Que faire après 21 h 00, sinon écouter des disques ? En voici quelques uns qui démontrent, comme toujours, la vitalité de l’univers du jazz et des musiques improvisées.
DAYNA STEPHENS . Right now ! live at the Village Vanguard
Contagious music
Dayna Stephens : saxophones
Aaron Parks : piano
Ben Street : contrebasse
Greg Hutchinson : batterie
- Un double Cd en concert au Village Vanguard avec un tel quartet, on est pressé de l’écouter. Quatre musiciens parmi le gratin du jazz actuel new-yorkais réunis de la sorte, cela ne peut qu’être bon. Oui ? Non ? Oui. Dayna Stephens, atteint d’une maladie rénale rare et éloigné de la scène pendant un sacré bout de temps, est revenu avec l’album Gratitude il y a trois ans. Cet album date de février 2019 et l’on y entend son bonheur de jouer avec ce son grave, ni trop lourd, ni trop léger, et ce vibrato discret qui sont sa marque. Toujours friand de phrases courtes et percussives, il impose une présence telle qu’il faut que ces condisciples soient à la hauteur en toute circonstance. Ça tombe bien, Parks, Street et Hutchinson ne sont pas des lapins de trois semaines et rien ne les trouble. Les quatre produisent une musique pleine de rebondissements rythmiques et mélodiques, emplie de couleurs à l’expressivité chatoyante. Sidérants de facilité dans l’exécution, astucieux en diable, ils sont mus par un désir musical intense qui suinte de toutes parts et que l’on ressent dès la première écoute. Et l’on se dit que l’on aurait aimé passer du temps avec eux au Vanguard tant ils nous filent le sourire avec ce jazz vibrant de vie. Good vibes, comme on dit là-bas.
ANJA LECHNER & FRANCOIS COUTURIER . Lontano
Ecm
Anja Lechner : violoncelle
François Couturier : piano
- La collaboration entre Anja Lechner et François Couturier est ancienne. Leurs esprits se retrouvent autour d’un goût pour l’exploration aventureuse. En spécialistes de l’effacement des frontières, ils œuvrent au service d’une musique inclassable où se côtoient la libre interprétation et l’improvisation. Qu’ils s’attèlent aux compositions des autres ou à des originaux, ils parcourent les styles sans effort apparent et en retirent un chant unique qui n’appartient qu’à eux. La nuance leur est naturelle, l’écoute aussi. C’est du moins l’impression qu’ils nous donnent tant l’attention portée à l’autre est prégnante. Perpétuellement enclins à la modération, ils construisent par touche successive un monde musical affranchi aux timbres doux, dans lequel les différents climats qu’ils élaborent s’inscrivent avec une habilité et une grâce simples. Le plus étonnant vient de ce que les deux musiciens, qui donnent à l’ensemble un air de paisible douceur, font un disque au tempérament marqué qui capte imparablement, presque insidieusement, l’attention de l’auditeur. On est là au cœur de ce que nous aimons appeler « l’art du duo ». Un lieu d’exception où la musicalité des artistes symbiotiques peut pleinement s’exprimer. Chef d’œuvre
HUMAIR / BLASER / KÄNZIG . 1291
Outhere Music
Samuel Blaser : trombone
Heiri Känzig : contrebasse
Daniel Humair : batterie
- 1291, c’est l’année de naissance de la confédération helvétique. La Suisse, quoi. Pour rendre hommage à cet état de fait, une fanfare militaire aurait pu faire l’affaire. Ou bien un trio helvético-suisse de haute volée. Samuel Blaser a retenu la deuxième option et l’on s’en porte plutôt bien. Une génération sépare le tromboniste du contrebassiste et une génération sépare le contrebassiste du batteur. Faites les comptes, ou non. Dans un pays qui se targue d’avoir 3 ou 4 langues, ce disque estampillé 1291 nous est apparu comme un beau prétexte à la réunion trans-générationnelle de trois musiciens d’exception. Ici la musique est aussi joyeuse que tendue car aucun des participants ne fait les choses à moitié. Qu’ils s’en prennent à un traditionnel, à des oignons ou à leurs propres compositions, les trois compères insufflent une musicalité vibrante en toute occasion qui érige l’art du détail en théorème incontournable. Leur dialogue, à cette aune, demande une écoute attentive, un effort qui est largement récompensé par le plaisir que l’auditeur y prend. L’inventivité au service de l’interaction, telle est l’autre crédo de ce trio. Le tromboniste et le batteur qui se retrouvent dans l’inspiration facétieuse encadre le talentueux contrebassiste sur lequel on peut toujours s’appuyer et l’on oublie de fait très rapidement le titre numéral de l’album sur lequel est censé se baser le projet, même si une once de folklore et un léger lamento bovin se laisse presque ouïr ici ou là. L’on écoute juste un album passionnant en tous points qui dépasse grandement l’exercice de style entre égos musicaux de haut rang. Et comme on n’a pas l’intention de se prosterner devant la confédération, nous préférons vanter ici et recommander le catalogue éminemment musical et libre de ces trois suisses réunis pour le meilleur du jazz.
KARIN JOHANSSON / LISEN RYLANDER LÖVE . Arter
Hatvorn Records
Karin Johansson : piano, piano préparé, kalimba
Lisen Rylander Löve : saxophone ténor, voix, kalimba, percussions, électronique
- Ce duo suédois nous intrigua d’abord sans raison particulière. On sent quelquefois un truc, une vibration avant d’avoir entendu ne serait-ce qu’une note. C’était le cas avec ce disque. Et maintenant nous sommes toujours intrigués et nous savons pourquoi. Ce Cd fourmille de détails sonores qui constitue la trame d’un univers particulier, décidément original, au sein duquel les deux musiciennes explorent et développent un ailleurs incertain dont on n’imagine que difficilement les tenants et les aboutissants. Autrement dit, nous fûmes étonnés et de temps à autre surpris par la tournure de ce monde musical très intériorisé ou l’espace ne cède au son qu’une place vague dans lequel s’engouffre une kyrielle d’échos silencieux, ou presque. Notons au passage que les titres sont des noms d’animaux et de plantes menacées d’extinction. Comme quoi la poésie (même un temps soit peu ésotérique) à toute sa place dans le combat pour un monde meilleur. Qui plus est, cela permet de supporter le meilleur des mondes avec ses têtes sans bouches. Soyez curieux et laissez-vous surprendre. Au pire, vous passerez à côté de façon indolore.
https://johanssonrylanderlove.bandcamp.com/album/arter
FRANCESCO BEARZATTI . Zorro
CamJazz
Francesco Bearzatti : saxophone, clarinette, flûte indienne
Giovanni Falzone : trompette, flugelhorn, trompette basse
Danilo Gallo : basse, guitares
Zeno de Rossi : batterie, sifflements
- Francesco Bearzatti et son quartet historique aime les disques conceptuels. Après Tina Modotti, malcolm X, Monk et Woody Guthrie, le musicien du Frioul et ses compères reviennent à nos oreilles afin de rendre hommage à … Zorro ! Par les temps qui passent, on en aurait bien besoin, n’est-ce pas ? Mais là n’est pas le propos. Il s’agit simplement de constater que le Tinissima quartet, quel que soit le projet, est toujours dans l’exigence la plus haute. Avec ce Zorro, cinématographique en diable, le quartet livre sa version des faits et une biographie musicale du héros souvent débridée et prête à exploser de colère ou de joie au gré des ambiances. Avec un sens de la dramaturgie aiguë, non dénué de romantisme, Francesco Bearzatti rend à notre enfance le redresseur de tort flamboyant et les personnages iconiques qui ont fait le succès de la série. Mais au-delà d’une résurrection passagère du mythique feuilleton, le Tinissima quartet ne se prive pas d’une lecture politique s’exprimant avec force dans des improvisations férocement expressives (entre dérapages free et latinité exacerbée) où chaque musicien imprime sa marque en toute liberté (ce qui dans le cas de ce quartet relève du pléonasme). Don Diego Bearzatti et Francesco De La Vega, même combat !
http://www.francescobearzatti.com/
FELISIA WESTBERG . Magic we make
Hatvorn Records
Felisia Westberg : contrebasse, voix
Andreas Petersson : batterie
Johan Ekeberg : guitare
Terese Lien Evenstad : violon
Oskar Sundbaum : saxophone ténor
- Le label suédois Hatvorn Records est un label dirigé par les musiciens qui le représente. Autogestion quand tu nous tiens… Mais c’est très bien comme ça. Sinon comment aurions-nous découvert le quintet de Felisia Westberg ? Cette contrebassiste, vocaliste et compositrice, suédoise donc, mène un quintet particulièrement inspiré qui interprète une musique très mélodique ouvert sur le grand espace. L’on y navigue à l’aise, majoritairement sur des tempi moyens qui ne manquent jamais de créer des crescendos lyriques propices à une forme d’expressionnisme plutôt proche du genre americana. Il n’en demeure pas moins que l’improvisation y trouve également sa place et que les solistes sont pertinents. L’ensemble laisse en outre à l’auditeur sa liberté d’imagination et l’on est fort aise de voir défiler des paysages étranges et vastes, des ambiances non exemptes d’onirisme, d’autant plus que l’on décèle à maintes reprises dans le continuum musical de légères fêlures qui entretiennent le doute d’un album au final assez cinématographique. Une belle découverte qui donne un réel plaisir d’écoute.
Facebook
Twitter
YouTube
LinkedIn
RSS