ANAIS RENO . Lovesome thing – sings Ellington & Strayhorn
Harbinger Records
Anaïs Reno : chant
Emmet Cohen : piano
Russell Hall : contrebasse
Kyle Poole : batterie
Juliet Kurtzman : violoniste
- Vous qui aimez le jazz et plus encore les chanteuses de jazz, cet album est pour vous. Enregistré l’année dernière et sorti en avril ce disque présente une vocaliste née en 2003 à Genève (mais vivant au USA)… et il n’y a pas de faute de frappe sur l’année de naissance. Considérée là-bas comme une prodige du jazz vocal (on se méfie toujours un peu de l’emballement à l’américaine), force est de constater que la maturité vocale de cette adolescente est assez époustouflante. Elle fait preuve d’une musicalité non négligeable et interprète les textes des standards d’Ellington et Strayhorn, auxquels elle rend hommage, avec un à-propos et une subtilité tout à fait déconcertants. Plus que talentueuse, elle excelle dans la nuance et a la sagesse de jamais point trop en faire. Alors, sachant que les thèmes de deux géants ne sont pas toujours des plus simples au plan harmonique, on mesure son intrépidité et l’on convient qu’elle évite toutes les chausse-trappes avec un aplomb confondant ; écoutez pour vous en convaincre sa version du très casse-gueule « Lush Life » (Strayhorn était lui aussi adolescent quand il l’a composé). Pour info, la violoniste Juliet Kurtzman (dont nous avons chroniqué le très beau duo avec Pete Malinverni), qui intervient sur deux titres, n’est autre que sa mère. Bon sang ne saurait mentir, comme on dit.
GAEL HORELLOU . Power organ quintet
Fresh Sound Records
Gaël Horellou : saxophone alto
Pierre Drevet : trompette
Simon Girard : trombone
Fred Nardin : orgue Hammond B3
Antoine Paganotti : batterie
- Encore du jazz à l’ancienne avec du swing, du groove, des 4 / 4 et tout le toutim’. Vieux comme nous sommes, à peine trois d’orgue et nous cherchions le guitariste qui n’y est pas. A la place, un tromboniste, Simon Girard, Pierre Drevet à la trompette que l’on ne présente plus et le leader au saxophone alto. Bien évidemment on jette un œil à la playlist et, hormis le Minority de Gigi Grace, l’on ne trouve pas la queue d’un standard ! Que des compositions originales du maître de cérémonie. Il est donc possible du faire un jazz mainstream de derrière les fagots sans payer son écot aux grands anciens et sans être hors cadre pour autant. La musique pleine de pétillements que l’on écoute sur cet album n’est pas ringarde pour deux sous. Les arrangements sont aux petits oignons et chacun des musiciens du quintet trouve sa place afin de délivrer un message personnel qui s’inscrit avec aisance dans l’ensemble. Dans ce Cd, les musiciens s’écoutent (c’est préférable) et l’on sent bien qu’ils se marrent vraiment. Cela suffit pour faire un enregistrement aussi fluide que véloce. C’est du sérieux joué par une bande de lascars affamés de swing juteux et qui ne cherchent aucunement à frimer. Tout pour la musique. Réjouissant.
MARIUS NESET . A new dawn
Act Music
Marius Neset : saxophone
- Le saxophone solo sur un disque, c’est plutôt rare, n’est-ce pas ? La Covid a du bon puisque qu’elle est à l’origine de cet opus. Marius Neset l’a osé et franchit l’obstacle avec autant de science que de musicalité. Avec force ou douceur, il exprime par des mélodies, certes savantes, une vision musicale étincelante et mémorable. En bon dramaturge, sa gestion du suspense dans la narration fait qu’à l’écoute l’on ne s’ennuie jamais, bien au contraire. Quelquefois quasi obsessionnel dans sa thématique de l’instant, il insiste juste ce qu’il faut pour ne pas lasser et nous embarque avec lui vers d’autres cheminements. Réalisé sans aucun effet, cet enregistrement met de facto en avant la virtuosité du saxophoniste, la justesse de son souffle et sa facilité déconcertante d’expressivité sur le nuancier des couleurs sonores. Bien des pièces donnent un sentiment de joie et on imagine volontiers que lui aussi s’est laisser prendre à son propre jeu. C’est un disque de sorcier qui donne au saxophone une autre raison d’être un instrument culte du jazz.
PHILIPP SCHIEPEK & WALTER LANG . Cathedral
Act Music
Philipp Schiepek : guitare
Walter Lang : piano
- Un duo piano / guitare venu d’Allemagne avec deux musiciens de deux générations différentes, Walter Lang l’ancien et Philipp Schiepek le jeune. Une chose est évidente l’osmose entre eux est bien réelle. D’un bout à l’autre du disque, leur conversation musicale fait primer la mélodie. Plutôt méditatif d’ailleurs, cet entretien étonne par sa profondeur et son nuancier. C’est un travail d’orfèvre comme nos oreilles les aiment. Structurées et libres à la fois, les compositions semblent parler de contrées oniriques où le réel vibre à l’ombre des enchanteurs. Les deux artistes ont des sonorités chaleureuses qui font merveille, d’autant qu’ils très économes de leurs notes et qu’ils donnent à la respiration et aux silences une place prépondérante. D’un romantisme très allemand, le pianiste assure au guitariste une trame sur laquelle ce dernier peut évoluer à l’envi, laissant ici et là des lignes qui participent pleinement à la construction de leur univers. Contemplative et pensive, la musique de ce disque possède l’épaisseur d’un recueil de poésies qui aurait traversé les âges sans heurts, avec toujours la même pertinence et, qui sait, plus encore d’épaisseur humaine.
SOPHIA DOMANCICH . Le grand jour
PeeWee !
Sophia Domancich : piano, Fender Rhodes
- Sophia Domancich est reconnue de longue date pour sa liberté de jeu, sa maîtrise de la temporalité musicale et l’originalité des couleurs harmoniques qu’elle développe. Dans ce troisième album en solo, elle choisit de s’exprimer conjointement au piano et au Fender Rhodes. Introspectif sans être obscur, tout le disque s’articule autour de phrases bousculées (ou non) par des brisures rythmiques qui paraissent faire diverger le propos initial quand elles se contentent, de fait, de les réinventer, dans l’instant nous a-t-il semblé, comme si la musique était hermaphrodite et qu’elle était sa propre source de vie. De fragments hypnotiques en lignes mélodiques plus nettes, la pianiste porte une sorte de mouvement perpétuel qui échappe au temps (comme aux classifications d’ailleurs) car ce type d’approche révèle une fugacité native qui ne permet pas à l’auditeur de fixer dans l’immédiateté auditive le propos de l’artiste ; il faudra donc à certains plusieurs écoutes avant d’entrer réellement dans son univers. Ce n’est en soi pas un mal. D’autres préféreront pourtant se livrer sans réserve à l’éphémère de la rêverie induite par cet entre-deux musical parfaitement indéfinissable. Tous ont raison car la vérité est ailleurs : dans la beauté de ce disque dont on ne sait qui de la musique ou de la pianiste veille sur l’autre.
https://www.facebook.com/sophia.domancich
MAKRAM ABOUL HOSN . Transmigration
MakramMusic
Tom Hornig : saxophones, flûte
Nidal Abou Samra : Saxophones
Christopher Michael : batterie, vibraphone
Khaled Yassine : percussions
Makram Abou Hosn : contrebasse, compositions
Invités :
Joe Locke : vibraphone (8)
Tarek Amery : flûte (4)
Sima Itayim : chant (2)
- Makram Aboul Hosn est un contrebassiste libanais. Il aurait dû enregistrer ce disque en Europe avec un line-up international. Il l’a finalement enregistré à Beyrouth 3 jours après l’explosion du port avec une majorité de musiciens locaux. Et cela n’enlève rien à la qualité de ce Cd, nous vous en assurons. Situé quelques part entre le Moyen-Orient et le jazz, sa musique se joue des rythmes, des influences et des frontières avec bonheur. Sans piano, les compositions soignées du contrebassiste en appellent à des univers où se mêlent le swing et la mélancolie. Dans le même morceau, alors qu’on pense croiser l’ombre de Gerry Mulligan, on se retrouve dans un bouge de la Nouvelle Orléans. C’est tout l’art de Makram Aboul Hosn de savoir mixer les genres. Assez fin pour ne jamais dérouter l’auditeur, il ne cesse cependant de le surprendre car, s’il tient bien son jazz en main, il sait le laisser déraper et fréquenter les bordures. Enregistré cet album dans une ville dévastée et, plus généralement, dans un pays livré à ses démons depuis des décennies, le superbe travail du saxophoniste, aussi léger que profond, apparaît comme un tour de force, un exemple de résilience, une oasis musicale très inspirée. Une belle surprise que l’on aimerait voir sur les route par chez nous.
AKI TAKASE / DANIEL ERDMANN . Isn’t it romantic ?
BMC Records
Aki Takase piano
Daniel Erdmann : saxophone
- Un duo est logiquement composé de deux musiciens faisant de la musique ensemble. Il est pourtant commun d’écouter deux egos qui se partagent le temps, l’espace et les soli sans jamais se trouver (le veulent-ils ?), laissant au passage un arrière-goût de déception dans les oreilles. Et puis il y a les duos où les artistes ne font qu’un et ce sont toujours ceux que l’on retient. Celui d’Aki Takase et Daniel Erdmann en fait incontestablement partie. D’un bout à l’autre de l’enregistrement, le dialogue est fécond. Deux personnalités fortes échangent et se retrouvent dans un besoin vital de musique. Qu’elle soit (ou semble) par moment ardue, elle n’en demeure pas moins claire et limpide. Entre la pianiste japonaise et le saxophoniste allemand, l’abstraction et le lyrisme se conjuguent avec aisance. Complexes dans leurs approches et leurs développements, ils n’en sont pas moins des jazz(wo)men maîtrisant la tradition. Habité par un désir de jeu profond, ils se livrent sans retenue avec une étourdissante complicité. Ce disque n’est pas un exercice de style, cest un disque hautement musical et humain. Vous trouverez même à frissonner entre les notes. Cela devrait suffire à vous convaincre, non ?
http://akitakase.de/
http://www.daniel-erdmann.com/Home.html
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