NATHALIE LORIERS . Le temps retrouvé
Igloo Records
Nathalie Loriers : piano
Tineke Postma : saxophones
Nic Thys : contrebasse
- Retrouver Nathalie Loriers le temps d’un disque, c’est toujours un plaisir. Avec la saxophoniste néerlandaise Tineke Postma et le contrebassiste belge Nic Thys, elle propose un deuxième disque qui, comme le précédent, s’ancre dans l’éternité d’un jazz profond et aérien à la fois. Nous, nous avons tendance à séparer la musique en deux catégories : la musique de son époque et la musique de tous les temps. Celle de Nathalie Loriers appartient sans contestation aucune à la seconde. Et, dans ce disque, c’est tout un univers en soi où s’entremêlent son toucher délicat, le souffle inspiré du saxophone et la présence dense de la contrebasse. Dans l’expression pianistique, il arrive que les voicings evansien côtoient le souffle d’un blues discret, au service de mélodies méandreuses toujours teintées d’un lyrisme feutré dont l’incandescence est le plus souvent sous-jacente (mais pas seulement). Il ne fait cependant aucun doute que l’espace musical qu’elle occupe est sa propriété et qu’elle aime à la partager avec des musiciens complices. Ici l’intériorité expressive de la saxophoniste et chant souple du contrebassiste l’accompagnent dans la constitution d’un paysage aux reflets sonores évocateurs d’un état d’esprit comme seul le jazz peut en donner à écouter. Le jazz de Nathalie Loriers, c’est du vécu nourri d’humanité pur jus, de la chair qui laisse respirer son âme. Il est simplement nécessaire. C’est la raison pour laquelle on le préfère au jazz des tendances multiples et toujours passagères. Dans ce disque, c’est le peuple des silencieux qui vous parle ; et oui, ils sont vivants et vous offrent une bonne raison d’être h- – – – n.
https://www.nathalieloriers.com/
DUNE . Voyage au creux d’un arbre
Neuklang
Rafaël Koerner : batterie
Fanny Ménégoz : flûtes traversières
- « Voyage au creux d’un arbre ». Le morceau titre de l’album de Rafaël Koerner et Fanny Ménégoz, qui forme le duo Dune, évoque irrésistiblement chez nous le titre d’un ouvrage de Jacques Lacarrière : « le pays sous l’écorce ». De là à affirmer qu’un lien existe entre les deux œuvres, il y a un pas que l’on ne franchira pas. Encore que. Après tout, la vie dans les veines d’un aubier est peut-être aussi sautillante, agitée de rythmes chaleureux et serpentine que cette composition qui, comme l’ensemble de l’album, tire sa sève de joutes joyeusement facétieuses et dénuées d’artifices. Dans ce paysage musical où les mélodies sources de communication imposent à l’auditeur un regard fluctuant, la flûtiste et le batteur dialoguent en confiance sans jamais perdre le fil de leurs mutines élucubrations. Il faut dire que leurs sujets musicaux baignent dans une évidente complicité et que le minimalisme revendiqué du duo s’y prête parfaitement. Comme dans l’aubier (la part activement vivante du tronc), leur échange est fait d’élasticité, d’allers-retours qui nourrissent subrepticement une création suffisamment libre pour ne pas être cataloguée. Nous ne nous en plaignons pas, bien au contraire. Tout ne tourne cependant pas autour de l’arbre dans cet album, ouvert à tous les vents du monde humain, jusque dans leur intimité profonde, qui mérite de figurer sur vos étagères.
ANTHONY BRAXTON QUARTET . Standards 2020
New Braxton House records
Anthony Braxton : saxophone
Alexander Hawkins : piano
Neil Charles : contrebasse
Stephen Davis : batterie
- Quand à l’écoute vous reconnaissez un standard dès les premières mesures mais qu’il vous paraît nouveau, ne vous inquiétez pas, c’est juste Anthony Braxton qui vous démontre une fois de plus à quel point il est grand. Dans sa dernière livraison, le saxophoniste chicagoan (1945) s’attaque (une fois de plus) au great songbook et ne fait pas les choses à moitié : 13 disques dans un coffret, enregistrés en janvier 2020 lors de sa tournée européenne, juste avant que le monde se boucle à double tour. Ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte : en 1993 il avait consacré un hommage à Parker en 11 disques. Toujours est-il qu’aujourd’hui il offre à vos oreilles gourmandes 67 standards où sa science fait des merveilles. Comme d’habitude me direz-vous. Mais peut-on réellement s’habituer à lui ? A sa présence, oui. Mais sa musique, elle, elle porte en permanence, intrinsèquement, une ou des formes de nouveauté. Ceci est dû aux particularités du vocabulaire musical braxtonien. Qui mieux que lui a su, dans une carrière aussi large que diverse, inventer et réinventer, malaxer et créer, faire naître et renaître, une musique dans laquelle sa personnalité complexe s’épanouit ? Du XXème au XXème siècle, ils ne sont pas si nombreux à pouvoir prétendre à son statut. Ce que l’on écoute dans ces treize Cds, c’est la continuité d’une recherche artistique qui ne cesse de s’approfondir avec le temps. De fait, les standards interprétés, quel qu’en soit les auteurs, sont au final ses standards. Accompagné par trois musiciens anglais en parfaite adéquation avec lui, Anthony Braxton réalise avec les enregistrements de ce coffret un tour de force. Encore un. On ne s’en lasse pas.
https://tricentricfoundation.org/
PAUL LAY . Full solo
Gazebo
Paul Lay : piano
- Un pianiste de jazz en solo qui se tourne vers le classique. Quoi, encore du Jean Sébastien ? Non, du Beethoven, merci Paul Lay. Même si je n’éprouve pas un amour délirant pour le déficient auditif de Bonn, il est heureux de le reconsidérer dans un contexte où l’artiste use de son clavier afin de dépoussiérer les lieux communs et autres idées préconçues en offrant au compositeur une sorte de jeunesse retrouvée. Ce qui domine dans cet album, c’est la musique. On entend du Beethoven et du Paul Lay et les deux sont inséparables. On vous épargne le bla bla technique (en fait, on s’en fout) et on vous parle de la fluidité qui parcourt chaque seconde de cet enregistrement, des émotions que les 88 touches procurent, de l’atemporalité des pièces jouées, de leur nouveauté insigne et de la grâce qui les habite de manière subreptice à tout moment. A l’écoute, l’ensemble paraît d’une confondante simplicité, d’une limpidité quasi surnaturelle, et en tout point original. Original, Ludwig le fut en son temps et Paul l’est aujourd’hui (facile) ; les deux mélodistes sur la même scène auraient fait un tabac. Pour une raison obscure d’espace temps incompatible, nous nous contentons aujourd’hui de priser les deux sur le même disque et, bien évidemment, nous vous invitons à nous rejoindre.
PIERANUNZI / FONNESBÆK DUO . The real you
Stunt Records
Enrico Pieranunzi : piano
Thomas Fonnesbæk : contrebasse
- Mais que voulez-vous que l’on vous dise de ce disque ? Eh ! C’est Enrico Pieranunzi ; chaque année on attend paisiblement notre lot d’élégance pianistique. Et là, c’est son second avec l’étonnant contrebassiste danois Thomas Fonnesbæk. Et l’on n’est pas déçu, comme d’habitude. Les deux sont hautement mélodiques, avec un arrière-goût evansien pour le pianiste (d’autant plus c’est un hommage à Bill et un clin d’œil appuyé à Scott La Faro) et une filiation « Nhøpienne » pour le danois. Leur musique, ou leur réinterprétation des standards, coule de source. C’est si facile à écouter que l’on ne remarque pas le boulot qu’il y a derrière, les années d’apprentissage et tout et tout. Leur duo fonctionne dans la sphère réservée aux télépathes du jazz. C’est désespérément précis et chantant. Alors ce qui nous étonne vraiment (et depuis un bon bout de temps) c’est cette complicité mélodique entre deux contrées, l’une méditerranéenne et l’autre septentrionale, qui se complètent et s’enrichissent mutuellement sans heurt et sans à-coup. Y aurait-il donc un spleen transalpin et une emphase nordique que l’on nous cache ? Quoi qu’il en soit, nos oreilles profitent de cette paire musicale trans-générationnelle sans lassitude aucune. Questionnement soudain : Enrico Pieranunzi a-t-il enregistré avec Nhøp ? Avez-vous la réponse ?
https://www.enricopieranunzi.it/
https://www.thomasfonnesbaek.dk/
MASTERS & BARON MEETS BLANTON & WEBSTER
Capri Records
Kirsten Edkins, Jerry Pinter : saxophones tenor et soprano
Danny House : saxophone alto, clarinette
Adam Schroeder : saxophone baryton
Scott Engelbright, Les Lovitt, Ron Stout, Tim Hagans : trompette
Les Benedict, Dave Woodley, Art Baron : trombone
Bruce Lett : contrebasse
Mark Ferber : batterie
Mark Masters : arrangements
- Un petit détour par les fondamentaux avec cet album qui reprend dans une veine à cheval sur les époques la musique du Duke des années quarante, quand Jimmy Blanton et Ben Webster jouaient dans son orchestre. Si mark Masters a fait les arrangements, dans le groupe, c’est Art Baron qui mène les débats. Ce dernier, embauché en 1973 par Ellington et ce jusqu’à sa mort, se fait une joie de guider l’ensemble avec le savoir faire des vieux routards du jazz, époque flamboyante. Le swing est là, sinon ce ne serait pas sérieux, et la machine tourne rondement. Le jeu de Tim Hagans à la trompette amène une modernité certaine qui ne dépareille pas sur la dentelle imaginée par l’arrangeur qui, soit dit en passant, démontre une fois de plus un art affirmé de la relecture (nous vous rappelons qu’il s’est déjà attaqué à Dewey Redman, Porgy and Bess, etc…). Ici encore, il brille par une inventivité plutôt classieuse, très américaine, et qui sait prendre le meilleur là où il se trouve. Les instrumentistes sont tous impeccablement en place, la rythmique fait le boulot et, au cas où vous ne le remarqueriez pas, ce big band fait l’économie du piano comme de la guitare. Prenez donc ce A train de première classe. Le voyage n’est pas décevant.
https://www.markmastersmusic.com/
https://en.wikipedia.org/wiki/Art_Baron
Facebook
Twitter
YouTube
LinkedIn
RSS