Il est des carrières ou des mystères qui ne s’expliquent ou ne s’emboîtent pas trop. En apparence. Ainsi, Alain Brunet, le cheveu bouclé, l’œil malicieux et le verbe soigné. Présentement président, fondateur-inspirateur du festival Parfum de Jazz (Drôme provençale), qui fête dans l’été qui s’étire son 20ème anniversaire. Président certes, mais pas que… Car l’homme est d’abord un trompettiste talentueux qui a accumulé au fil des décennies concerts, tournées et enregistrements en France et un peu partout dans le monde. Tout de même, quelques souvenirs surgissent plus volontiers que d’autres : telle cette tournée d’un mois aux USA et au Canada en 1995 ou ces concerts en Afrique de l’Ouest, à Téhéran ou celui donné au Pakistan devant 2 000 personnes : « une expérience incroyable ». Tour à tour leader ou sideman. A ses côtés, défile toute une galaxie du jazz, de Petrucciani à Olivier Témine et Manu Roche en passant par Clark Terry, Sonny Stitt, Texier, Humair, Jacques Bonnardel et autre Denis Badault. Sachant qu’il a créé son premier orchestre professionnel en 1973 et qu’il est aujourd’hui plus sémillant que jamais, voilà donc un demi-siècle que ce musicien, qui commença à jouer à 10 ans à l’Harmonie de Saint-Sorlin-en-Valloire, arpente, trompette sous le bras, l’Hexagone et le reste du monde.
Trompettiste, musicien …… mais aussi diplomate et rassembleur
Mais, en suivant ces pérégrinations, ne pas oublier une autre carrière du personnage. Une autre face ; comme une autre vie : de l’école normale de Valence à l’âge de 15 ans au cabinet de Jack Lang dont il sera le conseiller politique puis le chef de cabinet, avant de rejoindre Jean-Marie Cavada à RFO après un passage à la « 5 ». Ajouter à cela une carrière dans la préfectorale active comme sous-préfet de Céret avant d’être nommé inspecteur général de l’administration de l’Education nationale, chargé notamment, des audits des université. De cela, outre de l’entregent et un talent de diplomate incontesté, il conserve un infime accent, comme le souvenir d’une page désormais tournée, et sans doute une capacité décisive à monter et à organiser des projets et de réussir à fédérer autour d’eux. 20 ans d’histoire de Parfum de Jazz, 20 ans de bénévolat C’est au milieu de tout cela que notre homme a donc eu l’idée et créé le festival Parfum de Jazz, en complicité avec le maire de Buis-les-Baronnies de l’époque, Jean-Pierre Buix (voir par ailleurs son entretien). On était en 1997. 20 ans après, le festival a pris ses marques et essaimé jusqu’en vallée du Rhône : 15 jours de musique dans une Drôme provençale, cadre idéal à un évènement à l’identité propre. Au fil des éditions, le festival n’a cessé de s’allonger, de se renforcer et de peaufiner son affiche. Cette année, après avoir reçu Rhoda Scott et Géraldine Laurent, il se conclura avec l’un des derniers grands saxophonistes qui soit possible de voir sur scène : Archie Shepp.
Paradoxal enfin, Parfum de Jazz tient d’abord par une flopée de bénévoles, femmes-hommes qui se mobilisent pendant la quinzaine et les semaines qui précèdent. Parallèlement, le rendez-vous a vu de plus en plus de communes (La Garde Adhémar, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Pierrelatte…..) et de collectivités locales (département de la Drôme, Région) le rejoindre. Rançon du succès certes, mais surtout rançon d’une constance jamais démentie.
A quelques instants de présenter l’un des premiers concerts de l’édition, Alain Brunet revient sur l’événement qui fête, rappelons-le, sa 20ème édition.
L’histoire retient que vous avez appelé un jour, depuis la Polynésie, le maire de Buis-les-Baronnies, vieux complice, pour lui proposer d’organiser un festival. Comment est parti Parfum de Jazz ?
En effet, je travaillais alors avec Jean-Marie Cavada, président de RFO et j’ai en effet appelé un jour Jean-Pierre. En 1998, on a donc lancé le festival, en fait plutôt un concert, puis l’année d’après, nous sommes passés à deux concerts.
Y’avait-il à ce point un public intéressé par des concerts de jazz ?
Oui, il y en avait un. A Buis, il s’agit surtout d’un tourisme rural, de personnes qui viennent se détendre, faire du vélo ou pratiquer de l’escalade, sans compter le public local. C’est ainsi qu’on a lancé ça et, remarquons-le, on a lancé ça tout seul. Et puis peu à peu, le festival a grandi.
Comment a-t-il évolué ?
Il s’est agi d’abord d’asseoir le festival à Buis et de passer de deux à trois concerts en une semaine, à cinq concerts. Plusieurs années, le festival démarrait le mercredi pour terminer le samedi. Puis, on a commencé à élargir les dates pour arriver graduellement à démarrer le dimanche, comme cette année à Saint-Ferréol-Trente-Pas. Pendant une dizaine d’années, Parfum de Jazz était le festival de Buis-les-Baronnies. Puis, au bout de dix ans, a eu lieu une extension du festival en Tricastin, lequel dispose de plus de moyens. J’y ai vu en effet l’opportunité d’accroître le budget du festival et, ce faisant, d’attirer des musiciens connus, tels Didier Lockwood ou Manu Dibango. C’est ainsi que le festival se prolonge désormais en deuxième semaine en Tricastin, associant plusieurs communes dont Pierrelatte, La Garde-Adhémar, Saint-Paul-Trois-Châteaux et bien d’autres. En matière de public, on table d’abord sur des locaux : dans cette vallée, les touristes passent mais ne restent pas.
C’est vous qui bâtissez notamment la programmation de ce festival : quelle ligne musicale suivez-vous ?
On refait l’histoire du jazz. Mon idée est simple : le jazz est de plus en plus mal connu. Il faut faire son histoire et prendre des groupes en fonction. Dans cette optique Je refuse les modes, d’abord parce qu’on n’a pas les moyens et, ensuite, parce que je m’en fous. Durant des années on s’est fichu des modes. A chaque édition, il y a toujours eu du jazz classique, jazz moderne, be-bop, jazz contemporain. Cette année est un peu plus particulière : j’ai lancé ce programme avec des groupes de femmes.
« Je revendique la première fête de la musique, au château de Grignan, en 1981 »
Vous avez été un proche collaborateur de Jack Lang, dont le nom reste notamment associé à la création de la fête de la musique. Cela a-t-il influé sur votre idée de créer ici un tel festival ?
En fait, je revendique la première fête de la musique. J’en ai en effet organisé une le 17 mai 1981. J’étais alors en charge de la culture pour le département et, en janvier 1981, j’ai émis l’idée de faire une telle fête dans le château de Grignan que le conseil généra venait de reprendre. Et le 17 mai, nous avons fait une grande fête de la musique.
Comment se répartit le financement de l’événement, qui est souvent la condition de survie d’un festival ?
Il faut d’abord remarquer que c’est un budget contraint : cette année, il est proche de 180 000 euros. Il se compose de petites subventions de la commune de Buis-les-Baronnies (4 000 euros, 5 000 euros aujourd’hui), du conseil général (8 000 euros), d’une rallonge pour les conférences (4 000), de la Région (6 000 euros), d’aides apportées par des sociétés civiles pour 22 000 euros, du mécénat pour 23 000 euros et, bien entendu, des recettes de la billeterie. Les recettes propres représentent un tiers du budget, soit quelque 50 000 euros. Cette année on espère atteindre les 60 000 euros. Vous comprenez que c’est une épée de Damoclès : il suffit que le temps ne soit pas au rendez-vous et on peut perdre jusqu’à 30% de public. Il y a deux ou trois ans, on avait gagné 20 000 euros mais l’an dernier, nous en avons perdu 9 000.
Au fil des éditions, avez-vous dû surmonter des écueils, des difficultés, telle une annulation de dernière minute de la part d’un artiste ou d’un groupe ?
Jamais. Une annulation comme celle du concert d’Airelle Besson cette année à La Garde-Adhémar (pour raison de santé) est la seule que nous ayons connue en 20 ans de festival. Pour le reste, le festival tient grâce à ses bénévoles, qui représentent quelque 80 personnes : notamment des instituteurs, d’anciens professeurs, d’ancien proviseur, une écrivaine. Tous nous ont rejoint parce qu’ils aiment le jazz et parce qu’ils voulaient retrouver la camaraderie et l’amitié de l’époque de l’école normale de Valence. Aujourd’hui, le festival est bien assis. Sa notoriété ne cesse de grandir. Peut-il encore y avoir des craintes quant à sa pérennité ? Si j’avais trente ans de moins, on pourrait peut-être étendre le festival à un mois car tous les maires nous accueilleraient. J’en ai déjà refusé trois ou quatre car on n’a pas les moyens. Or nous sommes tous peu ou prou sexagénaires alors qu’un tel festival représente un boulot énorme, de décembre à fin août pour schématiser. La pérennité de Parfum de Jazz passe, à mon sens, par le recrutement, par la présence d’une personne au profil d’administrateur. C’est à cette condition, je pense, que le festival serait réellement à l’abri de tout incident à l’avenir.
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