Trois chanteuses parmi les six disques présents dans cette vitrine qui inaugure la nouvelle année et autant d’univers personnels. Ajoutons à cela trois autres Cds du plus classique au plus aventureux et vous aurez de quoi satisfaire votre soif de découverte. Bonne année jazz à toutes et à tous !
CLAUDIA SOLAL – BENOIT DELBECQ . Hopetown
Rogueart
Claudia Solal : voix
Benoit Delbecq : piano
- Dans l’univers du duo piano/voix, la rencontre entre Claudia Solal et Benoit Delbecq apparaît comme une évidence. Tous deux, possèdent cet étrange regard panoramique sur l’intériorité qui immerge l’auditeur dans leur expressivité mélodique et lui donne un sentiment de proximité immédiate avec le propos musical dans sa linéarité. Leur musique nous englobe ; elle ne nous force aucunement mais nous laisse sombrer dans l’intime, par le profond mystère de la note frappé, lissée, résonnante, et le souffle surréel des mots, des mots creusés dans l’os qui crépitent d’une douce folie interrogative. C’est en soi un hinterland qui vagabonde à côté des chemins balisés. Tapi dans l’ombre de la route, à l’abri des hordes, il parle à nos silences, leur donne à voir, leur donne à vivre. La fêlure et l’écho dans la voix, le clavier assonant, le croisement des leurs itinéraires, de leur inventivité, accouche d’instants fugacement appuyés où les antilogies au service d’une autre vérité. Au royaume des doutes, Claudia Solal et Benoit Delbecq extériorisent par la sensation l’instinctif, sa fibre et son affectivité. Ils sont le manifeste d’un paradigme éminemment personnel aux valeurs planétaires. Dans l’infiniment petit, la grandeur se terre. Dans l’infiniment grand, le minuscule rayonne. L’ailleurs a choisi leur duo. Il leur offre de contempler depuis l’intimité du talus le bruit du grand chemin où se meut le tourbillon. Les confronte-t-il aux fragments d’une vie rêvée ?
LANDGREN & LUNDGREN . Kristallen
Act
Nils Landgren : trombone & voix
Jan Lundgren : piano
Le duo est la combinaison la plus étroite qui soit pour faire de la musique « en groupe ». Ceci est une évidence (pour bien commencer l’année…) ! Mais c’est pourtant avec ce type de dialogue que l’on aborde à des rivages immenses et comme dénués de frontières. Il nous semble également que cette immensité possède les atours d’une profondeur particulière qui ne peut s’exprimer qu’au sein de cette dyade. Emplie d’une équanimité sans faille, la musique de Landgren et Lundgren se livre à l’instant sans détour, l’approfondit et le construit, forme des miniatures cristallines (le titre de l’album est seyant) pleines et douillettement chaleureuses. Avec une playlist éclectique allant du traditionnel nordique à la pop en passant par le standard, les deux complices font le tour de leurs plaisirs musicaux en les habillant de créativité avec un savoir faire épatant et un goût très sûr. La voix de Nils Landgren, délaissant momentanément son trombone, ne manque pas d’expressivité. Le piano de Jan Lundgren laisse passer le lyrisme naturel de l’artiste avec ce toucher qui lui est propre et aisément reconnaissable. L’authenticité de leur musique est le fruit d’une interaction permanente nourrie d’instinct. Impressionnistes de bout en bout, les couleurs paysagères mises en avant par le duo dessinent une cartographie des émotions spontanées que les étendues mélodiques génèrent sans heurt et dans l’épure avec une minutie scrupuleuse. Une incontestable réussite dans un registre de jazz classique écoutable sans difficulté par toutes les oreilles.
https://www.actmusic.com/en/Artists/Nils-Landgren/Kristallen/Kristallen-CD
LOU TAVANO . Uncertain weather
L’un L’une / L’autre distribution
Lou Tavano : chant
Alexey Asantcheeff : piano
Guillaume Latil : violoncelle
Alexandre Perrot : contrebasse
Ariel Tessier : batterie
Avec ce nouvel album, Lou Tavano confirme qu’elle est la détentrice d’un univers personnel exempt de fadeur. Sa voix, toute d’émotions, navigue entre les tourments intérieurs réprimés et la libre expression d’une sensibilité exacerbée. Avec ses musiciens habituels auxquels s’ajoute le violoncelle de Guillaume Latil, elle creuse dans ses doutes et ses affects avec une sincérité non feinte qui s’accorde avec les humeurs météorologiques de l’Écosse où ce disque fut enregistré. Il en nait une musique de l’intime toujours lyrique qui n’omet cependant pas de laisser sa part à l’évanescence. Chaque composition est évocatrice des interrogations et ressentis de la chanteuse. Sa voix rompue à la modulation habite l’ensemble avec une chaleur convaincante et une fragilité émotionnelle magnifiée par ses accompagnateurs dont les qualités personnelles et la cohésion de groupe participent à la réussite de ce projet à bien des égards organique. Et si sa musique s’éloigne encore un peu plus du jazz mainstream, Lou Tavano nous ouvre généreusement en retour un monde intérieur, le sien, créateur d’une musique originale, passionnée et persuasive, nourrie de climats changeants, à fleur de voix, et par essence propices à l’introspection. Pour nous qui suivons cette artiste depuis ses débuts, son dernier disque apporte la confirmation d’un talent mature qui ne demande qu’à s’exprimer dans son entièreté.
https://www.nemomusic.com/index.php/fr/lou-tavano
SNORRE KIRK . Tangerine rhapsody
Stunt Records
Stephen Riley : saxophone tenor
Magnus Hjorth : piano
Anders Fjlsted : contrebasse
Snorre Kirk : batterie & compositions
invité :
Jan Harbeck : saxophone ténor ((2 & 3)
Le batteur danois Snorre Kirk possède une qualité que nous apprécions à sa juste valeur : il est économe et circonstancié dans son jeu. Dans ce cinquième album sous son nom, outre sa rythmique habituelle, il s’adjoint le talentueux saxophoniste ténor américain Stephen Riley dont le parrain musical pourrait être Ben Webster. Ses compositions semblent intemporelles et marquées d’un sceau pour le moins ellingtonien. Ce qui ne nous dérange pas. Elles sont impeccablement mélodiques. Soyeuses et arrangées tout en souplesse et déhanchement, elles ne débattent jamais de la mesure. Elles la battent, un point c’est tout. Sur deux titres, Jan Harbeck et Stephen Riley confrontent cordialement leurs ténors comme au bon vieux temps : deux sonorités distinctes pour une même esthétique. Le tour est joliment joué, il vaut gentiment le détour (ahead). Et vous me direz que c’est une resucée, que c’est has been, limite rétrograde. Wesh ? Le jazz, c’est du jazz. Pourquoi, scandinaves ou pas, les musiciens ne le joueraient-ils pas ? Une musique ronde comme ça, luxuriante dans son élégance surannée, c’est l’art de la douceur, entre velours et soie, avec un soupçon de chintz pour affermir le swing. C’est chaleureux, apaisant et cela donne à l’auditeur cette impression sympathique que les échanges entre musiciens s’exécutent dans un monde un peu moins glauque que le nôtre. Le jazz est une musique de partage. Et quand ce dernier se fait dans une atmosphère amicale, chacun en retire un bénéfice qui n’a rien de financier ; on appelle cela du plaisir.
STEIN URHEIM . Downhill uplift
Hubro
Kare Opheim : batterie & percussions
Hans Hulbaekmo : batterie, percussions, vibraphone & flûte
Ole Morten Vagan : contrebasse
Stein Urheim : guitres, voix, bouzouki, tamboura, mandoline, tambûr, harmonica, flûte, électronique, synthétiseurs & percussions
- Sur la scène scandinave qui ne cesse de bouillonner d’inventivité, Stein Urheim fait figure, comme bien d’autres musiciens du crû, d’artiste aux idées nettes quant à la fusion des genres musicaux, quelle que soit leur provenance. Est-il extra-terrien ou strictement cosmogonique ? Nous ne nous prononçons pas. Toujours est-il que sa musique voyage, si tant est qu’elle ne soit pas le voyage elle-même, dans des contrées panoramiques fortement influencées par l’ouest américain. Entre West-coast et americana, les textures qu’ils développent avec son quartet sonnent et résonnent d’un ou plusieurs timbres familiers. La lumière peut y être crue ou caressante selon l’angle d’approche et la voie exploratrice choisie car Stein Urheim marque une tendance soutenue à la sortie de route, entre jam psychédélique seventies et suprême envolée coltranienne. Spatial par essence, Stein Urheim, en multi-instrumentiste convaincu, agrémente son propos mélodique de nombreuses touches sonores constituant une palette aux couleurs presque énigmatiques. Des zones interrogatives se dessinent entre les accords et, à l’écoute, il arrive que l’on ne soit plus certain de l’époque dans laquelle on vit tant le compositeur fait preuve, dans ses arrangements, de créativité astucieuse. Dans cet album au paysage cinématographique, une étendue magnétique, floydienne, où se croiserait David Crosby et Coltrane, Ravi Shankar et les High Llamas, la pensée auriculaire peut dériver entre les sonorités insolites avec désinvolture et se raconter des histoires avec celles du musicien pour terreau. Stein Urheim fait œuvre dans ce disque d’une plasticité musicale élargie qui mérite toute votre attention. Rien moins.
ALICE RICCIARDI / PIETRO LUSSU . Catch a falling star
Gibigiana Records
Alice Ricciardi : chant
Pietro Lussu : piano, fender rhodes
- Sur ce coup-là, nous avons quelques mois de retard, le disque est sorti en septembre, mais nous tenions à dire le bien que l’on pense de ce duo italien tant il nous livre une musique habitée. Dans une esthétique qui fait penser à Jeanne Lee ou Helen Merrill (le duo avec Gordon Beck), Alice Ricciardi (qui a étudié avec Ran Blake) et le pianiste Pietro Lussu font preuve d’autant de maîtrise que d’originalité en parcourant une playlist puisant à toutes les sources. Du songbook américain à la pop music des années soixante et quelques compositions originales, le duo s’autorise des relectures pertinentes gorgées d’une pulpe légère et truffées d’imagination mélodique. L’interprétation pertinente et délicate des textes par Alice Ricicardi est un régal. Elle nous invite à pénétrer des mystères musicaux que l’on connait depuis toujours et qui paraissent étonnamment nouveaux. La qualité de sa diction, le léger voile dans sa voix, l’art de l’étirement sur la note qui est le sien, font parti d’un tout parfaitement partagé avec un pianiste plein d’idées se faisant tout à tour poétique et malicieux, et en toute occasion inspiré. Alice Ricciardi et Pietro Lussu s’abandonnent dans l’intimité de leur musique avec une élégance discrète et spontanée qui nous offre des moments de suspension envoûtants et d’autres plus alertes non moins beaux. Jamais loin du silence, les bonnes vibrations résonnent et la sensibilité commune des deux artistes s’y épanouit dans un chant commun que l’on vous conseille vivement.
Facebook
Twitter
YouTube
LinkedIn
RSS