A l’heure du bilan, les chroniqueurs de Jazz’in Lyon reviennent sur le Festival de Jazz viennois. Jean-Claude Pennec s’étend sur l’incroyable performance de John Zorn qui a joué au cours d’un seul et même concert avec 14 formations différentes. Une performance tenant aussi du foutoir, comme du happening !
John Zorn au Théâtre antique : la performance était aussi technique
Le concert conçu par John Zorn impliquait une multitude de changements de plateau en temps imparti. Et donc à vue. Entrées-sorties en accéléré. Le tout s’est déroulé sans anicroche, donnant précisément à la soirée le rythme que l’homme-orchestre new-yorkais voulait imposer
John Zorn au théâtre antique : une soirée aussi folle que démesurée qui résonnera sans doute longtemps dans l’imaginaire et l’histoire du festival. Une soirée en contre-pied du courant « entertainment » qui s’impose de plus en plus, à Vienne comme ailleurs. Ce soir-là, la performance a d’abord été artistique (comme l’a évoqué au lendemain de ce concert, Antoine Stacchetti dans sa rubrique). Par le nombre, par la qualité des formations et des musiciens comme par leur diversité : 14 formations, 28 musiciens avec une seule interruption de 20 minutes durant 3h30. ça n’a en effet rien de banal.
Mais il y eut ce soir-là une autre performance. Plus discrète, plus rapide et plus concentrée et pourtant tout aussi essentielle au déroulement du concert : je veux évidemment parler de la technique qui, pour une fois, a travaillé sur scène « sans filet », au vu et au su de tous, et surtout en temps imparti, genre compte-à-rebours fatidique.
Si vous n’y étiez pas, imaginez : à peine la formation présente sur scène bouclait les dernières notes de son 3ème ou 4ème morceau (pas un de plus) que John Zorn débaroulait, criait dans le micro les noms des valeureux musiciens qui venaient de se vider sous nos yeux, et dans la foulée, appelait les suivants qui, aussitôt, entraient qui, avec son violoncelle, qui, avec ses baguettes mais tous avec leurs partoches à la main. Réglé comme à la parade. Montre en main, le tout durait 2 minutes, voire trois.
Un va-et-vient qui tentait autant du foutoir que du happening
Or, parallèlement, dans ce va-et-vient qui tenait autant du foutoir que du happening artistique des grandes années (en apparence seulement), l’équipe technique devait faire disparaître instruments, retours, mobiliers, micros, pupitres et autres babioles du plateau précédent et, dans le même mouvement, figer le plateau qui allait démarrer -place des instruments, des retours, des pupitres, connexions électriques- alors que les artistes étaient déjà sur scène, prêts à jouer.
Bref, le monde de la scène mais à l’envers.
« D’habitude, sur une soirée, il y a deux ou trois plateaux qui durent de 30 à 75 minutes, raconte Gérard Teilhol, « chef régisseur du plateau » aux côtés de Dominique Bonvallet, directeur technique, et qui a bouclé samedi son 28ème Jazz à Vienne. Là, c’était 14 formations différentes. Bien sûr, on avait préparé mais je me demandais comment ça allait se passer ».
En la matière, deux équipes interviennent ordinairement sur scène lors de chaque changement, l’équipe « son » et l’équipe « plateau », plus quelques autres, tel l’accordeur de piano (qui ne se souvient d’Yves Dugas, penché à chaque entracte sur « son » Bösendorfer ?) A chacun son domaine d’intervention : l’équipe « son » s’occupe évidemment d’installer et de vérifier tout ce qui touche au son.
L’équipe « plateau » prend en charge les instruments, le mobilier, les retours, sachant que, côté « lumières », John Zorn avait exigé qu’il n’y ait aucun changement, du début à la fin du concert. « Je le redis et je le redirai une troisième fois », avait-il même insisté pour plus de sûreté.
« Pas d’inquiétude, John Zorn gère tout, tout »
Certes, comme à l’habitude, les responsables techniques de la scène de Jazz à Vienne avaient reçu en amont les souhaits des musiciens et le descriptif des plateaux à installer. « L’installation principale était fixée », explique Gérard Teilhol. Et ne pas avoir à bouger le piano, l’orgue hammond ou la batterie fait évidemment gagner du temps.
Mais, ce dont on se doute moins, c’est qu’en la matière, John Zorn est plutôt du genre méticuleux et très directif, pour ne pas dire autoritaire. Et qu’il avait profité de l’après-midi et de la balance pour briefer Gérard Teilhol sur ce qu’il voulait et ne voulait pas.
« Ecoute bien, a. Dès qu’ils saluent, vous faites le changement, en même temps que j’annonce le plateau suivant ». Les 28 musiciens ont d’ailleurs l’habitude de ces changements rythmés, façon théâtre, où l’on ne cesse d’entrer et de sortir. «Et j’avais demandé à Marc, son ingénieur du son, bien cool, qui m’avait confirmé : « pas d’inquiétude, il gère, tout, tout ».
Du duo de violoncelles au trio post-punk
Reste que la soirée a vu passer à peu près toutes les configurations de formations possibles : du duo de violoncelles au trio post-punk en passant par le quartet de cuivres ou tel autre emmené par des guitares. Ici, du piano. Là du hammond. Derrière, une batterie. Plus loin, une dame seule en scène, attablée face au public, avec juste un ordinateur portable posé devant elle.
« C’était dense, il ne fallait pas se louper, mais c’est une mécanique extra », dit Gérard Teilhol qui se souvient du passage de John Zorn ici à Vienne il y a 10 ans. Tout autre évidemment.
Heureusement, les équipes qui interviennent sur scène ont l’habitude et se connaissent : ainsi Jean Lyonnet qui s’occupe ici du son depuis 20 ans et qui est, le reste du temps, le sonorisateur d’Ibrahim Maalouf. Ou ces techniciens de plateau ou de son, chacun à sa place, attentifs aux quelques gestes à faire. « Et, à la fin, je revérifie que tout est bien en place ».
A la fin du concert, John Zorn ne pouvait évidemment qu’apprécier : 3h30 façon marathon, sans anicroche, devant un public aux anges. La technique avait pu et su concrétiser l’artistique.
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