Xavier Felgeyrolles a signé la programmation des 36 éditions de Jazz en Tête et passera la main à 40 éditions révolues. Promis. Convaincu qu’il était possible de bâtir à Clermont-Ferrand un festival différent des grosses machines estivales, il s’est attelé durant toutes ces années à présenter le jazz de « sa » génération, profitant de la convivialité des lieux pour nouer avec le public et les musiciens des relations inédites. Entretien.
Lancer un festival de jazz à Clermont-Ferrand, comment vient l’idée ?
Xavier Felgeyrolles-Ça ne vient pas tout seul. Dans les années 50/60 il y avait à Clermont un Hot-Club de France. Puis est née en 1974 une association : Les Amis du Jazz. J’avais alors pas encore 18 ans et je l’ai bien entendu rejointe. Et, quelques temps après, a ouvert Le Clown, un club de Jazz qui n’avait rien d’imposant mais où l’on a reçu des gens comme Martial Solal et, en 1979, à Clermont, Ella Fitzgerald et Oscar Peterson. Ensuite, à l’époque des années 80, il n’y avait pas de volonté municipale de développer la chose mais on a fait venir des formations intéressantes. Enfin, en 1988, il s’agissait de créer un évènement qui lancerait la saison : c’est ainsi que j’ai lancé avec une poignée d’amis Jazz en Tête, soit une aventure !
« Faire connaître les gens, les artistes de ma génération »
Quel souvenir de cette première édition ?
D’abord Joe Pass lui-même en solo. Mais aussi Dee Dee Bridgewater, Herbie Hancock, Ray Brown Trio. Le souvenir aussi que l’on a dû changer trois fois de lieu : la troisième fois ce fut le Casino de Royat avec des cierges et des bougies.
Mais cette première programmation en disait déjà long sur vos goûts ?
J’étais déjà « branché » jazz et j’étais évidemment attentif aux festivals européens et à ce qu’ils faisaient. La deuxième année, j’ai cherché à mettre en place ce qui peut ressembler à une mission : faire connaître les gens, les artistes de ma génération.
Et dès cette deuxième édition, on peut considérer que le ton était donné ?
Oui, c’est allé vite. Il suffit de regarder la programmation de cette deuxième édition. Et dès la troisième année, en 1990, Miles Davis est venu à Clermont.
Depuis le festival, c’est 5 jours ?
Oui mais en amont, il y a durant trois jours le festival Hors les Murs : on choisit un groupe qui se déplace dans la région.
« Roy Hargrove est revenu six fois à Jazz en Tête »
Parmi vos souvenirs, certains sont plus marquants ?
Oui. Façon anecdote : comme en 1991, étaient au programme Tony Williams et Joe Henderson. Mais le sponsor n’a pas payé.
Façon plus heureuse : c’est cette première rencontre avec Roy Hargrove qui est resté avec nous trois jours. Quelque chose s’est créé entre nous et entre lui et le festival. C’est ce qui explique qu’il est revenu six fois à Jazz en Tête, dans différentes formations, dont le RH Factor.
« La petite dimension de Clermont permet autre chose »
A l’examen de ces 36 éditions, y’a-t-il une ligne directrice constitutive de Jazz en Tête ?
D’abord, Jazz en Tête ne peut pas être un très gros festival, mais je suis sûr d’une chose : la « petite dimension » de Clermont permet autre chose. Et on peut avoir artistes ou formations que les grosses machines ne peuvent pas s’offrir. Ce qui est important c’est qu’avec les dimensions limitées de Clermont, les gens peuvent écouter, faire des rencontres et vivre l’expérience du jazz pendant deux ou trois jours. Par le passé, comme road manager, j’ai vu ce que vivaient les artistes qui fréquentaient ces festivals, allant d’hôtels en aéroports. Je me suis dit qu’on pouvait faire autre chose à partir de notre jauge maxi (1200 spectateurs payants). Il faut se rendre compte : c’est ce qu’ont fait Herbie Hancock, Michel Petrucciani …… sauf Miles qui a joué pour sa part devant 2 400 spectateurs (à la Maison des Sports).
Eloge de la petite taille donc ?
Si on courait derrière les gros festivals, ça ne marcherait pas. Les petites dimensions de Clermont sont un avantage tant que l’ équipe restreinte accepte de jouer le jeu. Les grandes machines sont dépendantes d’autres paramètres : pour les gens ou pour les élus, c’est le chiffre, le nombre d’entrées qui compte. Pour certains sponsors, plus c’est gros mieux c’est. Mais comme le dit le dicton : une cafétéria fait plus de monde qu’un restaurant gastronomique, mais qu’en est-il du menu ?
Je crois au contraire que les amateurs vont aller chercher des conditions particulières pour écouter de la musique, pour écouter du jazz. Regardez Nevers par exemple. Mais, même l’été, j’en suis persuadé, on peut faire des festivals différents.
Restait néanmoins à proposer, à imposer, cette direction à Clermont-Ferrand ? D’où c’est venu ?
J’avais passé l’équivalent de deux ans à New York par de longs séjours successifs. Essentiel quand on programme du jazz. Paris reste une place-forte mais les clubs ne se sont pas renouvelés. En Province il y a des amateurs de jazz qui ont vraiment envie d’écouter, de découvrir. A Clermont, le festival a suscité des envies. Des classes de jazz ont été créées. Et aujourd’hui, le niveau des musiciens n’est plus le même. Il suffit d’écouter les jams qui ont eu lieu samedi et dimanche pendant le festival.
« Je sais ce que je dois aux anciens »
Néanmoins, entre la date (mi-octobre) et la ville, au coeur de l’Hexagone, restait à faire venir des artistes des quatre coins du monde ?
Le problème de Clermont c’est que c’est une île. Assez mal reliée, que ce soit par l’aéroport ou le train. Cette année, encore pour Immanuel Wilkins, ça a été compliqué. Ca passe souvent par des allers-retours à Lyon Saint-Exupéry.
Accessoirement, faire venir de New York des musiciens peut coûter cher ?
Oui. C’est pourquoi il faut tenter de « mutualiser ». Par exemple pour Willie John, je lui ai trouvé Le Duc des Lombards. Il est vrai aussi que, souvent, les musiciens acceptent parfois d’être payés un minimum syndical. Je me souviens, quand j’ai eu Le Roy Hargrove en 1991, personne n’en voulait alors car il n’avait pas encore tourné.
C’est ce qui caractérise Jazz en Tête ?
C’est à la fois lié à nos envies, aux disponibilités et aux sujets. J’effectue la programmation entre avril et fin juillet. Ensuite, elle évolue au gré des possibilités. L’essentiel c’est que je sais ce que je dois aux anciens et je respecte plus que tout ce que les jeunes vont apporter. Rappelons nous du message de Monk : « le jazz va où il veut du moment où il sait d’où il vient ».
Pour cela nous avons une politique : pour les jeunes l’entrée est à 10 euros. Et ce qui me plaît c’est que cette année on avait une équipe pléthorique de jeunes. C’est la relève. C’est parmi eux que l’on aura le futur programmateur, quand j’arrêterai. afin de ne pas faire les années de trop….en principe la 40ème.
Quelle évolution notez-vous plus particulièrement en 36 ans ?
C’est toujours le même état d’esprit mais on ne peut pas jouer aujourd’hui comme on jouait à l’époque car l’environnement a changé. Je suis toujours ému par les grands standards. Mais s’ils ont tenu, c’est que les gens les respectent en les jouant autrement. Il y a quelques années j’étais parfois pessimiste. Mais aujourd’hui il y a des tas de gamins qui ont envie d’en découdre. Quand je vois le jeune trompettiste samedi, c’est fantastique (1).
Cette année, de Jeremy Pelt, Brad Meldhau, Immanuel Wilkins à Robin McKelle, il y avait une dominante américaine. Hasard de la programmation ou reconnaissance d’une réalité ?
Il est vrai que c’est le jazz « canal historique » et je tiens à ça. J’aime beaucoup le blues, le gospel. J’écoute beaucoup de trucs. Je connais bien les Antilles, le Brésil. Notons aussi que la relation des Français au rythme est différente et le développement des classes de jazz dans les écoles de musique et dans les conservatoires est une très bonne chose pour l’instrumental mais ce n’est pas forcément bien pour le jazz. Long sujet !
1) Le trompettiste Giveton Gelin
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