Alors que le pianiste a annoncé qu’il ne jouerait plus sur scène (le 21 octobre dernier), France Culture lui consacre quatre heures denses, riches, contrastées, en revenant entre autres sur le Köln Concert, l’un des points de départ d’une carrière hors norme. A réécouter avec délectation…
Quatre heures consacrées à Keith Jarrett, c’est le petit exploit qu’a su organiser France Culture la semaine dernière, à raison de quatre émissions de 58 minutes diffusées du lundi au vendredi et qui sont dispo à présent en poadcast (voir le site radio France).
Un événement à plusieurs titres : né en 1945, incontournable de la scène musicale depuis au moins ce Köln Concert de 1975, le pianiste a annoncé le 21 octobre dernier qu’il abandonnait la scène, les concerts, le live, le public.
Non pas par lassitude même si, au fil des ans, des concerts, des festivals, le pianiste exprimait de plus en plus ouvertement sa fatigue et a contrario son intransigeance pour que rien ne vienne perturber sa musique. Jazz à Vienne et les Nuits de Fourvière notamment en savent quelque chose.
Mais plutôt pour deux raisons autres : le 4 septembre dernier, Gary Peacock, l’un des trois piliers du fameux trio que Jarrett formait avec Dejohnette s’en est allé. Et, courant 2018, Keith Jarrett a été victime de deux AVC, qui l’ont convaincu d’abandonner totalement la scène, après plus de 40 ans de tournées et de concerts.
Quatre heures dans les Chemins de la Philosophie
Ce sont tous ces évènements qui ont poussé France Culture à se pencher sur ce musicien. Non pas via une émission de jazz ou de musique comme celles qui sont régulièrement au programme.
Non : l’émission a été programmée, chaque matin dans « Les Chemins de la Philosophie », à raison de 4 épisodes aux intitulés évocateurs : « Esprit (du jazz) es-tu là ? », « Conversation intime avec un piano », « On ne s’improvise pas improvisateur » et « Ce que le jazz fait au temps ». Quatre épisodes très divers mêlant témoignages, musiques, textes divers et surtout multiples réflexions à propos du jazz lui-même.
On écoutera d’autant plus volontiers les nombreux musiciens appelés à donner leur sentiment dont le premier d’entre eux, Raphaël Imbert, directeur du conservatoire Pierre Barbizet de Marseille.
Mais les émissions outrepassent largement le seul milieu musical pour tenter de comprendre et d’expliquer ce sortilège que sont le jazz et l’improvisation. Au fil des 4 heures, on perçoit mieux ce que le jazz, à travers Keith Jarrett mais pas seulement, a apporté, modifié et dérangé. Et c’est tout l’intérêt de ces émissions d’ouvrir le champ, quitte à citer des propos de personnes hostiles au jazz et qui prennent le temps d’en fournir les raisons, au demeurant parfaitement recevables.
Keith Jarrett est l’un des musiciens dont on ne loupe (loupait ?) pas les concerts. D’abord à Vienne, ensuite à Fourvière, le pianiste n’aura cessé pendant des années de fréquenter ces scènes, comme des dizaines d’autres, même s’il se plaignait régulièrement des mauvaises conditions qui lui étaient alors imposées. Photos, bruit des avions, odeurs des cuisines proches, rumeurs des bénévoles et bien sûr, bruits venus du public, il ne cessait de tempêter, de menacer de quitter la scène avant l’heure, de tout envoyer promener. Exigeant ou capricieux à l’extrême ? Sans doute l’un et l’autre. Le public de Jazz à Vienne se souviendra longtemps de la tension née alors qu’il tentait de lui signaler, en début de concert, que le son de la contrebasse n’était pas audible dans le Théâtre, presque complet.
Sur scène, pousser son jeu jusqu’au sublime
Restent ces instants magiques que le pianiste sait (savait ?) provoquer au détour d’un thème démarré sans ostentation. Quelque soit le rapport difficile qu’il entretient avec la scène, c’est pourtant là que Keith Jarrett a toujours su pousser son jeu jusqu’au sublime, suspendant le temps, organisant, l’espace de quelques secondes inouïes, une phrase musicale hors du temps, délicate et qui vous touche de plein fouet.
Ces émissions reviennent aussi largement sur le bricolage qu’avait été ce Köln Concert : le piano défectueux, deux touches du clavier HS, la pédale défaillante, le refus du pianiste de jouer dans de telles conditions avant de se lancer, quitte à se perdre.
Suivent alors 66 minutes étranges, au cours desquelles, Keith Jarrett a, le dos au mur, découvert de nouvelles perspectives, comme si la mise en danger, l’urgence, lui avaient permis d’aller chercher au fond de lui-même, une musique plus essentielle. Celle qui en fait un pianiste hors norme.
On en vient à voir, écouter et recevoir ce Köln Concert autrement : des musiques parfois anodines qui tout d’un coup apparaissent comme les prémisses de ce qui a suivi.
* France Culture. « Les Chemins de la Philosophie ». Quatre épisodes proposées par Adène Van Reeth d’une durée de 58 minutes chacune. Cliquez : En poadcast.
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