Quelle belle audace et prise de risque de la part de Jazz à Vienne de programmer John Zorn avec son « Bagatelles Marathon » ! Unanimement perçue comme un concert d’exception.
A 65 ans, John Zorn est un artiste d’avant-garde à la fois compositeur, saxophoniste alto, clarinettiste, producteur, qui possède à son actif plus de 300 enregistrements (dont la plupart publiée sur son label Tzadik). Il serait particulièrement réducteur de qualifier de « Jazz » l’esthétique de ce pur new-yorkais. Zorn a créé, composé, joué avec/pour plusieurs formations notamment Naked City, Painkiller et la plus conséquente Masada.
Il s’agit bien d’une écriture singulière, s’inscrivant dans un large éventail de styles musicaux : classique, musique contemporaine, surf music, jazz (new yorkais), free jazz, punk hardcore, musique électro, trash métal, bruitisme, klezmer,musique de films et de cartoons.
Parfois totalement écrite, parfois juste structurée et laissée à la main des improvisateurs, ses propositions hors normes sont toujours sollicitantes autant pour les musiciens que pour le public. Tout se passe dans les nuances, bien au-delà des éléments basiques de la musique (mélodie, harmonie, rythmique).
« Bagatelles Marathon »
Une cinquantaine d’œuvres (sur un total de 300 composées de mars à mai 2015) a été joué par quatorze formations. John Zorn a choisi et réuni autour de ce projet 29 musiciens parmi ses fidèles collaborateurs ou de jeunes musiciens fortement créatifs :
Dave Douglas (t), Greg Cohen (b), Joey Baron (dms), Sylvie Courvoisier (p), Mark Feldman (v), Mary Halvorson (g), Miles Okazaki (g), Drew Gress (b),Tomas Fujiwara (dms), Craig Taborn (p), Will Greene (g), Simon Hanes (b), Aaron Edgcomb (dms), Erik Friedlander (c), Michael Nicolas (c), John Medeski (org), Dave Fuczynski (g), Calvin Weston (dms), Kenny Wollesen (vibes),Trevor Dunn (b), Gyan Rilzy (g), Julian Lage (g), Brian Marsella (p), Ikue Mori (electronics), Kris Davis (p), Peter Evans (t),Marc Ribot (g), Kenny Grohowski (dms).
Un concert de « Bagatelles Marathon » : une expérience unique
Ne cherchez pas de vidéo sur le net. John Zorn s’oppose à tout enregistrement. C’est une expérience unique entre l’œuvre, les musiciens et les spectateurs. Nous sommes bien loin des improvisations travaillées à la note près par la plupart des jazzman actuels. Ici chaque participant est choisi et dirigé par un Zorn attentif, exigeant poussant chacun à donner le meilleur afin de mettre son art au service de l’œuvre. Les musiciens adorent et l’adorent. Quatre heures de musique intense où nous devons jeter par dessus bord nos zones de confort et se rendre disponible à ce qu’il nous est proposé – ici et maintenant.
Masada commence. Ce sera la seule apparition de John Zorn comme musicien. Il présentera durant la soirée tous les formations et ses musiciens pendant les changements très rapides des plateaux. Ca ne lambine pas, on garde le rythme… Chaque prestation de un à trois morceaux dure en moyenne 20 minutes maximum.
Dans Masada, l’énergie est féroce. Solo de Dave Douglas : le ton est donné. On se retrouve à New-York sans aucun doute, le speed, les tensions. On perçoit Mingus dans l’esprit, ça chante bien, ça va vite, précis. Du groove. Puis on enchaîne avec de la world avec un duo sax et trompette. J’entends au loin Gato Barbieri dans les fins de phrases de Zorn. 3 morceaux et on passe la main.
Duo Feldman/ Courvoisier. Ca change. Nous sommes dans le contemporain avec une musique minimaliste et répétitive.
Arrive le Quartet de Mary Halvorson (et son sac à main)… Guitares atonales. La tension est constante. Duo de guitares. Fujiwara (drums)est excellent. Du free, mais parfois King Crimson se laisse deviner.
Puis deux violoncellistes Erik Friedlander et Michael Nicolas nous illuminent avec 3 pièces contemporaines. L’un assure la basse l’autre la mélodie, on inverse, on ne tergiverse pas on joue à l’unisson. L’écriture est ciselée et la virtuosité est commune chez ces deux-là.
Voilà que se présente le Trio Trigger : Zorn annonce la couleur : du punk. Nous ne sommes pas déçus… A la première note nous reculons devant la puissance de feu du son. C’est violent, débridé, totalement assumé et rempli d’énergie … le bassiste est haut perché c’est sûr.
Solo de piano par Graig Taborn ; du contemporain très contemporain…
Monte sur scène le Trio Medenski qui nous propose un « jazz rock » fortement pulsé par un batteur (Calvi Weston excellent) d’une puissance inouïe… tout au fond du temps. Un organiste aussi rentre dedans que le bassiste. Du grand art…
Nova Quarter avec Kenny Wollesen au vibraphone expose une histoire plus soft (le surf ???), que nenni… les tensions reviennent aussi vite. On improvise sec…
Après deux morceaux, débarquent Julian Lague et Gyan Rilzy. Les guitares folk et classique sont jouées respectivement au médiator et aux doigts. Les thèmes sont subtils, s’enchevêtrent, les improvisations sont nettes, stimulantes, bien réparties. C’est un régal… Le deuxième morceau rappelle Léo Brower. Vraiment du beau monde…
Après Brian Marsella (World) Ikue Morie s’installe devant sa petite table avec son ordinateur et enchante littéralement le public. Il sera suivi de la formation de Kris Davis.
Déjà 23h45, le trompettiste Peter Evans nous emmène très loin et très haut avec une improvisation qui triture, étire, le thème tant mélodiquement que rythmiquement. Un moment très fort de la soirée salué unanimement par le public.
Last and the least la formation Asmodeux – John Zorn réapparait pour diriger Marc Ribot à la guitare (une vieille Fender Jaguar), Trevor Dunn à la basse et Kenny Grohowski à la batterie. Finir en beauté… c’est plutôt réussi. Le son est aussi puissant que pour les petits jeunes de Trigger. Ribot sature les sons à la guitare. C’est rock, c’est jazz, c’est dynamique. Ribot en vieux briscard s’en donne à cœur joie. A croire qu’il ne joue jamais aussi bien que lorsqu’il est dirigé par Zorn. Trévor Dunn a la banane jusqu’aux oreilles, terriblement efficace et complémentaire du batteur…lui aussi d’une puissance de feu phénoménale… Il tape, tape, ses bras s’agitent dans une frénésie démesurée, sans répit.
On sort tous sonnés de ce dernier sonnet. Quel bonheur ! Quelle classe ! Un moment unique.
Les 29 musiciens et John Zorn (qui semblait ravi de la soirée), ont été ovationnés lors des saluts par un public bien trop peu nombreux pour une telle soirée. Il ne reste aux absents qu’à regretter amèrement…
Un concert d’exception qui marquera sans aucun doute l’édition de ce festival.
Coups de chapeau : aux techniciens pour les changements de plateaux : arrivant en même temps que les musiciens de la formation suivante, ils ont désinstallé, remis en place et disparu en un temps record, sans perturber le rythme général de la soirée. A Alex Duthil pour sa conférence passionnante sur le parcours de John Zorn. Quelques œuvres de John Zorn à découvrir : Naked City (89) / Paintkiller (92) / Alef (94) / Masada Anniversary Edition Vol 1 – Masada Guitars (2003) / The Dreamer (2008) Séances de rattrapage : jeudi 11 juillet au New-Morning (Paris) et le 26 au Marseille Jazz des Cinq Continents
Souriez nous sommes jeudi…
Facebook
Twitter
YouTube
LinkedIn
RSS