Pharoah Sanders n’a pas déçu, livrant un set généreux de bout en bout malgré quelque peine à traverser la vaste scène, armé de son saxophone. Coltrane est évidemment au centre du propos de cette tournée que le musicien s’impose cet été dans une formation des plus réduites (piano, contrebasse, batterie).
A lui donc la charge d’évoquer celui qu’il a côtoyé dans ses dernières années, de transmettre l’énergie, voire la rage de cette musique, même si cela ne peut avoir évidemment la même portée aujourd’hui. Au passage, le saxophoniste nous rassure sur ses intentions. Si l’introduction du set est toute en retenue, le feu couve trop pour ne pas embraser le petit ensemble tout à l’écoute de son leader.
On peut alors croire que le disciple coltranien va virer au free. Il s’y exerce, le taquine avec un plaisir non dissimulé. Retour aux sources. Du moins à une source. Ces sons aigus ou rauques qui métamorphosent le saxophone, lui donnent une autre vie, retentissent dans le théâtre antique qui affiche une jauge tout à fait honnête au vu de l’affiche « pure » jazz proposée.
Chemin aidant, Pharoah Sanders ne se perd pas en commentaires ou en évocation. Prenant le temps de regarder le théâtre, iI préfère rendre des hommages appuyés aux trois musiciens qui l’entourent. William Henderson comme pianiste historique, discret, léger et authentique. A la basse, Oli Hayhurst, dont les solos résonnèrent de belle façon dans le théâtre et surtout, ce Gene Calderazzo aux drums, un familier de Phil Woods ou de Steve Lacy, et qui ne cesse d’irriguer, de précéder, d’assister ses trois complices. Superbe.
Entretemps, encore, plutôt que de rester dans ces thèmes énergiques, Sanders revient à d’autres horizons, plus calmes. Le temps d’une ballade comme celles que Coltrane aura tant et tant livrées il y a un demi-siècle (cf l’album du même nom). Mais Sanders ne saurait s’arrêter en si bon chemin : et la fin du set lui permettra d’aborder à peu près tous les genres. Du bop, voire un zeste de bossa ou du plus classique encore. Appelant le public à taper dans les mains. Laissant là son saxophone pour chanter ou déclamer. Heureux d’être sur scène comme s’il signait des retrouvailles. Le public le lui a bien rendu.
Remplacer Pharoah Sanders par un duo sax-platines, il fallait oser
Remplacer Pharoah Sanders éclatant par un duo entremêlant acoustique et sons électro, il fallait oser. C’est ce qu’a pourtant tenté et réussi Emile Parisien qui s’est offert là comme un tour de chauffe : il est en effet la « vedette « de la soirée « French Touch » (pourquoi en anglais, je vous demande un peu) organisée ce soir mardi au Théâtre antique.
Pour ce set, il est en compagnie de Jeff Mills. L’un est au saxophone. L’autre aux platines, table de mixage, instruments divers qui s’étalent sur une table de près de 3 mètres de long. On a peine à croire qu’ils puissent tenir la distance, surtout entre un Pharoah Sanders velu et un Archie Shepp annoncé en force.
Mais c’est sans compter sur l’art de séduire du jeune saxophoniste. Et surtout son talent dès qu’il se met à jouer. A lui une sorte de mélopée continue aux accents inspirés nourrie de jolies nuances qui s’imposent dans un théâtre antique silencieux.
A Jeff Mills, le soin de fournir un écrin à cette musique, que ce soit percussions, rythmes divers, reprise même des phrases du saxophoniste selon un procédé aujourd’hui assez répandu. Le plus souvent, ça fonctionne à la perfection. On est face à un orchestre entier, multiforme, flexible au gré des circonstances.
Parfois tout de même on se dit que l’électronique du XXIème siècle ne saurait tout de même remplacer l’inventivité d’une batterie bien menée ou d’une contrebasse altruiste. De même, dans ce discours si poétique, reste malvenue cette attention portée par les caméras aux manipulations constantes de Jeff Mills, en gros plan, lequel se retrouve avec près de 300 potentiomètres, curseurs et autres boutons à gérer.
Ça fait un peu pupitre d’une centrale nucléaire d’une autre époque. A contrario, la danse d’Emile Parisien qui vit sa musique intensément, seul face à un théâtre antique qui pourrait d’un instant à l’autre se décider à se dissiper, est remarquable, accompagne la mélopée, lui donne vie. Bref, un très joli moment.
Une expérience, expliquait le saxophoniste, née de sa rencontre avec le jeune Américain il y a quelques mois et de cette volonté, là encore, de revenir sur les traces de John Coltrane qui fut bel et bien au centre du propos hier soir de ces deux acolytes.
Archie Shepp, impérial
Il faut attendre 23 heures 30, pour voir arriver, en troisième partie de soirée, le vétéran du Jazz, 80 balais qui a joué lui aussi à de multiples reprises avec John Coltrane : Archie Shepp.
D’emblée, avant que les instruments ne parlent, le plus parisien des musiciens américains lance au public qui lui fait une large ovation à son arrivée sur scène : « John Coltrane m’a permis de faire mon premier enregistrement, et encore aujourd’hui, quand j’ai des difficultés techniques, je lui parle. C’est mon grand frère ! » Les mannes du Colosse du Jazz étaient bien là pour veiller sur cette soirée-événement…
Archie Shepp est accompagné ce soir là d’un All Star de combat.
On y trouve le Texan Jason Moran, vif comme l’éclair ; le trompettiste hyper doué Amir ElSaffar, aux accents parfois orientaux ; ainsi que l’efficace batteur Nasheet Waits.
Ils sont rejoints en cours de concert par la chanteuse française Marion Rampal, impressionnante, à la technicité vocale sans faille et par l’étoile montante du saxophone, le jeune Shabaka Hutchings qui se produisit ensuite au Club de Minuit.
Deux interventions malheureusement trop courtes au grand désappointement du public. Une chose est sûre : Archie sait bien s’entourer. On espère revoir Marion Rampal à Vienne beaucoup plus longuement, une belle surprise au cours d’une soirée qui n’en manqua pas !
Toujours impérial, le geste sûr, l’emphase débridée, Archie Shepp a bien évidemment joué Coltrane, beaucoup Coltrane ; mais aussi Duke Ellington et ses propres compositions.
Il conclut cette « colossale » soirée en lançant de sa voix grave : « jusqu’à la prochaine fois, au revoir… » Yes !
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