Un ouvrage collectif qui vient de paraître chez Seghers revient sur les multiples visages du pianiste-compositeur Thelonious Monk disparu il y a 40 ans. Une somme plutôt qu’un énième bouquin sur le pianiste américain
« Mystère Monk » ? Cet ouvrage de 368 pages grand format nourries de textes, dessins et photos vient de paraître. A la manoeuvre, les éditions Seghers qu’on n’attend pas forcément dans ce type de publications.
« Mystère Monk », un bouquin de plus sur le pianiste parti il y a 40 ans ? Non. A l’opposé d’un ouvrage aux allures autobiographiques écrit par un seul, ce « Mystère Monk » a en effet opté pour une approche inédite consistant à recueillir ce que musiciens, écrivains, chroniqueurs, poètes, peintres ou dessinateurs de tous poils ont, un jour ou l’autre, écrit sur le musicien. Au total, quelque 200 contributeurs ont participé à ce jeu collectif coordonné par Frank Médioni (ex-France Musique, ex-Jazz- Mag). Parmi eux, relève-t-on dans le communiqué de presse publié par Seghers, évidemment des pianistes (de Martial Solal à Herbie Hancock), des écrivains (Jacques Reda notamment mais aussi Philippe Sollers et d’autres, parfois inattendus), des chroniqueurs et toute une cohorte de photographes (Guy Le Querrec), de peintres ou dessinateurs (le regretté Cabu, Ben), voire des poètes.
Des passages à Paris en 1964 ou 1966 restés célèbres
Parmi ces contributeurs, peu ont approché Monk de son vivant ou eu l’occasion de le voir. « Une dizaine » selon Frank Médioni. S’en étonner ? Monk, né en 1917, s’en est allé en février 1982 et n’a donc pas eu le temps ou l’occasion d’arpenter tant que ça l’Hexagone ou l’Europe et ses festivals estivaux. Certes, ses passages à Paris, notamment dans les années 64-66, sont restés célèbres. Mais c’est précisément ce qui peut nous alerter sur le phénomène que constitue aujourd’hui encore le musicien : qu’est-ce qui explique l’attrait qu’il suscite encore auprès de tant de personnes pas toujours proches de la scène jazz ? Son approche musicale ? Ce qu’on décèle ou croit déceler dans ces méandres dissonants, ces corrections incessantes, ces essais repris patiemment pour parvenir à la phrase parfaite ? Il y a en tout cas chez Monk cette invitation à entrer dans son monde, qu’il apparaisse en solo, trio ou dans des formations plus musclées. Cette invitation à tenter de décrypter son jeu pour en saisir les ressorts, les contrastes, les séductions. Mais pas sûr que l’on puisse trouver là l’explication de l’originalité de son style, qu’il s’agisse de ses changements constants de rythme, d’accords, comme si le pianiste s’amusait sous nos yeux à venir à bout d’un puzzle en fait insoluble, quitte à s’y reprendre toujours et toujours.
Comme si surtout il nous entraînait sur un chemin où lui seul était sûr de s’y retrouver. Farceur ?
Six années de purgatoire qui ont aidé le compositeur
L’intérêt de cet ouvrage collectif réside peut-être (nous n’avons pas consulté l’ouvrage) avant tout sur l’éventail de ces témoignages multiples, s’attachant à telle ou telle facette d’un musicien à la carrière souvent bousculée : quel rôle a joué dans l’évolution de son style ces années de purgatoire (1951-1957) pendant lesquelles il fut interdit de jouer dans les clubs de Manhattan pour cause de consommation de hasch ? Un silence obligé qui l’a peut-être poussé à composer de multiples standards (74 repérés). De fait, souligne Frank Médioni, certains de ses standards demeurent aujourd’hui « les plus joués au monde après ceux d’Ellington ».
D’où en tout cas autant de visages d’un musicien qui savait dérouter même les happy few qui ont vécu ses concerts : Jean-Paul Boutellier, le fondateur de Jazz à Vienne, se souvient de l’avoir vu dans « à peu près toutes les formules » mais se rappelle plus particulièrement ce jour où Monk en quartet avait quitté la scène dès le premier morceau. Le contrat passé avec l’organisateur ne mentionnait en effet que sa présence au début du concert. Facétie plutôt que dérobade ?
Au delà des anecdotes, cette somme de témoignages contrastés devrait permettre au lecteur de mieux comprendre Monk. Et là est bien l’intérêt de la démarche suivie par les éditions Seghers : retenir les perceptions, les ressentis de tant de contributeurs avec l’espoir que se dégage à travers textes, photos ou dessins l’exacte personnalité du pianiste. « Chez lui, il n’y a pas de posture, commente Frank Médioni, il n’y a pas de volonté de séduction (…) pas de chantage à l’émotion, il a le courage d’être lui-même ; c’est courageux ».
* « Mystère Monk », éditions Seghers, 368 pages. Paru fin octobre 2022
Thelonious Monk a enregistré des dizaines d’albums, en leader ou en sideman. A retenir tout de même « Thelonious Monk plays the music of Duke Ellington », « Brillant Corners » ou « Thelonious Monk & Sonny Rollins », ces albums des jeunes années qui annoncent la rupture dont il est pour partie à l’origine.
Plusieurs émissions à retrouver sur le net : le concert d’Amiens du 23 mars 1966 (sur Youtube, ci-dessous
), la bonne émission diffusée par FIP ou, surtout, les deux épisodes de Monk à Paris en 1964 en compagnie d’un de ses plus brillants trios (Charlie Rouse (s), Butch Warren (cb) et Ben Riley (dr).
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