
Lorsque le concert au théâtre antique propose trois plateaux, ce qui est beaucoup, notamment pour les festivaliers qui viennent de loin, souvent (mais heureusement pas toujours), l’un des trois s’avère décevant.
Ce fut le cas, vendredi 4 juillet, lors de la soirée consacrée au Jazz alternatif, avec Meschell Ndegeocello en 2ème partie de soirée. En revanche Iskhero, rehaussé du saxophone de Donny McCaslin, issu du groupe Step Ahead, a su faire montre de sa créativité et de son énergie, tandis que Kamasi Washington a su répondre aux attentes d’une bonne part des 3 000 festivaliers présents, surtout venus pour lui et la formation du saxophoniste venu de la Cité des anges.
La famille Kamasi
C’est dans un engagement total que ce concert du saxophoniste ténor Kamasi Washington commence ! Engagement sans économies d’énergie dans l’implication de chacun des membres du groupe. Le premier thème démarre sur les chapeaux de roues avec le DJ Battlecat aux percussions et tourne-disque, le pianiste Cameron Graves et le batteur Tony Austin qui est très présent tout au long du set.
Les morceaux respectent la construction du jazz classique avec l’exposé du thème, le ou les solos des musiciens et le retour au thème souvent de manière collective par les cuivres. Le leader au ténor, son père Rickey Washington à la flûte et au saxophone soprano, et le trompettiste.
Ce concert est aussi une affaire de famille avec en plus du père saxophoniste, la femme du leader qui vient interpréter une chanson et un autre morceau dont la mélodie est inspirée au piano par sa fille Asha. Depuis, la reconnaissance internationale de Kamasi Whasington avec l’album The Epic en 2015, puis l’album Heaven and Earth en 2018, un virage est pris avec Fearless Movement de 2024. Son dernier album studio intègre un DJ aux platines qui modernise son jeu dont va être tiré le répertoire du set de ce soir. Ce n’est pas une coquetterie ou un phénomène de mode pour celui qui a accompagné des rappeurs aux Etats-Unis et collaboré pour de nombreuses musiques de films et de séries télévisées. Son jazz est depuis le début inspiré par le hip-hop !
Le jeu du groupe est particulièrement puissant. Outre les reprises des thèmes par les trois soufflants, le ténor, le soprano et la trompette, on note un drive puissant dans les rythmiques par le batteur, le pianiste et Miles Mosley à la contrebasse. Ce dernier exécute un long solo en pizzicato, très fluide et puissant à la fois.
Il exécute aussi des introductions à l’archet. Avec Tony Austin le batteur, ils forment une rythmique très robuste, sur laquelle les improvisateurs peuvent s’appuyer pour laisser libre court à leur imagination dans leurs solos. Si le groove est collectif et puissant, le jeu du batteur en devient hypnotique. On retrouve un leader au ténor, qui joue avec rage dans l’urgence et la spontanéité du jazz.
En cela, il fait honneur à John Coltrane, son influence. Il nous donne l’impression de jouer comme si cela était la dernière fois, comme s’il jouait sa vie à chaque solo.
Malgré la sonorité moderne du groupe, l’essence du jazz est bien présente. Ses longs solos nous emmènent loin, il est à fond systématiquement et nous met KO à chaque improvisation en enflammant le théâtre antique.
Un bémol pour le son du concert peut être émis. Parfois trop fort, souvent mal équilibré, notamment pour la chanteuse, le flûtiste et le trompettiste qui ne sont pas assez mis en valeur et que l’on a du mal à entendre par-dessus la rythmique. Le DJ aux platines a su se faire discret au début du set pour distiller quelques bruitages élégants, puis s’est plus imposé vers la fin avec une présence surchargée de scratch.
Sur une reprise d’Astor Piazzolla, les solos vont s’enchainer par chacun des musiciens pour un final en apothéose. Pour son précédent passage à Vienne il avait repris La mer de Claude Debussy, titre présent également sur l’album The Epic. Le jazzman est un musicien érudit qui connait, apprécie et s’approprie les répertoires de toutes les musiques.
Ce jazz contestataire et engagé se termine par un point levé du Black Power. Dans le lequel on peut lire un symbole faisant référence aux athlètes de JO de Mexico en 1968. On retrouve, cette incarnation dans la tenue africaine de saxophoniste ténor ou encore dans celle du bassiste avec notamment le béret des Blacks Panther. Nous avons vu ce soir un jazz moderne, très actuel et à la fois bien ancré dans la tradition musicale et dans la culture afro-américaine.
(Texte : Jean-François Viaud)
L’OVNI Meshell
Passons vite sur qui apparut sur scène comme un OVNI musical, malgré de belles mélodies, mais soporifiques agrémentées de longues tirades, la compositrice, bassiste, chanteuse et cheffe d’orchestre étant très engagée contre le racisme et les combats contre le racisme. Mais même avec les meilleures intentions du monde, l’impression que donnait cette formation est qu’elle jouait pour elle-même, en boucle, pas vraiment pour le public. Logique au bout d’une heure, Meshell et sa formation sont sortis sous de timides applaudissements et sans un rappel.
La solide énergie d’Ishkero
Enfin, saluons la première partie de soirée qui a permis de retrouver Ishkero le lauréat 2021 du Tremplin ReZZo de Jazz à Vienne, bien dans le thème de la soirée, le jazz alternatif avec sa musique ouverte et décomplexée.
Sur scène le groupe parisien de jazz progressif à la forte énergie était rehaussé par la présence de Donny McCaslin membre de Steps Ahead et connu aussi pour avoir été le principal soliste du dernier album, avant sa disparition de David Bowie.
A eux les six musiciens exprimèrent un jazz fusion très créatif, illustrant la perpétuelle mutation que rencontre le jazz, s’appuyant sur de solides concepts musicaux et l’improvisation, mais toujours en mouvement. Ce qui fait sa richesse.
D.L.
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