Martial Solal est l’invité vendredi de l’Opéra de Lyon. Le temps d’un concert unique donné, non pas à l’Amphi, mais dans la grande salle (1100 places). Un concert événement : non seulement parce que les passages du musicien à Lyon ne sont pas légion, mais parce qu’il vient ici en trio, improviser avec l’un de ses vieux compagnons de route, Bernard Lubat (dr), rencontre arbitrée par Mads Vinding (cb).
Enfin, Martial Solal a par ailleurs invité la chanteuse Claudia Solal, sa fille, à se glisser dans l’aventure.
Le concert est évidemment de ceux qu’on ne manque pas.
Pas tellement parce que Martial Solal pratique le piano depuis 84 ans, dit sa biographie, ou qu’il s’est installé musicien professionnel il y a 71 ans, peu avant de quitter son Alger natal pour le Paris d’après guerre.
Mais plutôt parce que durant toute cette équipée, le musicien a arpenté tout le jazz qui passait à portée, a joué avec tous ces musiciens qui poussaient les portes des clubs de la rue Saint-Benoît à Paris, et a tenté toutes les expériences, tous les formats, toutes les distances.
Aussi habile en solo qu’en duo, en trio et la suite, le pianiste s’est plus particulièrement attaché durant sa carrière à certains musiciens, tels Roger Guérin, Lee Konitz, ou Daniel Humair pour ne citer qu’eux. Mais, à raison d’une centaine d’enregistrements (au bas mot) dont une cinquante sous son nom, la liste des rencontres qu’il a accumulées durant toutes ces décennies est plutôt du genre infini.
A l’écouter d’ailleurs, c’est moins les musiciens avec lesquels il a joué qui étonne (tels Django, Gillespie, Don Byas, Eric Le Lann, Motian, Mark Johnson le dernier bassiste de Bill Evans et tant d’autres) que les rares avec lesquels il n’a pas joué, tel, expliquait-il un jour, Charlie Parker, parti trop tôt.
Gouttes musicales distillées au moment le plus inattendu
Moult fois récompensé, invité de tous les festivals, en Europe comme sur les autres continents, Martial Solal n’a, qui plus est, jamais connu d’éclipse.
C’est d’ailleurs cette rigueur et cette volonté d’aller toujours plus loin dans la musique et l’improvisation qui frappe, quitte à largement déborder la scène jazz et créer au besoin quelques belles pièces classiques qui révèlent, aussi, ses talents de compositeur. Sans parler de ces musiques pour des films qui ont marqué leur époque.
Mais si tout cela explique le succès pérenne de Martial Solal et sa légitime renommée, ça n’explique que très imparfaitement le talent du pianiste à constamment surprendre celui qui l’écoute ou le découvre. Il y a d’abord une technique irréprochable, sans cesse citée, qui maîtrise le clavier acoustique comme nul autre, en joue sans cesse, le libérant de sa gangue, lui extirpant des sonorités qui semblent inédites. Précision de la note. Ruptures admirables. Minuscules gouttes musicales distillées au moment le plus inattendu. « Un préalable », explique-t-il. Mais, au-delà de cette base, incontournable (nécessité de l’entraînement quotidien, même aujourd’hui), Martial Solal semble constamment réinventer son jeu, ses harmonies, ses séquences.
Nous frayant un chemin vers des harmonies dissimulées, vers un swing insoupçonné et vers ces décalages qui épicent d’une note ou d’un soupir ce qu’on croyait acquis.
D’où une musique constamment surprenante, oubliant de s’assoupir ou de redire, qui provoque, interpelle, encore et encore.
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