Quand l’Opéra de Lyon veut faire les choses en grand, elle ne lésine pas. Voyez Daniel Humair : non seulement on mobilise pour lui la grande salle, mais en plus on lui dédie une soirée entière.
A charge pour lui de la disposer comme il l’entend. Et comme si ça ne suffisait pas, on lui ouvre aussi les cimaises de l’Amphi – la salle du dessous- tout un mois pour y exposer toiles et dessins.
Une expo – à voir jusqu’à fin novembre – aux allures de coming out : depuis des années, le batteur-percussionniste-musicien genevois nous a en effet plutôt habitués à ne pas forcément mélanger musique et arts plastiques-picturaux, même s’il s’agit bien d’une seule et même personne (certains en ont douté). Au point, rappelons-le de ne pas avoir hésité un temps à mettre de côté la musique pour mieux s’attaquer à l’abstraction.
En tout cas, cette aventure lyonnaise est pour lui une façon de boucler la boucle, de résumer quelque 60 ans d’une carrière menée jusqu’ici tambour battant (facile), via une somptueuse carte blanche dans l’Opéra le plus noir qui soit (lamentable) donnée, par François Postaire, à l’une des grandes figures de l’Amphi de l’Opéra de Lyon et du jazz contemporain.
Pour l’occasion, le percussionniste –sans bonnet sur la tête cette fois- avait appelé à la rescousse quelques fidèles piliers, histoire de nous raconter sa conception du trio jazz. D’où, comme annoncé, deux trios ou plutôt deux temps partagés, le premier avec un Michel Portal en verve, pressé de démonter l’inhérent quant-à-soi du lieu, clarinette basse en bandoulière. Vous allez free ce que vous allez voir.
On a beau être habitué à ses colères rentrées, qui savent s’affranchir si facilement de tout cadre imposé pour n’en faire qu’à sa tête, on est d’emblée séduit par la facilité avec laquelle le musicien sait livrer en un temps ramassé des impros sidérantes, débarrassées de toute facilité, évidemment bien épaulées, voire titillées par un Daniel Humair aux aguets. A l’un le lyrisme, à l’autre ce qui pourrait ressembler à des chausse-trappes et qui sont surtout une façon de l’amener encore un peu plus loin.
D’où le plaisir des quelques thèmes dans lesquels le batteur se plonge. Michel Portal excelle dans ce registre à ouvrir des horizons où tout se mêle, free, ballades, tempo quasi Caraïbes, calme, tempête. Dans l’affaire, le fidèle Bruno Chevillon n’eut pas trop à se forcer pour immiscer sa contrebasse dans ce qui aurait pu vite devenir un monologue.
Pour finir, comme d’habitude, le bandonéon surgit de sa boîte pour un air ou deux. Le bandonéon qui plaît sans conteste au public même si, selon nous, le musicien n’atteint pas cette plénitude qui séduit tant lorsqu’il se plonge dans ses clarinettes.
Comme un fondu-enchaîné, Stéphano di Battista débarqua ensuite côté cour pour prolonger l’enchantement. On garde les mêmes, on change juste le cuivre. Si rapidement qu’on aura cru un moment que Michel Portal avait voulu attraper le dernier TGV.
Décontracté, volubile, heureux d’être là, le saxophoniste aura fait le job, dévalant les thèmes à sa façon, imprimant comme d’habitude une incroyable fantaisie à l’entreprise, même s’il aime apparaître en scène en costume bleu nuit strict.
Un ultime trio sur scène + un trombone et quel trombone
Accélérons. Pour le reste de la soirée, Daniel Humair avait donc convié sur scène son ultime trio. Façon triangle équilatéral entre sax étincelant (Vincent Lê Quang), contrebasse inventive (Stéphane Kerecki) et drums (lui-même).
C’est avec eux qu’il vient de fomenter un disque qui ne sera pas qu’un album de plus dans sa discographie : un disque aux frontières de la musique et du pictural, constitué de 13 compositions via lesquelles il évoque des peintres qui l’ont sans doute plus marqué que d’autres.
Le temps étant compté, nous n’aurons eu droit qu’à quelques-uns de ces morceaux qui, posent la question des liens entre musique et arts plastiques (façon chiens de faïence ?), entre improvisations, réfléchie ou spontanée, entre des créations qui s’ignorent le plus souvent.
En attendant d’élucider la chose, on aura surtout apprécié comment Daniel Humair aura rebattu quelque peu les cartes le temps d’une soirée en invitant sur scène Samuel Blaser. Un tromboniste qui, vous disait-on, n’est pas un inconnu à Lyon, proche du collectif I-Muzzic et autre Périscope, et qui sait insuffler à cet instrument pas si commode, une atmosphère captivante. Et la preuve : aux côtés de ce trio muri et soudé le Berlinois (c’est là qu’il réside) aura quasi inventé sa partition, imposé sa tranquille présence.
Il est coutumier du fait. Ne pas hésiter à se plonger dans sa discographie pour découvrir sa façon d’asservir le trombone, de le faire passer par un trou de souris pour mieux se fondre dans l’impro de Lê Quang ou un autre, sans élever la voix, en dénichant dans l’instrument des nuances jamais entendues, croit-on.
Restait le final. La réunion de tous. Portal bien là. Les deux contrebasses. Stéphano di Battista un peu laissé de côté. La loi du genre. Mais on retiendra surtout l’ultime morceau. Vous devinez comment Daniel Humair l’a intitulé ? « Postaire ». Du nom de celui qui durant tant d’années a créé, animé cet Amphi, devenu une scène à part entière de l’Opéra de Lyon, dédoublée durant tout l’été en ce Péristyle incontournable.
Des musiques de toutes natures (pas seulement jazz), de toutes rébellions en plein centre-ville, distillées avec panache et conviction. Postaire, qui, pour mieux préparer l’arrivée de son successeur (Olivier Conan) avait organisé cette soirée de rentrée, de retrouvailles et d’adieux.
On avait évidemment envie de dire : « merci pour tout ».Olivier Conan, le nouveau directeur de l’Amphi, Lionel Martin et François Postaire
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