musique. CLOVER ne cherche pas à illustrer le texte, ni à le raconter dans sa continuité. Ce qui les intéresse, c’est le souffle narratif, les obsessions, les tensions intérieures, les points de bascule historiques et humains. À travers une sélection de quelques extraits du texte de Zweig, le collectif fait émerger un portrait en clair-obscur d’un homme mû par une volonté inflexible, prêt à tout pour “boucler” le monde, quitte à sombrer avec lui.
C’est la comédienne et chanteuse Lila Tamazit qui incarne cette parole, sans en faire un rôle ou un personnage. Sa voix, posée, riche, traverse les fragments du texte comme on traverserait des territoires changeants : dans l’écoute du paysage, mais sans jamais s’y dissoudre. Elle ne joue pas Magellan : elle l’évoque, le réinvente, le laisse apparaître par éclats, par silences.
Autour d’elle, un quatuor instrumental sobre et singulier fait naître des paysages sonores puissants : Myriam Rignol à la viole de gambe, instrument de l’époque de Magellan, donne à entendre la mémoire du XVIe siècle, tandis que le saxophone, le trombone et la contrebasse apportent souffle, ancrage et tension contemporaine. Leurs timbres s’entrelacent, se confrontent et se laissent traverser par la voix.
Fragments de navigation
Le disque est construit comme un journal de bord éclaté, une suite de tableaux poétiques plus que de chapitres narratifs. Chaque morceau est une escale, un moment suspendu où texte et musique se répondent ou se contredisent. Voici quelques titres qui scandent cette traversée :
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Au commencement étaient les épices
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Un étrange oiseau noir
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Magellan est à la veille d’une grave décision
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Magellan et son intrépide volonté
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Seuls les pingouins vont et viennent
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Le voyage devient de plus en plus pénible
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“Il sait se taire, attendre”
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Avec la disparition de Magellan s’écroule une auréole
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“On entre dans une ère nouvelle : celle des temps modernes”
Autant de titres directement tirés de Zweig, comme des éclats de pensée, des éclairs de récit. Par moments, la voix se tait et la musique prend le relais ; ailleurs, les mots guident les sons, et la viole se fait respiration, chant ou grondement. L’ensemble forme une dramaturgie impressionniste, fondée sur le rythme intérieur plus que sur l’action.
Une odyssée à double lecture
À travers le récit de Magellan, c’est aussi une lecture contemporaine du monde que propose CLOVER. Le voyage autour du globe, dans le texte de Zweig, est présenté comme une bascule historique : la fin du Moyen Âge, le début des Temps modernes, l’ouverture des routes maritimes commerciales, la naissance de la mondialisation. Or, pour les artistes, cette bascule n’est pas sans écho aujourd’hui : la conquête des épices devient métaphore de la conquête des ressources contemporaines, terres rares, métaux, énergies.
Dans les silences comme dans les tensions musicales, transparaît une critique du capitalisme globalisé, de l’avidité sans fin, des mécanismes de domination. À l’image des cargos pleins à craquer qui sillonnent les mers actuelles, CLOVER met en scène une course à la richesse fondée sur l’exploitation humaine et environnementale. Le texte de Zweig agit ici comme une loupe historique, un miroir retourné vers notre époque.
“Comment ne pas penser à tous ces containers de marchandises qui traversent aujourd’hui les océans, à l’exploitation d’une partie de l’humanité pour rassasier l’appétit de consommation d’une poignée d’humains les plus riches ?”
Le disque ne dénonce pas : il suggère, il évoque. C’est par l’émotion, la tension, la beauté parfois rude des textures musicales que le propos passe. Le politique s’infiltre dans le sensible, dans l’écart entre ce que l’on entend et ce que l’on pressent.
Lire, écouter, imaginer
CLOVER a choisi de ne pas livrer l’intégralité du texte, mais d’en extraire des moments, comme autant de “trous narratifs” à combler par l’imaginaire de l’auditeur. L’expérience sonore devient ainsi une invitation à la lecture, à la découverte de l’œuvre complète de Zweig. Le disque suscite le désir d’en savoir plus, de poursuivre le voyage, mais aussi de regarder notre monde autrement. Il n’impose rien, mais ouvre une brèche, un espace pour penser, ressentir, se questionner.
Une création libre, en mouvement
Avec Magellan, CLOVER confirme son goût pour les formes ouvertes, les projets transversaux, où la musique ne se suffit pas à elle-même mais entre en dialogue avec d’autres disciplines. Il ne s’agit pas d’un projet “pédagogique” ni d’un disque “littéraire”, mais bien d’une œuvre autonome, libre dans ses formes, profonde dans ses résonances.
À l’écoute de cette création singulière, on pense aux spectacles de Joël Pommerat, aux performances sonores d’Heiner Goebbels, ou encore aux projets de Thierry Balasse, mais dans une veine résolument personnelle. Un disque rare, à la fois exigeant et accessible, qui se reçoit comme une traversée intérieure. On en ressort comme après un grand voyage : un peu transformé, légèrement déplacé, curieusement apaisé.
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