Classique, moderne ou contemporain, le jazz est là, sous toutes ses formes. Se baigner dans la diversité musicale est un bon moyen de lutter contre les frimas automnaux.
WOODY SHAW QUINTET . Live at Onkel Pö’s Carnegie Hall – Hamburg 1979
Jazzline – NDR info
Woody Shaw : trompette
Carter Jefferson : saxophones soprano et tenor
Onaje Allan Gumbs : piano
Stafford James : contrebasse
Victor Lewis : batterie
Chez les hard boppers du passé, il y avait un trompettiste, un peu oublié de nos jours, qui avait un sens du rythme vraiment incroyable. Il s’appelait Woody Shaw et si sa santé défaillante ne l’avait pas enterré si jeune (1944-1989), il aurait fait une toute autre carrière. Né avec l’oreille absolue et une capacité étonnante à ne jamais perdre le fil des ses improvisations, aussi complexes soient-elles, il est passé parmi nous avec la fougue d’un musicien qui avait peut-être peur de son absence de futur. Dans ce live plus que vivant où les morceaux durent entre 12 et 24 minutes, c’est tout l’art, bourré de citations, des puncheurs jazzy qui s’exprime. La patate est chaude, voire bouillante, et chacun des protagonistes du quintet se la refile avec un brio qui marquent une époque où la joie de jouer s’accompagnait de sueur, sans arrières pensées mais avec un talent redoutable. Sur une rythmique qui ne lâchait jamais rien, les musiciens donnaient le meilleur de leurs soli au service d’un collectif attentif et toujours prêt à relever le gant. Au final, cela offrait aux spectateurs des sets à rallonge plein d’une énergie sans filtre mais toujours extrêmement communicative. En ces temps anciens, le quatre quatre était de rigueur, bien sûr, et le public l’attendait comme une évidence au même titre que le thème ou les ponts. Et c’était bien comme ça. On ne regrette pas pour autant cette musique mais plus l’implication totale des musiciens dans leur art. A cette aune, « All the things you are » est devenu « All the things you were ». On n’en fera pas une maladie parce qu’eux, ils en faisaient des mélodies qui nous habitent encore.
https://en.wikipedia.org/wiki/Woody_Shaw
DAVID BRESSAT . True colors
Adme Obstinato
David Bressat : piano
Eric Prost : saxophone tenor
Aurélien Joly : trompette
Florent Nisse : contrebasse
Charles Clayette : batterie
La belle équipe. Est-ce ainsi que l’on qualifie ce quintet ? Oui, sans problème. Tous se connaissent bien, très bien. Soudés autour d’une esthétique jazzy sans âge, donc toujours pertinente, David Bressat et ses coreligionnaires sont la preuve qu’il est toujours possible d’être créatif dans un univers jazz que certains ne veulent plus connaître. Tout au long de ce disque où les musiciens préfèrent la finesse aux effets de manches, l’écoute est prégnante et la musique qui en découle possède des atours ouvragés qui évitent la surcharge. De fait, sous l’impulsion du pianiste, l’ensemble est limpide et parfaitement équilibré. Les mélodies s’exposent avec un réel souci d’économie afin de ne pas perdre de vue l’essentiel, à savoir la lisibilité. D’un thème à l’autre, le quintet varie sa palette, étire et contracte les tempi, pousse et repousse le flot musical, laisse passer l’air dans la masse et construit des histoires sincères toutes éclairées par des nuances subtiles. De par l’élégance des formes et la parfaite harmonie entre les musiciens, il nous est arrivé de penser à l’illustre Jazztet de Benny Golson et Art Farmer. Noter ce type de filiation n’est pas un reproche de notre part, bien au contraire, car cet enregistrement public aux couleurs vraies sait faire passer un message musical qui, comme nous l’écrivions plus haut s’affranchit de la temporalité. Ce n’est pas donné à tout le monde.
http://www.obstinato.fr/index.php
GERALDINE LAURENT . Cooking
Gazebo
Géraldine Laurent : saxophone alto
Paul Lay : piano
Yoni Zelnik : contrebasse
Donald Kontomanou : batterie
L’on sait que Géraldine Laurent ne fait, musicalement, que ce qu’elle souhaite faire et ce, depuis toujours. Libre est donc l’adjectif qui convient à sa musique comme à elle. A la tête d’un quartet ayant quelques années d’existence, l’altiste à l’imaginaire fécond revient avec cette formation acoustique pour un deuxième CD intitulé Cooking (ce qui au passage nous fait souvenir de Miles). Toujours enthousiaste et impétueuse dans son jeu, elle cuisine un jazz classique d’avant-garde avec ce son et ce phrasé qui n’appartiennent qu’à elle. Colorée et chaude, sa musique aime aller à la rencontre de l’inconnu comme on élabore une recette en ne la suivant pas à la lettre. La prise de risque inhérente à l’improvisation éclate à tout moment et génère un flux musical qui privilégie la surprise. C’est savoureux et relevé et, comme avec tous les plats savamment épicés, il faut goûter le plaisir interactif des musiciens et la musique qu’ils créent, une musique dense mais jamais bavarde, toutes papilles auditives dehors. La cuisine en quartet de Géraldine Laurent est décidément une subtile affaire de dosage et un art dans lequel elle excelle.
https://www.geraldinelaurent.com
AVRAM FEFER QUARTET . Testament
Cleanfeed Records
Avram Fefer : saxophones alto et ténor
Marc Ribot : guitare
Eric Revis : contrebasse
Chad Taylor : batterie
Ce quartet de jazz typique de la scène newyorkaise de ce dernier quart de siècle était à l’origine un trio, sans Marc Ribot, qui publia deux disques (2009 et 2011). Le saxophoniste leader l’a renouvelé en ajoutant l’inclassable guitariste. La musique y est bouillonnante et se permet tous les excès. La chimie quasi télépathique qui unit les quatre larrons produit une musique enflammée qui s’égaille allègrement dans des échanges tumultueux où chaque musicien affirme un caractère bien trempé. La rugosité de Ribot épaissit la sauce d’un trio épris de liberté qui pousse jusqu’au bruitisme son désir d’échappée belle. Dynamique sous tous les angles, leur musique explore les confins du genre avec notamment un Eric Revis incroyablement solide à la contrebasse. Les autres ne sont pas en reste et Avram Fefer mène l’ensemble avec une ardeur enthousiasmante. L’ensemble des compositions du saxophoniste est empli d’une imagination affranchie de toute contrainte où se côtoient les influences multiples qui génèrent l’esthétique originale de sa musique. Dans cet album, la liberté n’est pas un vain mot et elle claque au visage du musicalement correct avec un lyrisme impétueux et une énergie réjouissante, voire carrément jouissive. Puissant, généreux et engagé. Un must.
DAVID S WARE NEW QUARTET . Théâtre Garonne 2008
Aum Fidelity Records
David S. Ware : saxophone tenor , compositions
Joe Morris : guitare
William Parker : contrebasse
Warren Smith : Batterie
Nous avons le souvenir d’un concert de David S. Ware au festival A Vaulx Jazz, il y a une dizaine d’année, qui nous avait laissé sur le cul (pour dire les choses comme elles furent).L’enregistrement en concert au Théâtre Garonne, à Toulouse, qui nous proposé là date de cette époque. Le guitariste Joe Morris a remplacé depuis peu le pianiste Matthew Shipp et cela modifie considérablement la sonorité globale du quartet. Le conceptualisme musical développé par David S. Ware tout au long des précédentes années, s’il demeure, entre dans une autre dimension qui lui sied parfaitement. Les improvisations du saxophoniste sont bien évidemment toujours aussi férocement belles et baignées dans une forme de mysticisme païen en quête de transes ultimes. Portée par un son et une vision sans équivalent dans son genre, la musique déployée lors de ce concert est celle d’un artiste qui lutte contre son corps déjà en proie à la maladie. Elle est illuminée par la performance guitaristique de Joe Morris qui sait dégager des arabesques spatiales magnifiant le travail du leader qui ne cesse, lui, de pousser dans les cordes les limites (inconnues) de sa créativité. William Parker et Warren Smith, compagnons de route depuis longtemps, permettent (et se permettent) tout au ténor en état d’urgence musical et humain. Ce disque est un témoignage indispensable qui met en lumière le formidable musicien qu’était David S. Ware (1949-2012).
http://www.davidsware.com/home
THE FRED HERSCH TRIO . 10 years, 6 discs
Palmetto Records
Fred Hersch : piano
John Hébert : contrebasse
Eric McPherson batterie
Les inconditionnels du pianiste seront comblés avec ce coffret, agrémenté de textes écrits par Fred Hersch lui-même et l’historien du jazz Ted Gioia, qui retrace les dix années d’activité musicale intense d’un trio somme toute hors norme qui a fait de l’alchimie qui unit les trois musiciens une référence musicale immédiatement repérable. Avec une vision créative qui peut paraître illimitée, Fred Hersch, entièrement dans sa quête, est toute innovation et lyrisme. La mise en danger perpétuelle qui parcoure la musique de ce trio sert une élégance des formes en tout point exceptionnelle. L’inventivité, l’adaptabilité de chaque musicien, servent une inspiration jamais démentie. Que ce soit dans les compositions du pianiste ou bien dans les standards abordés, tout est toujours ouvert, empli de sensations rythmiques et harmoniques finement ouvragées, qui laissent le dialogue musical respirer et pleinement vivre. Ce trio osmotique s’exprime avec une classe qui le place dans la cour des très grands au même niveau que les Jarrett/Peacock/DeJohnette et autres Evans/La Faro/Motian.
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