Raoul Bruckert, parti il y a dix ans. Comme si c’était hier. Saxophoniste de son état. Mais aussi peintre et spécialiste de dessin textile. Voilà pour les lignes officielles. Pour le reste, une curiosité sans cesse en éveil doublée de la volonté de jouir de tout, musiques, peintures, esthétiques quelles qu’elles soient.
Un jour, il dévoile sa collection de cassettes enregistrées live sur France musique, France culture ou autre.
Un autre, regard malicieux, il bataille avec Gérard Badini, autre grand sax lors d’une jam mémorable. Une autre fois, il travaille un thème, inlassablement. Ou interpelle les auteurs du Dictionnaire de Jazz « descendus » à Lyon le temps d’une promo, pour leur rappeler que le jazz lyonnais existe bel et bien même si le gros bouquin n’y consacre pas une ligne. Ce qui ne l’empêcha pas d’être reçu sur la grande scène de Jazz à Vienne quelques années après pour un set malheureusement trop court. « J’ai à peine eu le temps de m’échauffer », pestait-il, sortant d’une scène qui lui tenait particulièrement à cœur.
Raoul ? Un œil malicieux, ô combien, et une voix, douce, harmonieuse, calme, incroyable de nuances.
Depuis, on est d’ailleurs à peu près sûr que le son d’un sax découle directement de la voix de son auteur et que celle-ci lui donne sa couleur, son timbre, sa musicalité.
Autant d’épisodes, autant de souvenirs. Mais les plus beaux sont évidemment au Hot Club de Lyon, sa scène, son antre, une bonne part de son univers où il fit tant pour jouer, pour entraîner et pour initier tout ce qui était en âge de taper sur un tambour ou de souffler dans un cuivre.
1948 : ni vous ni moi n’étions là. Mais on devine l’intuition de l’artiste qu’en cette fin de guerre, le jazz, musique importée, ouvrait un monde infini, aux accents de renaissance et de liberté et qu’il méritait notamment qu’on lui consacre un lieu.
Soixante ans ans après, le constat s’impose. A l’origine du jazz lyonnais actuel, de son développement, de son ambition, Raoul Bruckert occupe bien une place centrale.
Fécondeur, émulsionneur…
Il fut musicien, compositeur, interprète, organisateur, fécondeur, émulsionneur, revendicateur, démonstrateur. Vécut cette musique comme il vivait ses autres talents. Sans retenue, sans arrières-pensées.
D’où cette petite fête organisée par le Hot, à laquelle tout le monde était convié. C’était il y a quelques jours. Dimanche morne. Dimanche, jour où le Hot fait habituellement relâche. Cette fois, il s’ouvrit en grand, histoire de fêter Raoul, en compagnie de tous ceux qui l’avaient côtoyé et écouté sur scène ou ailleurs. Si Gérard Vidon, se chargea du compliment, des souvenirs écrits, ce sont tous les autres qui au fil de la soirée témoignèrent de ces soirées, de ces musiques, de ces ambiances où le Hot prenait son envol : Jacky Boyadjan et ses compères des Happy Stompers, Jean-Louis Billoud, Jean-Charles Demichel, Mario Stanchev, beaucoup d’autres, les vieux comme les nouveaux, et chevilles ouvrières du Hot Club comme du jazz lyonnais.
Pour ceux qui l’auraient oublié, cette petite fête fut aussi l’occasion de se souvenir que si le jazz s’est autant développé à Lyon, si aujourd’hui cette région compte autant de musiciens, de lieux, de scènes, de souvenirs, de marques indélébiles de créations, il y a quelque part Raoul. Certitude du jazz. De l’impro. Ode à cette création spontanée, à la délivrance qu’elle suscitait.
Mais Raoul Bruckert écrivions-nous ne fut pas que musicien.
Et c’est à se demander à quel art il ne s’est pas confronté. C’est d’ailleurs tout le problème : avant, l’homme universel fascinait. Aujourd’hui, il est vite catalogué d’artiste dispersé. Face à ces artistes monolithes, qui répètent la même couleur, le même motif jusqu’à leur dernier souffle, les artistes multiples ont du mal à briller. Suprême injustice. Un seul talent vaudrait mieux que dix ? Car Raoul n’excellait pas qu’en musique.
Outre sa société de dessins textiles, antre de créations au quotidien, qui eut pignon sur rue à Lyon durant des années, Raoul ne cessa pas de peindre.
Coloriste hors pair, il sut donner à ses peintures des ambiances chatoyantes, à la complexité dissimulée, où l’on reconnaissait sa patte immédiatement. Ambiance de rues, de villages, ambiances tout court.
Temps suspendu au gré des saisons et de ce qui retenait son attention. De fait, durant des années, il ne cessa d’aller et venir entre ses pinceaux et ses sax. Pour notre plus grand bonheur.
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