Il fallait oser : reprendre et prolonger la musique du film, signée Leonard Bernstein et nous emmener jusqu’à un concert jazz d’un big band sûr de sa force, de ses musiciens et de sa capacité à lui donner une nouvelle saveur
Ca fuse de partout. Constamment. Une couleur chasse l’autre. Idem les émotions au gré d’une musique en perpétuel mouvement, « pianotant » sur ses 17 musiciens, de noir vêtus, sages comme des images….fausse image.
L’exercice n’a rien de simple : parce que tout le monde a vu revu le film, n’en a rien oublié, ni de l’histoire, ni des décors, ni des personnages appelés à s’y perdre. Parce que sa musique est déjà dans les têtes, indélébile : thèmes sortis de la plume (et de la baguette) d’un même homme, chacun unique. Douceur et cruauté mêlées, amour et violence, vie et mort. Parce que aussi les années ont passé, et surtout, parce que cet orchestre est d’abord un big band dans lequel le jazz est au centre du propos.
Là est de tour de force : reprendre cette musique là où Berstein l’a installée en lui donnant une nouvelle saveur sans rien renier de son (grand) héritage. Sans le moindre sacrilège, faute de goût ou faux-pas. Prolonger l’oeuvre en conservant sa rigueur musicale, en se passant des images filmées bien sûr, mais en y insufflant cette éclosion perpétuelle que permet, qu’appelle l’improvisation.
C’est donc cela que réalisent ces 17 musiciens, renforcés de deux chanteurs et d’un conteur.
Naïma Naouri, photo de André Henrot
Naïma Naouri et Pablo Campos : un duo poignant. Photo de Patrick Martineau
Une curiosité inlassable pour des mondes musicaux multiples
L’Amazing Keystone big band n’en est pas à son coup d’essai, faisant montre depuis sa création d’une curiosité intacte pour des mondes musicaux en apparence très éloignés : d’où une douzaine de projets ou répertoires à son actif, dont désormais ce West Side Story. Mais en décidant de s’attaquer ici à ce film emblématique, il franchit un pas comme s’il avait décidé de se mesurer aux plus grands.
Le big band : sous ces vagues fracassantes, combien de nuances
Magie du big band : la perpétuelle adaptation des instruments à l’émotion que l’on veut faire passer. Autant de musiciens, encore plus d’instruments ( flûte, clarinettes, saxs de différentes couleurs, bugles) mais une seule voix : l’orchestre tourne comme une machine, fracassante ou enveloppante, vagues multiples qui vont et viennent, se brisent nettes, reprennent, tempêtent jusqu’au silence le plus complet. Mais sous ces vagues, combien de nuances : ici juste les quatre de la rythmique, présents d’un bout à l’autre, tout à coup seuls, presque timides, concluant un thème ou adoucissant telle aparté des deux chanteurs yeux dans les yeux.
Plus loin, ces chanteurs d’ailleurs. On les attend au tournant. Mais Naïma Naouri et Pablo Campos, aidés de Boris Winter, le conteur, se glissent étonnamment dans la voix des héros du film au fil de Maria, America, I feel pretty, Tonight……
Sébastien Ballaz signe les arrangements de l’ensemble
Plus loin encore, ces « figures » qu’affectionne Sébastien Ballaz lequel signe l’ensemble des arrangements : cuivres attentionnés pour ponctuer les solos, ou ces instruments qui se rejoignent, tel un éventail qui se déplie, pour accroître l’intensité ou au contraire apaiser : flûte et clarinettes, juste soutenues par une trompette, un trombone et un sax discrets en diable. Comme un accent rajouté sur une voyelle. Ces solos, fusant de partout, jusqu’à l’ultime, celui d’Eric Prost, rageur, signant le dénouement. Et enfin, ce final où guitare, contrebasse version archet, piano et cette batterie attentive et délicate viennent conclure en douceur, l’un des thèmes fétiches du compositeur.
Aucun doute, l’Amazing Keystone Big Band est arrivé à ses fins. A se demander quand la formation décidera de s’attaquer à Mozart.
* Concert donné au Théâtre du Rocher à Pierrelatte.
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