Avec un peu de retard (on ne voit pas le temps confiné passer), voici quelques nouveautés pour cet étrange mois d’avril !
OBRADOVIC TIXIER DUO . The boiling stories of a smoking kettle
Naim Records
Lada Obradovic : batterie, glockenspiel, voix
David Tixier : piano, bass station, voix
- Produit par Rézzo Focal et Jazz à Vienne suite à leur victoire au tremplin de ce festival, Cet album de huit titres est parfaitement représentatif de l’univers personnel construit par ce duo multi primé. Tout particulièrement mélodique, le couple musical emprunte au jazz son hier et son aujourd’hui, les malaxe avec bonheur au service d’un imaginaire fécond et ouvre les portes d’un espace original où interviennent avec bonheur l’engagement, l’humour, le sensible et une belle dose d’humanité. Bien dans son époque, pour le meilleur, Lada Obradovic et David Tixier, tous deux dotés d’un brio technique qui leur permet une expression pleine et entière, démontre qu’il est encore possible de faire des disques dans lesquels la création explore encore des lieux à défricher non dénué de lyrisme et d’étrangeté. Dynamique sous son aspect percussif, le jazz de ce duo plein d’avenir sait aussi se jouer de la ballade avec un art consommé de la subtilité, ce qui mérite d’être signalé. À noter, une seule reprise dans cet album, celle du So what de Miles Davis que le duo retravaille avec un bel aplomb qui arrive à surprendre l’auditeur. C’est un disque transfrontalier, aux saveurs multiples, que nous proposent Lada Obradovic et David Tixier. Et c’est une réussite.
https://www.obradovictixierduo.com
AVISHAI COHEN . Big Vicious
Ecm
Avishai Cohen : trompette, effets, synthétiseur
Yonathan Albalak : guitare, basse
Uzi Ramirez : guitare
Aviv Cohen : batterie
Ziv Ravitz : batterie, sampling
Avec ce groupe cent pour cent israélien, le trompettiste Avishai Cohen offre à l’écoute une musique d’aujourd’hui dont le champ stylistique est ouvert à tous vents. L’écriture est le fruit d’un travail collectif. L’enregistrement lui s’est fait après que le groupe ait écouté nombre de bandes capturées en concert, une sorte de travail à l’envers afin de transcrire au mieux en studio une énergie propre à la musique dans son expression scénique. L’ensemble des musiciens se connaissant depuis toujours ou presque, la cohésion est au rendez-vous et elle leur permet d’affronter avec assurance une variété de propositions dont la richesse même éclabousse l’ensemble du disque. Dans un esprit plutôt pop, la musique de Big Vicious conserve du jazz la finesse et l’aspect aventureux. Propulsé par deux batteries, leur musique s’écoule en textures colorées, toujours très travaillée au plan mélodique. Avec des influences allant de Massive Attack à Beethoven ou encore Fleetwood Mac, Avishai Cohen et ses collègues de jeu créent un cocktail musical qui ne manque pas d’intérêt.
http://www.avishaicohenmusic.com
GREGOIRE MARET & ROMAIN COLLIN . Americana
Act
Grégoire Maret : harmonica
Romain Collin : piano, moog Taurus, orgue, effets
Bill Frisell : Guitares électrique et acoustique, banjo
Clarence Penn : batterie
Grégoire Maret et Romain Collin nous disent : « L’Americana est à l’intersection du folk, de la country, du blues, du R&B, du gospel et du bluegrass. L’essence de ce projet est d’adopter une attitude inclusive à l’égard de toutes les racines de la musique et de la culture américaines ». Un beau programme en perspective, d’autant plus que Clarence Penn, toujours épris de finesse, tient les fûts et que, cerise sur le gâteau, son Altesse Bill Frisell est convié à la fête. Avec sa guitare au lyrisme paisible et au timbre chantant, ce dernier apporte une contribution non négligeable à l’album sans pourtant tirer la couverture à lui.
Cela commence avec le « Brothers in arms » de Mark Knopfler et cela se poursuit avec deux compositions de Bill Frisell, une de Jimmy Webb, une autre de Justin Vernon et et trois originaux de Grégoire Maret et Romain Collin. D’un bout à l’autre du disque, l’harmoniciste et le pianiste tiennent les rênes d’une musique plus que sensible ayant fait une bonne fois pour toutes le choix éclairé de la nuance. Les musiciens s’y livrent donc sans retenue et offrent un large panorama dans lequel une forme de lenteur, propres aux grands espaces, s’exprime entre mélancolie limpide et sérénité assumée. Assez magique, pour tout dire.
https://www.gregoiremaret.com
https://www.romaincollin.com
JOHANNA SUMMER . Schumann kaleidoskop
Act
Johanna Summer : piano
- Le talent, voire plus, n’attend pas le nombre des années. Johanna Summer, pianiste allemande âgée de 25 ans le démontre avec cet album envoûtant où elle s’approprie les compositions de Robert Schumann pour en faire une autre musique, la sienne. Et c’est ainsi qu’elle fait sonner des mélodies archi connues comme des pièces composées aujourd’hui avec une sorte d’urgence créatrice qui n’appartient qu’à la jeunesse. Tout au long du disque Johanna Summer mêle harmonieusement la rigueur du classique à la liberté du jazz et cela paraît une évidence. Les pièces schumanniennes refondues, travaillées longuement avant l’enregistrement, sont autres mais l’émotion romantique du natif de Swikau demeure. En dramaturge accomplie, la pianiste décline sa musique avec sens de la narration exceptionnel. Elle joue de la dynamique et de la tension et organise une architecture musicale qui privilégie les atmosphères. S’attaquer ainsi à l’écriture d’un immense compositeur est audacieux, mais le domaine de formes est infini et la jeunesse en liberté s’en est emparé sans complexe, s’est impliqué profondémment, et l’a recrée avec une réelle originalité. Bluffant.
https://www.actmusic.com/en/Kuenstler/Johanna-Summer
HANK JONES . Live at Jazzhus Slukefter
Storyville Records
Hank jones : piano
Mads Vinding : contrebasse
Shelly Manne : batterie
- Enregistré en concert le 06 juin 1983 à Copenhague, ce volume 2 reprend les mêmes musiciens là où le volume 1 (paru en 2019) les avait laissés. En vérité, c’était une belle soirée où l’inusable pianiste, sous l’impulsion d’une rythmique hyperactive, avec un Mads Vinding au taquet et un Shelly Manne toujours aussi surprenant, parcourt le songbook à la façon éclairée de l’encyclopédie vivante qu’il était avec un entrain tout à fait jouissif. Les trois compères, dans un même élan se trouvent, se courent après et se retrouvent comme larrons en foire. La musique est brillante car l’harmonie entre les trois artistes est le fruit de collaborations diverses et répétées. Sur le premier morceau, Jones se permet, l’air de rien, de citer Chopin avec l’élégance pianistique qui l’a toujours caractérisé. Les interventions du contrebassiste danois sont d’une belle vélocité, mélodique et fluide, celles du batteur new-yorkais, à la palette sonore assez exceptionnelle, sont diablement inventives. Au final, l’énergie qui traverse le disque et sa matière première, l’excellence musicale, sont suffisamment contagieuses pour que l’auditeur prenne tout le plaisir possible à l’écoute de ce Cd. On regrette cependant que la qualité de la prise de son soit un peu défaillante, notamment sur la batterie dont les cymbales nous rappellent les casseroles en aluminium de notre grand-mère. Mais bon, ce léger défaut ne doit pas entamer votre désir de jazz car, au niveau où il évolue durant ce set, c’est du pur bonheur.
https://en.wikipedia.org/wiki/Hank_Jones
THE WORKSHOP . More conversations with the drum
Onze Heure Onze
Stéphane Payen : saxophone alto
Olivier Laisney : trompette
Guillaume Ruelland : guitare basse
Vincent Sauve : batterie
Thibault Perriard : batterie
Bo Van Der Werf : saxophone baryton
Nelson Veras : guitare
Sur la base d’un quartet solide, de par son ancienneté et le talent des participants, Stéphane Payen continue le voyage en augmentant la voilure. Nelson Veras et Bo Van Der Werf élargissent l’horizon et Thibault Pierrard en second batteur gonfle le moteur. En compositeur accompli adepte de la polyrythmie, le saxophoniste mène sa troupe et dévoile une musique attachante dont la complexité ne nuit pas à la lisibilité. C’est tout un art. L’ensemble du corpus musical produit navigue entre fragmentation et attirance. Plus par plus, moins par moins, vous connaissez la chanson. Les lignes mélodiques et les brisures rythmiques s’assemblent, discutent ensemble, se défient quelquefois. Tout est précision dans ce disque et tout est musique. Qu’on le veuille ou non, Stéphane Payen et ses acolytes, au travers de cette musique a priori architecturalement complexe, font passer un souffle vivifiant d’humanité car ils échangent en permanence à hauteur d’être. On se laisse prendre et porter par les intrigues narratives explorées et, d’une manière générale, par la versatilité des dialogues qui font du souple avec du carré, du charnel avec de la rigueur.
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