Aussi talentueux qu’attachant, le bassiste a une fois de plus convaincu un théâtre antique joyeux et attentif lors d’ un concert aux allures de retrouvailles. En préambule, le quintet Ezra Collective a su imposer sa vision et son interprétation d’une musique pleine d’empathie
Ezra Collective ? Leur musique n’est pas de celle qui restera dans les annales. De l’ordre de la ritournelle qu’un public bourré d’empathie est capable de chantonner a capella sans la moindre répétition. Des thèmes simplissimes, répétés jusqu’à plus soif par chaque instrument, ensemble ou tour à tour. Le sortilège est ailleurs et d’abord dans l’étonnante fraîcheur et volonté de convaincre de ces cinq jeunes gens qui n’en sont pourtant pas à leurs premiers pas ni à leur premier concert. Et surtout, cette façon presque iconoclaste de s’emparer de tous les rythmes et de leurs saveurs pour constituer non pas une musique originale mais un petit monde à eux, entraînant, spontané, énergique et plus si affinités. Ca tient du jazz, au moins pour quelques improvisations musclées à du trompettiste et du saxophoniste (James Moilison et Dylan Jones), mais aussi du zouk, du reggae, de rythmes africains aux multiples éclats. Bref une espèce de synthèse bien à eux qui tient de l’inversion des valeurs en cherchant avant tout une musique de connivence et d’empathie ancrée dans le monde et seulement dans le monde.
Mais par-dessus tout, et Femi Koleoso, batteur et initiateur du band, l’a souvent répété : si le jazz a pu servir d’étincelle, s’ouvrir à toutes les cultures, plonger dedans sans la moindre retenue. Pour ne retenir ou ne chercher que la « joie ».
Sur scène, en guise de thérapie collective ou de leçon de choses, le musicien s’en explique patiemment : une tournée qu’on comprend harassante, des scènes et des déplacements en veux-tu en voilà, un contexte morose, surtout de ce côté des frontières. Ce qui était déjà le sujet central de leur premier album sorti en 2019 : You can’t steaL my joy ».
Ensemble, ils ont quelque chose de polisson (TJ Koleoso basse et Joe Armon-Jones claviers) Dans leur façon de jouer. De briser la frontière entre la scène et la « salle », ou plutôt de considérer qu’entre les deux il n’y a ni fosse sanctuarisée ni « videurs » mais juste un pas à faire pour escalader les gradins. Comme s’ils étaient là avant tout pour visiter des pierres oubliées du IIIème siècle après Jésus-Christ. Surtout le sax et le trompettiste peu pressés de redescendre sur terre. Magie de l’électronique à distance mais surtout plaisir de jouer face à ce mur humain qui entraîne si souvent les artistes de passage.
Marcus en guise de retour sur son histoire
Il a beau multiplier les apparitions, en France, à Lyon et autour, Marcus Miller parvient à se renouveler, encore et toujours ? Surtout à approfondir cette musique qu’il a fait sienne, là encore synthèse sonore à la fois d’univers géographiques, culturels voire séculaires et de sa propre histoire et des épisodes sinistres qui l’ont marqués.
Lundi soir, le bassiste aura ainsi livré, devant un public conquis, complice et attentif, quelques pages de son histoire qui est aussi celles de ceux qui l’écoutent et le regardent. En appelant à Miles, à Jaco Pastorius, à Stevie Wonder pour boucler un rappel façon Beatles.
Les concerts ont beau se suivre, le musicien ne cesse de séduire. Parce qu’il construit donc sous nos yeux un univers propre, hors du temps, compréhensible au possible. Parce que l’air de rien, cette musique est immédiatement palpable, faussement simple ou dépouillée. Parce que, aussi, Marcus Miller, qui parle de plus en plus finement le français, même s’il occupe le centre de la scène, se fond dans le groupe qu’il a réuni autour de lui. Façonné à sa mesure et à ses aspirations ?
Mais avec leur personnalité propre. Et en premier lieu, les deux cuivres qui l’accompagnent : Donald Hayes au saxophone, comble de la sérénité en transmettant à un théâtre bouche ouverte des improvisations qui n’ont plus rien de redites ou de phrases toutes faites.
Plongeant à l’évidence dans le plus profond de ce musicien discret dont chaque intervention en dit un peu plus sur l’intensité qui est en train de gagner. A ses côtés, Russell Gunn, une trompette qui sait autant se placer sous l’ombre de Miles que d’inventer sa propre richesse, sourdine ou pas, quelque soit le thème ou le moment proposé par le maître des lieux.
C’est riche, donc, même si les premiers thèmes laissaient un goût de trop-peu ou de tout-fait.
Le quintet tourne à la perfection. De plus en plus. Magie de celui qui l’inspire, qui se plaît autant dans ses interventions (à la clarinette basse aussi) que dans ce rôle de stimulateur-en-chef et de promoteur des jeunes talents. Dont la toute jeune Camilla George, un brin intimidée par le public ou par Donald Hayes à ses côtés en grand frère bienveillant.
Parmi tous ces thèmes, celui consacré à l’esclavage et pour lequel Marcus Miller aura saisi sa clarinette avant de reprendre sa guitare, aura plus frappé que les autres : fin d’un monde et début d’un autre, démarrant dans la douleur et finissant par une apothéose sur laquelle chacun pouvait mettre le mot de la fin qu’il voulait. Brillant.
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