Jazz, blues, sons d’Argentine, Piazzola, Coltrane ont entre autres marqué ces six jours passés dans ces Baronnies promues en écrin musical. Les surprises ont surgi là où on ne les attendait pas forcément. Magie du jazz. Magie de la musique
La scène, le « live » a quelque chose d’impitoyable. En musique surtout où la même formation peut briller en disque ou en studio et, a contrario, s’effriter au fil d’un concert pour d’innombrables raisons. Cette première semaine de cette 23ème édition de Parfum de Jazz n’a pas dérogé au phénomène malgré une programmation des plus éclectiques en apparence.
On aimerait commencer par le commencement, par ce concert très attendu de Gaby Schenke, une saxophoniste déjà vu en Baronnies l’an passé, et qui devait lancer le festival dans un quartet séduisant dans lequel on attendait de retrouver à ses côtés la belle voix de Catali Antonini, la contrebasse d’Hélène Avice et la guitare de Yanni Balmelle. Las : les pluies diluviennes attendues vers Saint-Ferréol-Trente-Pas ont eu raison du concert, la commune ne disposant d’aucune solution de repli. D’autant plus dommage que la saxophoniste et Catali Antonini font siennes des thèmes de Carla Bley ou d’Abbey Lincoln et révèlent ainsi au passage un jazz séduisant n’oubliant rien de ses racines mais plongeant au contraire dans une modernité insoupçonnée.
C’est donc Mandy Gaines qui, le lendemain à Mollans-sur-Ouvèze, s’est chargée de lancer cette 23ème édition. Mollans-sur-Ouvèze ? Un cadre magnifique genre théâtre de verdure, qui affiche d’entrée complet. Mandy Gaines a le profil idoine pour lancer les festivités : une habitude évidente de la scène, une façon de se mettre en deux thèmes le public dans sa poche, une autre pour faire la pub de son CD en vente à la sortie, et le tout pour délivrer un set festif qui emporte l’adhésion. Qui plus est, elle peut compter sur un « Monsieur le Maire » (à prononcer à l’américaine) rapidement acquis à la cause de cet artiste. Ce n’est pas que la voix de cette chanteuse au fort gabarit originaire de Cincinnati soit de celles qui s’inscrivent immédiatement dans la mémoire. Mais la jovialité de la dame, sa gouaille, cette façon débonnaire de s’approprier la scène et les spectateurs compensent efficacement. D’autant plus que Mandy Gaines est entouré d’un trio fusionnel qui fait en sorte que le jazz n’est jamais bien loin apportant aux thèmes joués d’innombrables couleurs qui les rendent d’autant plus chatoyants. Tour à tour, Cédric Chauveau (piano), Nicolas Sabato (contrebasse) et Mourad Benhammou (drums) donnent aux thèmes joués une vie étonnante, ensemble ou séparément, démultipliant à l’infini les intonations de la chanteuse. Celle-ci aura d’ailleurs eu le bon goût de leur laisser toute la place voulue, quitte à s’en aller esquisser au piano ou à la batterie un quatre mains plus amusant que réellement musical. A l’applaudimètre en tout cas, Mandy Gaines aura passé l’épreuve haut-la-main, promettant de revenir, si bien sûr on l’invite à nouveau.
Sautons à vendredi où, soirée blues oblige, c’est Natalia M King en quartet qui était attendue à Buis-les-Baronnies. Attrait et difficulté de cette musique qui doit faire naître des émotions malgré le risque inhérent de répétition. Bien entourée par un habile guitariste (Ludovic Bruni), une contrebasse, un clavier et des drums, la jeune femme s’est en tout cas livrée à fond dans cette musique qu’elle pratique depuis plusieurs années.
Une surprise venue d’ailleurs : vive Coltrane
La surprise de la semaine est venue d’ailleurs même si on s’y attendait un peu. Lakecia Benjamin, saxophoniste, a mis les Coltrane au coeur de sa quête musicale. John et Alice. Et son set, comme l’album qui l’inspire, est tout entier tourné vers les musiques de l’une et de l’autre, même si elle précise qu’elle s’est d’abord attachée à Alice Coltrane avant de saisir l’ampleur du saxophoniste disparu et de s’en inspirer. En tout cas, le concert donné à Buis-les-Baronnies fera date : Lakecia Benjamin possède d’emblée cette fougue et cette force de persuasion de ses aînés, poussant toujours plus loin ses improvisations, en leur donnant toujours un peu plus de liberté et nourrie d’une conviction palpable dès les premières notes. Ce faisant, la jeune femme nous replonge les yeux fermés dans cette musique qui résonne aujourd’hui comme aucune autre. Il est vrai aussi que Lakecia Benjamin est entourée de trois musiciens déjà d’exception qui vivent autant qu’elles les thèmes coltraniens abordés. Taber Gable au piano a une fois de plus montré son aisance à passer d’improvisations de toute beauté à des réparties délicates apportées à ses trois partenaires. Il en est de même avec Ivan Taylor, contrebassiste imposant qui structure à sa façon chaque thème, l’orientant subtilement et donnant à l’ensemble une profondeur palpable. Enfin, EJ Strickland aux drums aura lui aussi fait résonner les thèmes coltraniens de la façon la plus authentique qu’il soit. Ce set aura été d’autant plus séduisant que Lakecia Benjamin n’a pas oublié de revenir sur quelques-uns des thèmes les plus repris de Coltrane et sans nul doute les plus marquants de sa carrière.
De Piazzola à Truffaz ? Quelle idée ?
Passer ainsi d’une soirée à l’autre de Coltrane à des musiques argentines ou proches du tango n’est pas forcément la chose la plus évidente qui soit. Cette première semaine aura pourtant fait une large place à des accents sud-américains. Pas toujours avec bonheur. D’une part avec Louise Jallu dont le concert est tout entier tourné vers la musique d’Astor Piazzolla. La jeune femme est sans doute aujourd’hui l’une des plus grandes spécialistes de cette musique qu’elle interprète avec son bandonnéon, instrument qu’elle pratique depuis déjà de nombreuses années. Un violon, une contrebasse et un piano complètent cette formation qui insiste plus sur la modernité de cette musique que sur le souvenir que l’on peut en avoir. Certes, le concert a surpris par sa brièveté. Au point que Louise Jallu a été quelque peu sollicitée à revenir pour un ou deux morceaux. Preuve a contrario que cette musique, ses étirements, sa tristesse inhérente ont fait mouche.
Bizarrement, la grâce est venue d’un autre concert dont on n’attendait rien ou pas grand chose. A l’affiche, deux soeurs quasi jumelles, Gianna et Laura Caronni. Pays d’origine l’Argentine. Pays de résidence la France. Particularité : l’une est aux clarinettes, l’autre au violoncelle mais toutes deux se rejoignent pour chanter. Voilà pour le casting. Encore que : le temps d’un concert, ces deux jeunes femmes ont sollicité Eric Truffaz, trompettiste aux multiples facettes croit-on mais qui chemine sans bruit dans une direction propre qu’on ne peut en aucun cas confondre. Certes, il arrive au musicien de faire des faux pas ou de ne pas donner la pleine mesure de l’inspiration qui précède, à l’évidence chacune de ses interventions. Ainsi, ces appartés glissées sur un texte poétique lu par Sandrine Bonnaire où le mariage se faisait peu ou mal. Ici, tout au contraire, sur ces chants susurrés par les deux jumelles, sur ces duos d’instruments clarinette-violoncelle, de toutes beautés, inattendus, pleins de douceurs, de retenue, de délicatesse, la trompette ici fait merveille. Même sans sourdine, elle apporte à la clarinette et au violoncelle une profondeur bienvenue, comme un horizon renouvelé. Il arrive même que les trois parlent d’une seule voix. Magie des instruments, surtout de cet instrument cette clarinette dont le son boisé arrête le temps, le transforme, en fait sa chose, nous emmène avec lui. Répétons-le ce fut un moment de grâce, sans jamais verser dans la facilité. Au contraire, les deux jeunes femmes, sûres d’elles-mêmes, ont bouleversé un auditoire particulièrement attentif.
Ah oui. Et pour compléter cette première semaine, voici Ludivine Issambourg. Flûtiste. Talent, mélange de fougue et de douceur. Instrument toujours étonnant en jazz, sublimant certaines mélodies. Comme si elle seule (la flûte) méritait de rester en scène. Dans cet Antiloops, Ludivine Issambourg rappelle le charme de cet instrument, décalé, subversif à sa façon, qui sait donner à la musique la plus banale des intonations insoupçonnées. Le temps de ce concert donné dans le cadre merveilleux et imposant de Montbrun-les-Bains, la musicienne développe un jeu insoupçonné, virevoltant au gré de son inspiration et d’une gaieté palpable au fil des improvisations. On ne peut s’empêcher de penser que malgré le talent des musiciens qui l’entourent et l’inspirent, le concert gagnerait à plus d’apaisement, à moins pousser la flûte dans ses retranchements pour parvenir à se faire entendre au milieu d’un clavier-basse-batterie très présent. Histoire d’amplification ? Il ne semble pas. Mais plutôt attrait pour des rythmes contemporains plus proches du hip-hop que des standards jazz dans lesquels la flûte s’est illustré par le passé.
Au final, malgré la pluie, le risque de pluie, la billetterie balbutiante au démarrage de la semaine, ce qui faisait craindre le pire, cette première semaine aura été une petite surprise. Certes, en route, on aura perdu cette saveur sauvage qui voit des concerts organisés dans des villages où l’on n’a rien à faire à première vue. C’est au fil des routes et des sentines empruntées que l’on perçoit mieux la magie de cette Drôme du sud, territoire de chasse voulu par Parfum de Jazz.
Bienvenue en deuxième semaine dès mercredi.
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