Cinquante-six ans après, cinq musiciens de l’ARFI revisitent le dernier album du saxophoniste disparu quelques mois après l’avoir enregistré, à l’âge de 36 ans. Le résultat est surprenant : par la fraîcheur de cette musique jouée avec les mêmes instruments de l’époque et surtout, par la façon dont le quintet revisite les thèmes de l’album Out of Lunch
Même s’il n’y paraît pas forcément, c’est un disque de grande ambition. Tout sauf anodin. Reprendre, revisiter, avec 56 ans de recul, le dernier cri d’Eric Dolphy. Et quel cri. Le cri d’un presque jeune homme qui allait s’éteindre quelques mois plus tard, juste après avoir réuni dans un studio cinq musiciens-amis-complices afin de sortir chez Blue Note cet étonnant Out of Lunch.
Evidemment, la première chose qui vient à l’esprit est cette interrogation : comment l’inspiration du musicien parti si tôt (36 ans) a pu à ce point proposer au jazz, à cette musique qui peut s’assoupir aussi sur ses succès, une sorte de virage ou de remise en cause qui frappe immédiatement l’oreille et plus si affinités.
Dans cette Out of Lunch, nous sommes en 62. La France est juste en train de solder la tragédie de l’Algérie. Les Beatles en sont encore aux prémices, les collégiens s’emmerdent copieusement dans leurs établissements. Et la traction avant roule de plus belle.
C’est là, raconte l’histoire, qu’Eric Dolphy embarque quatre autres musiciens, les confine à sa façon dans un studio pour leur sortir des tripes cet album. Plus qu’un album, une œuvre. Qu’entend-on par là ? Un édifice musical qui frappe immédiatement par sa plénitude et sa cohérence. Rien à retirer. Rien à ajouter.
C’est là (encore) qu’intervient l’ARFI, qui a ce don d’explorer, parfois sans succès mais souvent avec bonheur, des pistes étonnantes de notre patrimoine musical.
Pour l’occasion, ils sont cinq qui, aux mêmes instruments que leurs aînés, ont décidé de revisiter Out of Lunch. A leur façon. Le résultat est implacable : il en ressort une œuvre à 5 voix ; riches, pleines, tour à tour graves et enjouées. Chacun à sa place, à l’écoute ou en complément de l’autre. Dans ces morceaux, courts ou longs, retenus ou démesurés, graves ou enjoués, se glisse une série de duos pleins de contrastes tels que Dolphy savait les construire. Passes à 2 ou passes à 3. Les relations entre les instruments font le reste : entre le vibraphone (tenu par Melissa Acchiard) et la contrebasse (de Christophe Gauvert) en attendant l’arrivée du saxophone de Clément Gibert ou la trompette de Guillaume Grenard. Au fil des morceaux, on se trouve face à une telle plénitude d’harmonies qu’on ne peut qu’aller revisiter l’album source poussé à l’époque par Freddie Hubbard et Eric Dolphy, sans parler du batteur….devinez qui ?
Liberté, joyeuseté enrichissent les thèmes. Peut-être plus que dans l’esprit d’origine. Pour soutenir ou se démarquer du tout, Christian Rollet aux drums ne cesse de proposer/dynamiser ses compères. C’est parfaitement dosé et admirable d’incessantes remises en cause.
Bref, en ces temps de confinement, et en attendant que le quintet se retrouve sur scène, voilà un petit album qui tombe à pic. L’anti-morose par excellence. 8 thèmes qui conjuguent rapidité et densité. Grave et pétillant. Débarrassé du superflu : le free est passé par là, façon d’aller à l’essentiel, de ne pas s’attarder, de pousser toujours l’autre musicien vers une autre voie. Mais pas seulement, il arrive au contraire que l’ensemble trouve tout à coup un lieu propice au calme et à la réflexion et se mette à freiner. Il y aurait beaucoup à dire sur cette musique, ses pleins et ses déliés. Ses lignes droites et ses méandres.
Sans doute, Out of Lunch était un disque pionnier (et le dernier d’Eric Dolphy). Le quintet de l’Arfi parvient à en restituer toute l’importance.
Vous savez ce qu’il vous reste à faire….
Coproduction ARFI / D’Jazz Nevers Festival
Avec le soutien de La Fraternelle – Maison du Peuple à Saint-Claude.
Le disque est sorti officiellement le 13 novembre 2020
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